Amour, amour

Tino : Madame, elle va quand même pas croire que j’vais lui faire plaisir parce qu’elle a des beaux grands yeux bleus et des beaux cheveux sur sa tête ! J’tape tout le temps sur les autres, qu’elle dit. Ils ont qu’à pas être là. Comme ça, j’taperai plus sur eux.

Hugues : Cette nuit, j’ai rêvé de Madame. Elle mettait la crème sur le gâteau de mes neuf ans. Elle étendait la crème avec ses doigts. Ses bagues étaient toutes couvertes de crème. Elle me disait : « Tu peux lécher. » Je léchais les doigts de Madame. Je léchais longtemps.

Lily : « Miss la Redoute », qu’elles m’appellent, parce que je choisis dans le catalogue. Dans un petit village sans magasins, faut bien. Aucune fille regarde ce que je mets, même pas Madame. De toutes les filles de la classe, c’est moi qu’elle aime le moins.

Paula : Madame a dit : « Il y a une table de trop. Qui la veut pour lui tout seul ? » Tout le monde a levé son doigt. Moi, j’ai pas levé mon doigt, mais Madame a dit : « Ce sera pour Paula, parce que c’est la plus gentille. » J’ai la table pour moi toute seule, mais c’est pas parce que je suis la plus gentille. C’est parce que je pue.

Tino, Hugues, Lily et Paula ont neuf ans, l’âge de l’école, des remarques cruelles des copains, de la révolte aussi.

Le papa de Tino est un fossoyeur au chômage. Tino veut buter le monde entier avec son rayon de la mort, surtout ceux qui toucheraient à sa petite soeur. Hugues est diabétique, gourmand, et doit manger du chocolat “spécial” sous peine de tomber en syncope. Lily, la fille de la coiffeuse, a un trop gros derrière, et trop de vêtements pour tenter de le cacher. Tandis que Paula, elle, rêve d’une vraie baignoire et de sentir bon…

Pour Madame, l’institutrice, la vie est la plus grande des merveilles. Elle leur parle avec une passion égale de l’amour, de la mort et de la vie qui a mis trois milliards d’années pour tout inventer. Et quand la vie rate, quand elle se trompe ? Et quand les parents ne font pas les enfants exprès ?