14 scènes de comédies classiques en alexandrins

Avec ce recueil, nous avons réuni 14 scènes issues de quatre des plus importantes comédies classiques en alexandrins, écrites par quatre auteurs majeurs du XVIIe siècle.
Si Molière a tant brillé qu’il en a souvent éclipsé les autres tout au long de l’histoire, Desmarets de Saint-Sorlin, Regnard et Rotrou n’en ont pas moins été considérés comme d’incontournables dramaturges.
Les Fâcheux, Les Visionnaires, Le Joueur et Les Sosies vous proposent une vaste palette de personnages et de caractères. Nous y avons sélectionné un éventail de scènes adaptées aux écoles de théâtre ; monologues masculins et féminins, scènes à deux, tout y est.




14 scènes de comédies classiques en alexandrins

Les Visionnaires, Jean Desmarets de Saint-Sorlin, 1637

Jean Desmarets de Saint-Sorlin, né en 1595 à Paris, est notamment, en dehors de ses activités de poète et dramaturge, conseiller du roi Louis XIII.

Habitué du salon littéraire de Catherine de Vivonne à l’hôtel de Rambouillet, il compose un poème qui fut particulièrement admiré, « La Violette », pour le recueil la Guirlande de Julie. Célèbre manuscrit poétique français du xviie siècle, il est l’idée de Charles de Saint-Maure qui, épris de Julie d’Angennes, la fille de Catherine de Vivonne, demande aux habitués du salon d’écrire des poésies où chaque fleur chanterait les louanges de Julie.

Desmarets de Saint-Sorlin fait partie de l’Académie française dès sa création et en est le premier chancelier. Sous l’impulsion du cardinal de Richelieu, dont il est le protégé, il se met à composer des tragédies, sans grand enthousiasme pourtant.

À partir de 1645, il devient extrêmement dévot et, dès lors, produit essentiellement des œuvres de sujet religieux. En 1657, Desmarets écrit son poème épique Clovis ou la France chrétienne, dans lequel il met en relief les origines divines de la monarchie française. Cet ouvrage lui vaut les sarcasmes de Boileau, qui est hostile à l’introduction du merveilleux chrétien dans la poésie épique. Desmarets répond par un essai intitulé Comparaison de la langue et de la poésie française avec la grecque et la latine, dans lequel il conclut à la supériorité de la première et des miracles chrétiens sur les légendes païennes, et qui donne le coup d’envoi de la Querelle des Anciens et des Modernes.

Vers la fin de sa vie, Desmarets tombe dans le délire mystique, affirmant qu’il écrit sous la dictée de Dieu. Il meurt à Paris le 28 octobre 1676.

Il est le père de la poétesse Marie Dupré.

Dans Les Visionnaires, Alcidon, père de famille, cherche à marier ses trois filles, Mélisse, Hespérie et Sestiane. Mais ces dernières, aveuglées par leurs folies respectives (Mélisse est amoureuse d’Alexandre le Grand, Hespérie croit que tous les hommes l’aiment et Sestiane est amoureuse de la comédie) ne l’entendent pas de cette oreille. Et cela malgré la présence de prétendants tous aussi fous, parmi lesquels Artabaz, grand matamore, Amidor, poète extravagant, Phalante, riche imaginaire ou encore Filidan, « l’amoureux en idées »…

Acte I, scène 1

ARTABAZE

Je suis l’amour du Ciel, et l’effroi de la Terre ;

L’ennemi de la paix, le foudre de la guerre ;

Des Dames le désir, des maris la terreur ;

Et je traîne avec moi le carnage et l’horreur.

Le Dieu Mars m’engendra d’une fière Amazone ;

Et je suçai le lait d’une affreuse lionne.

On parle des travaux d’Hercule encore enfant,

Qu’il fut de deux serpents au berceau triomphant :

Mais me fut-il égal, puisque par un caprice

Étant las de téter j’étranglai ma nourrice ?

Ma mère qui trouva cet acte sans raison,

Désirant me punir ; me prit en trahison ;

Mais ayant en horreur les actions poltronnes,

J’exterminai dès lors toutes les Amazones.

Mon père à cet exploit se voulut opposer ;

Et parant quelques coups pensait me maîtriser :

Mais craignant ma valeur aux Dieux mêmes funeste,

Il alla se sauver dans la voûte céleste.

Le soleil qui voit tout, voyant que sans effort

Je dompterais le Ciel, entreprend notre accord :

De Mars en ma faveur la puissance il resserre,

Et le fait Mars du Ciel, moi celui de la terre.

