ACTE 1
SCENE 1
CLAUDE
Avant l’ouverture de rideau, on pourra passer la chanson « Femme, femme, femme » de Serge Lama.
A l’ouverture du rideau, on découvre Claude, un balai qu’elle serre dans ses bras et avec lequel elle entreprend des pas d’une danse langoureuse.
CLAUDE (chantant, sur l’air de Mon manège à moi) – Tu me fais tourner la tête, mon ménage à moi, c’est toi. Je suis toujours à la fête quand je te tiens dans mes bras. (Théâtrale à l’excès, tout en donnant un coup de balai et en envoyant la poussière sous l’armoire.) Poussière, tu n’es que poussière… (Au public.) Vous avez entendu ? Pas mal le ton, hein ?... (Epelant.) Ton, T O N, pas T H O N… Quand j’y pense, j’aurais dû faire du théâtre… (Réfléchissant.) Remarquez, pour me retrouver face à un public qui n’a aucun goût et qui n’y comprend rien ! Je ne parle pas de vous, hein… Quoique… (Elle sort un magazine télé de la poche de sa blouse et un crayon.) Alors… Voyons voir… En six lettres… Commençant par e. Survolté… J’hésite entre excité et énervé… Ceci dit, c’est pas tout à fait pareil… Tenez, mon beauf Maurice, eh ben quand il s’est marié avec ma sœur, elle l’excitait, maintenant, elle l’énerve… (S’adressant à un couple de spectateurs dans le public.) Je parie que c’est comme ça dans votre couple, hein ? Allez : faut pas me la faire à moi… Ce qui me gêne avec excité, c’est le x… Le x, je m’y vois pas… (Au public.) Vous non plus… (Contrariée mais sans plus.) Merci… (Reprenant son magazine.) Et là, en horizontal : nom des habitants de Chantilly… (Au public.) Vous n’en avez pas la moindre idée, je suppose ?... Je ne sais pas si ça vous fait ça, mais moi, plus je me creuse la cervelle, plus j’ai des trous de mémoire… Bon, on cause, là, et le ménage ne va pas se faire tout seul… Faut encore que je me tape le local à archives ; entre nous, j’aimerais autant me taper un mec, local ou d’une autre commune, je ne suis pas difficile. (A un homme du public.) Vous, par exemple, vous ne seriez pas libre après le spectacle ?... D’accord : je ne suis pas de la première fraîcheur mais faut être réaliste : vous non plus et je vous le redis : je ne suis pas difficile ! (Reprenant son balai et chantant à nouveau, sur l’air de La vie en rose.) Quand je le prends dans mes bras, je le passe comme ça, ce n’est plus l’heure de la pause… Je le passe dans le séjour, parfois même dans la cour, et ça fait quelque chose…
SCENE 2
CLAUDE, JEAN
On sonne avec insistance. Claude se dirige vers la porte d’entrée, en traînant les pieds. Elle a laissé son magazine sur la table basse.
CLAUDE – Et voilà ! On ne peut même pas travailler en paix ! Je vous jure, il y a des fois, on ferait mieux de ne rien faire ! Vous me direz, c’est ce que je faisais déjà hier, mais comme je n’avais pas fini…
Claude va ouvrir. Un homme est devant la porte d’entrée ; il a une mallette en main.
JEAN (enjoué) – Madame
CLAUDE (rectifiant) – Non, mademoiselle. (Soupirant, mais sans plus.) C’est pas que j’y tienne, mais c’est comme ça
JEAN (compatissant) – On ne fait pas toujours comme on veut
CLAUDE – Si vous êtes représentant en quoi que ce soit ou en autre chose, les patrons ne sont pas encore arrivés
Jean entre et serre vigoureusement la main de Claude.
JEAN – Grasset. Jean Grasset
CLAUDE – Tant mieux pour vous
JEAN (rigolant) – Parce que Jean Graisset, ce ne serait pas terrible. Jean Grosset non plus
CLAUDE – Vous en avez d’autres en stock ?
