Le fils

Toutes ses amies sont au rendez-vous, avec leurs maris et enfants. Un peuple bleu-blanc-rose, de toutes classes d’âge, uni, pour défendre la famille, le mariage véritable, le droit des enfants à grandir entre un père et une mère. Ils sont des milliers, la place de la Mairie est pleine à craquer. C’est magnifique, elle n’en revient pas. Elle a oeuvré à ça. Philippe, Anthony et Cyril sont là, auprès d’elle. Secrètement, elle espère que ses garçons fassent une rencontre romantique sur le pavé. Elle leur a offert le sweat-shirt customisé bleu marine. Elle, elle en porte un rose. Comme Ludivine, Christine, Camille et toutes les autres. C’est incroyablement plus gai que l’austère procession de l’année passée. Moins mystique, mais plus joyeux. Et rassembleur.

(…)

Elle progresse dans la foule bleu-blanc-rose, Ludivine l’a appelée à la tribune. Elle va parler au mégaphone, elle parle au mégaphone. Devant des milliers de personnes, elle le fait. Exprimer ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent, crier des slogans jouissifs. Que la foule reprend en choeur. Un papa et une maman, y a pas mieux pour les enfants ! Un papa et une maman, y a pas mieux pour les enfants ! On veut du sexe, pas du genre ! On veut du sexe, pas du genre ! Elle exulte, se sent belle, parée d’une nouvelle jeunesse. Philippe la regarde, ébahi, il la dévore des yeux.

Dans cette petite ville de province, elle mène une vie presque sans histoire : un mari très occupé et bien intégré dans la petite bourgeoisie locale, deux garçons déjà grands, une officine de pharmacie prospère et la messe tous les dimanches. Bref la routine paisible que sa rencontre avec des catholiques traditionnalistes va bouleverser.

En se joignant progressivement à leurs manifestations passionnelles contre les spectacles blasphématoires, contre l’avortement, contre le mariage pour tous… elle reprend goût à la vie sociale, au coude-à-coude fédérateur, puis au militantisme pur et dur, jusqu’à glisser au fil du temps, avec une sincérité déroutante et par souci d’intégration, vers un radicalisme idéologique qui peut mener au pire.

Le fils explore donc habilement, avec humour et émotion, les mécanismes destructeurs du glissement idéologique.

Ecrite par Marine Bachelot Nguyen sur une idée originale de David Gauchard, directeur de la compagnie L’unijambiste, la pièce a également bénéficié du regard complice de la comédienne Emmanuelle Hiron impliquée dès les premières lectures.