Lors pour récompenser ce juste jugement,

Voyant que le Soleil courait incessamment,

J’arrêtai pour jamais sa course vagabonde :

Et le voulus placer dans le centre du monde :

J’ordonnai qu’en repos il nous donnât le jour ;

Que la terre et les cieux roulassent à l’entour ;

Et c’est par mon pouvoir, et par cette aventure,

Qu’en nos jours s’est changé l’ordre de la Nature.

Ma seule autorité donna ce mouvement

À l’immobile corps du plus lourd élément ;

De là vient le sujet de ces grands dialogues,

Et des nouveaux avis des plus fins Astrologues.

J’ai fait depuis ce temps mille combats divers ;

Et j’aurais de mortels dépeuplé l’univers ;

Mais voyant qu’à me plaire un sexe s’évertue,

J’en refais par pitié tout autant que j’en tue.

Où sont-ils à présent tous ces grands Conquérants ?

Ces fléaux du genre humain ? Ces illustres Tyrans ?

Un Hercule, un Achille, un Alexandre, un Cyre,

Tous ceux qui des Romains augmentèrent l’Empire,

Qui firent par le fer tant de monde périr ?

C’est ma seule valeur qui les a fait mourir.

Où sont les larges murs de cette Babylone ?

Ninive, Athène, Argos, Thèbe, Lacédémone,

Carthage la fameuse et le grand Ilion ?

Et j’en pourrais nombrer encore un million.

Ces superbes cités sont en poudre réduites :

Je les pris par assaut, puis je les ai détruites.

Mais je ne vois rien plus qui m’ose résister :

Nul guerrier à mes yeux ne s’ose présenter.

Quoi donc, je suis oisif ? Et je serais si lâche

Que mon bras peut avoir tant soit peu de relâche ?

Ô Dieux ! Faites sortir d’un antre ténébreux

Quelque horrible Géant, ou quelque monstre affreux ;

S’il faut que ma valeur manque un jour de matière,

Je vais faire du monde un vaste cimetière.

Acte I, scène 4

FILIDAN

Voici ce cher ami, cet esprit merveilleux.

AMIDOR

Mettons-nous à l’abri d’un rocher sourcilleux :

Évitons la tempête.

FILIDAN

Ah ! Sans doute il compose,

Ou parle à quelque Dieu de la Métamorphose.

AMIDOR

Je vois l’adorateur de tous mes nobles vers :

Mais dont les jugements sont toujours de travers.

Tout ce qu’il n’entend pas aussitôt il l’admire.

Je m’en vais l’éprouver : car j’en veux un peu rire.

Suivons. L’orage cesse, et tout l’air s’éclaircit ;

Des vents brise-vaisseaux l’haleine s’adoucit.

Le calme qui revient aux ondes marinières,

Chasse le pâle effroi des faces nautonnières ;

Le nuage s’enfuit, le Ciel se fait plus pur,

Et joyeux se revêt de sa robe d’azur.

FILIDAN

Oserait-on sans crime, au moins sans mille excuses,

Vous faire abandonner l’entretien de nos Muses ?

AMIDOR

Filidan, laisse-moi dans ces divins transports

Décrire la beauté que j’aperçus alors.

Je m’en vais l’attraper. Une beauté céleste

À mes yeux étonnés soudain se manifeste ;

Tant de rares trésors en un corps assemblés,

Me rendirent sans voix, mes sens furent troublés :

De mille traits perçants je ressentis la touche.

Le coral de ses yeux, et l’azur de sa bouche,

L’or bruni de son teint, l’argent de ses cheveux,

L’ébène de ses dents digne de mille vœux,

Ses regards sans arrêt, sans nulles étincelles,

Ses beaux tétins longuets cachés sous ses aisselles,

Ses bras grands et menus, ainsi que des fuseaux.

Ses deux cuisses sans chair, ou plutôt deux roseaux,

La grandeur de ses pieds, et sa petite taille,

Livrèrent à mon cœur une horrible bataille.

FILIDAN

Ah Dieux ! Qu’elle était belle ! Ô Roi des beaux esprits,

Vis-tu tant de beautés ? Ah ! Que j’en suis épris.

Dis-moi ce qu’elle fit, et contente mon âme

Qui sent déjà pour elle une secrète flamme.

AMIDOR

Inventons un discours qui n’aura point de sens.