JEAN (spontané) – Oui : Jean Crasset
CLAUDE – Là, on doit avoir fait le tour
JEAN – A vérifier. (Réfléchissant.) Je n’ai pas de pelle mais il faudrait peut-être que je creuse davantage
CLAUDE – Et vous êtes là pour quoi au juste ?
JEAN – Société Millebureaux. (Déclamant.) Millebureaux, la copie sans défaut. Ca en jette, n’est-ce pas ? C’est le slogan de ma boîte. A ne pas confondre avec une boîte avec un seul gant… (Rigolant.) Slogan, seul gant
CLAUDE (un brin amusée) – Alors vous !
JEAN – Quand je suis lancé, c’est dur de m’arrêter
CLAUDE – Tout ça ne m’explique toujours pas ce que vous venez faire ici
JEAN – C’est vous qui nous avez appelés
CLAUDE – Moi ?
JEAN – Oui, enfin vos patrons ; c’est pareil
CLAUDE – Pas au niveau des salaires
JEAN – Je suis là pour la révision de la photocopieuse
CLAUDE – J’y suis
JEAN – L’important, c’est d’y rester !… A ce que j’ai compris, même si elle est encore jeune, on s’en sert beaucoup
CLAUDE (soupirant) – Tout le contraire de moi
JEAN – Celle-là, elle me plaît bien… Je vous parle de votre blague
CLAUDE (fataliste) – Il vaut mieux en rire
JEAN – Vous avez raison : de nos jours, les gens sont trop graves
CLAUDE – Comme les accents
JEAN – Bah dites donc : vous aussi vous aimez plaisanter à ce que je vois !... Au fait, vous le trouvez comment ?
CLAUDE – Quoi donc ?
JEAN – Mon accent. (Légèrement grivois.) Vous pensiez à autre chose je parie ?
CLAUDE – Non
JEAN (un brin déçu) – Ah ? L’accent, c’est parce que je suis Picard
CLAUDE – Ce sont des choses qui arrivent
JEAN – Quand je dis Picard, je ne vous parle pas de la marque, hein ?... Les congelés, très peu pour moi. Gelés ou pas d’ailleurs
CLAUDE – Un vrai festival !
JEAN – Pour être plus précis, je suis du département de la Somme, d’Amiens exactement
CLAUDE – Je compatis. En un mot, là aussi
JEAN – Ca fait seulement trois semaines que je suis à Paris pour le boulot
CLAUDE – Moi, ça fait trente ans
JEAN – Vous connaissez Amiens ?
CLAUDE – Non
JEAN – C’est presque au cœur de la Picardie. (Rigolant.) C’est mieux qu’une tachycardie au cœur ! (Donnant un coup de coude à Claude.) Pas mal celle-là non plus, hein ? On ne dirait pas mais ça cogite là-dedans !
CLAUDE – Ca a l’air
JEAN – Entre nous, Amiens, c’est vraiment une ville à découvrir
CLAUDE (sans grande conviction) – Oh ! Sûrement
JEAN – Pas attirante du premier abord mais qui gagne à être connue
CLAUDE – Tout comme moi
JEAN (sur sa lancée) – Avec une magnifique cathédrale à visiter, qu’on croie ou qu’on soit athée
CLAUDE – Sans doute, mais l’heure tourne et je crois qu’il faut se hâter
JEAN – Vous avez raison. Le travail avant tout, c’est ma devise
CLAUDE – La mienne serait plutôt tout avant le travail
JEAN – La bête est où ?... Je vous parle de la photocopieuse, hein
CLAUDE (désignant le local de la photocopieuse) – Là
JEAN – Dans notre jargon, on appelle cette pièce la salle de reproduction
CLAUDE (à l’homme du public qu’elle avait apostrophé) – Je vous y attends après le spectacle
JEAN – Bon. Je vais m’y atteler
CLAUDE – C’est ça : attelez-vous
JEAN – Il est possible que je fasse des allers-retours jusqu’à ma voiture ; ça va dépendre des travaux et s’il y a des pièces à changer
CLAUDE – Vous n’aurez pas besoin de sonner : la porte ne sera pas refermée à clé. Ce matin, avant votre arrivée, je l’avais fermée pour être tranquille. La porte, pas la bouche
JEAN – Je suis désolé d’avoir débarqué si tôt… J’avais même peur de ne trouver encore personne à cette heure-ci
CLAUDE – Perdu
JEAN – Navré si je vous ai dérangée en plein travail
CLAUDE – Le risque était minime
JEAN – Tant mieux. Allez Jean : au turbin !