Elle me dit ces mots pleins de charmes puissants,

Favori d’Apollon, dont la verve extatique

Anime les ressorts d’une âme frénétique,

Et par des visions produit mille plaisirs

Qui charment la vigueur des plus nobles désirs ;

Apprends à révérer par un fatal augure

De ma pudicité l’adorable figure.

FILIDAN

Ô merveilleux discours, ô mots sentencieux ;

Capables d’arrêter les plus audacieux.

Dieux ! Qu’en toutes façons cette belle est charmante ;

Et que je sens pour elle une ardeur véhémente.

Ami, que te dit-elle encore outre cela ?

AMIDOR

Elle me dit Adieu, puis elle s’en alla.

FILIDAN

J’adore en mon esprit cette beauté divine.

Qui sans doute du ciel tire son origine.

Je me meurs, Amidor, du désir de la voir.

Quand aurai-je cet heur ?

AMIDOR

Peut-être sur le soir :

Quand la brunette nuit développant ses voiles,

Conduira par le ciel le grand bal des étoiles.

FILIDAN

Ô merveilleux effet de ses rares beautés !

Incomparable amas de nobles qualités !

Déjà de liberté mon âme est dépourvue :

Le récit m’a blessé, je mourrai de sa vue.

Prépare-toi mon cœur à mille maux divers.

AMIDOR

Adieu, sur ce sujet je vais faire des vers.

FILIDAN

Que tu m’obligeras, Amidor, je t’en prie,

Tandis pour soulager l’excès de ma furie,

Je m’en vais soupirer l’ardeur de mon amour,

Et toucher de pitié tous ces lieux d’alentour.

Acte II, scène 1

PHALANTE

Rigoureuse Mélisse, à qui réservez-vous

Ce cœur si plein d’orgueil, si rempli de courroux ?

MÉLISSE

Phalante, à nul de ceux que l’on voit sur la terre.

PHALANTE

Voulez-vous à l’Amour toujours faire la guerre ?

MÉLISSE

Non, mais quand je verrais le plus beau des humains,

Il ne peut en m’aimant avoir que des dédains.

PHALANTE

D’où vous vient cette humeur ?

MÉLISSE

Je veux bien vous l’apprendre.

Après ce que j’ai lu de ce grand Alexandre,

Ce Dieu de la valeur, vainqueur de l’Univers,

Qui dans si peu de temps fit tant d’exploit divers,

Beau, courtois, libéral, adroit, savant et sage,

Qui trouva tout danger moindre que son courage ;

Qui borna son Empire où commence le jour,

Je ne puis rien trouver digne de mon amour.

C’est lui dont le mérite a captivé mon âme,

C’est lui pour qui je sens une amoureuse flamme,

Et doit-on s’étonner si ce puissant vainqueur

Ayant dompté la terre, a su dompter mon cœur ?

PHALANTE

Mais c’est une chimère où votre amour se fonde :

Car que vous sert d’aimer ce qui n’est plus au monde ?

MÉLISSE

Nommer une chimère un Héros indompté ?

Ô Dieux ! Puis-je souffrir cette témérité ?

PHALANTE

Mélisse, mon désir, n’entrez pas en colère.

Mais au moins dites-moi, comment se peut-il faire

D’aimer un inconnu, que vous ne pouvez voir,

Et dont se peut l’idée à peine concevoir ?

MÉLISSE

Appeler inconnu, celui de qui l’histoire

A décrit les beaux faits tous rayonnants de gloire,

De qui la renommée épandue en tous lieux

Couvre la terre, et s’étend jusqu’aux cieux ?

Ce manque de raison n’est pas compréhensible.

PHALANTE

Mais j’appelle inconnu ce qui n’est pas visible.

MÉLISSE

Je le connais assez, je le vois tous les jours,

Je lui rends mes devoirs, et lui dis mes amours.

PHALANTE

Quoi ? Vous parlez à lui ?

MÉLISSE

Je parle à son image,

Qui garde tous les traits de son charmant visage.

PHALANTE

Une image à mon gré ne charme point les yeux.

MÉLISSE

Toutefois en image on adore les Dieux.

PHALANTE

Où l’avez-vous trouvée ?

MÉLISSE

Un tome de Plutarque

M’a fourni le portrait de ce divin Monarque.

Et pour le mieux chérir je le porte en mon sein.

PHALANTE

Quittez, belle, quittez cet étrange dessein.

Ce vaillant Alexandre, agréable Mélisse,

N’a plus aucun pouvoir de vous rendre service.

MÉLISSE

Quoi ? Pour mon serviteur voudrais-je un si grand Roi ?

De qui tout l’univers a révéré la loi ?

Phalante, il était né pour commander au monde.

PHALANTE

Vous aimez d’une amour qui n’a point de seconde.

Mais vous feriez bien mieux de choisir un amant

Qui pourrait en effet vous chérir constamment ;

Un homme comme moi, dont l’extrême richesse

Peut de mille plaisirs combler votre jeunesse.

MÉLISSE

Pensez-vous par ce charme abuser mes esprits ?

Quittez ce vain espoir, j’ai vos biens à mépris.

Osez-vous comparer quelque pauvre héritage,

Quelque champ malheureux qui vous vint en partage.

Aux trésors infinis de ce grand Conquérant ?

Qui prodiguait les biens du pays odorant.

De la Perse, et de l’Inde, et souvent à des Princes

Comme présents légers a donné des provinces ?

PHALANTE

Mais où sont ces trésors ? Les avez-vous ici ?

MÉLISSE

Comme il les méprisait, je les méprise aussi.

PHALANTE

Je perds ici le temps, elle est préoccupée

Par cette folle amour dont sa tête est frappée.

Je vais voir ses parents, ils me recevront mieux :

Mes grands biens me rendront agréable à leurs yeux.

De la guérir sans eux je n’ose l’entreprendre.

Adieu jusqu’au revoir, l’amante d’Alexandre.

MÉLISSE

Adieu mortel chétif, qui t’oses comparer

À ce vaillant Héros que tu dois adorer.

Acte III, scène 3

AMIDOR

Guerrier, ne craignez rien parmi les vertueux.

Je vois que vous marchez d’un pas majestueux.

Vous avez le regard d’un grand homme de guerre.

Et tel que Mars l’aurait s’il était sur la terre.

Vous avez le parler grave, sec, résonnant,

Digne de la grandeur d’un Jupiter tonnant.

ARTABAZE

Il est vrai.

AMIDOR

J’ai produit une pièce hardie,

Un grand effort d’esprit, c’est une tragédie,

Dont on verra bientôt cent Poètes jaloux.

Mais j’aurais grand besoin qu’un homme tel que vous,

Pour faire bien valoir cet excellent ouvrage,

Voulût représenter le premier personnage.

ARTABAZE

Oui, je l’entreprendrai, s’il est digne de moi.

AMIDOR

C’est le grand Alexandre.

ARTABAZE

Oui, puisque ce grand Roi,

Par qui se vit l’Asie autrefois possédée,

Avait de ma valeur quelque légère idée.

AMIDOR

J’ai le rôle en ma poche, il est fort furieux,

Car je lui fais tuer ceux qu’il aime le mieux.

ARTABAZE

C’est donc quelque démon, quelque bête effroyable,

Ah ! Ne le tirez point.

AMIDOR

Ce n’est rien de semblable.

Cela n’est qu’un écrit.

ARTABAZE

Quoi, qui donne la mort ?

Vous êtes donc Sorcier ?

AMIDOR

Ne craignez point si fort.

ARTABAZE

Ah Dieux ! Je suis perdu, ma valeur ni mes armes

Ne sont point par malheur à l’épreuve des charmes.

AMIDOR

Ce ne sont que des Vers.

ARTABAZE

C’est ce qui me fait peur.

AMIDOR

Si vous craignez l’écrit, je les dirai par cœur.

Voyons si sur le champ vous les pourriez apprendre.

ARTABAZE

Je le veux.

AMIDOR

Dites donc, je suis cet Alexandre.

ARTABAZE

Je suis cet Alexandre.

AMIDOR

Effroi de l’Univers.

ARTABAZE

Ce titre m’appartient.

AMIDOR

Ah Dieux ! Dites vos Vers.

ARTABAZE

Je ne suis pas si sot qu’en dire davantage,

Je me condamnerais en tenant ce langage.

AMIDOR

Quelle bizarre humeur ?

ARTABAZE

Ce trait est captieux,

Afin que j’abandonne un titre glorieux :

Le donnant, je perdrais le pouvoir d’y prétendre.

Je dirai seulement, je suis cet Alexandre.

AMIDOR

Et qui dira le reste ?

ARTABAZE

Il faut bien sur ma foi,

Donner le titre à dire à quelque autre qu’à moi :

Puis je pourrai...

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