Jean est entré dans le local de la photocopieuse. On sonne à nouveau.
CLAUDE – C’est pas vrai ! Il y a un complot ou quoi ? Une conspiration de casse-pieds ! Ah ! Il faut vraiment tout faire ici ! Et à force de tout faire, croyez-moi, on ne fait pas grand-chose !
SCENE 3
CLAUDE, PETULA
Claude finit par aller ouvrir, en traînant à nouveau les pieds. Une jeune femme se tient à l’entrée. Très maquillée, elle porte des talons très hauts et un tailleur très court. Elle a un sac à main en bandoulière.
PETULA (très expansive) – Bonjour !
CLAUDE (nettement plus distante) – Bonjour
PETULA – Je peux entrer ?
CLAUDE – C’est déjà fait il me semble
PETULA – Ah oui ! Je suis bête des fois
CLAUDE (ironique) – Si ce n’est pas tout le temps, c’est déjà ça
PETULA – C’est dingue : on fait des choses sans s’en rendre compte
CLAUDE – Ouais… Moi, même quand je ne fais rien, je ne m’en rends pas compte
PETULA – Je me présente
CLAUDE – Si ça vous fait plaisir
PETULA (spontanée) – Ah ça, le plaisir, c’est essentiel dans la vie, surtout pour une femme, pas vrai ?
CLAUDE (qu’on sent gênée) – Euh… Oui…
PETULA – Je suis Pétula
CLAUDE – Quézako ?
PETULA – Je sais : c’est très original. Moi, ça me plaît
CLAUDE – C’est déjà ça
PETULA – Et ça plaît aux hommes, c’est ça qui compte, non ?
CLAUDE – Ouais…
PETULA – Je remplace Germaine
CLAUDE (interloquée) – Germaine ?
PETULA – Oui, un machin comme ça
CLAUDE – Ca ne serait pas plutôt Georgette ?
PETULA – Voilà ! Georgette ! Un prénom de vieille quoi. (Directe.) Et le vôtre, c’est quoi ?
CLAUDE – Claude
PETULA – Ah ? (Cherchant à se rattraper.) C’est… particulier. Je pensais que c’était plutôt pour les hommes
CLAUDE – C’est androgyne
PETULA (qui n’a visiblement pas compris) – Je… Si vous le dites
CLAUDE – Si vous préférez, c’est comme Dominique ou Frédéric, ça fait deux sexes en même temps
PETULA (bas) – Je ne dis pas non
CLAUDE (sur sa lancée) – Quoique Frédéric, il y a q minuscule pour les filles
PETULA – Moi, j’en ai connu une de Frédérique, eh bien ce n’était pas le cas : un vrai camionneur la gonzesse… Remarquez, les camionneurs, j’aime bien, pas vous ?
CLAUDE – Hum…
PETULA – Et on ne vous a jamais prise pour un homme ?
CLAUDE – Rarement. Inversement, un homme m’a rarement prise
PETULA – Ca compense
CLAUDE – Ouais, on va dire ça… Dites, sans grand espoir, vous ne connaitriez pas le nom des habitants de Chantilly ?
PETULA – Oh là non ! Il y en a bien trop !
CLAUDE – C’est cela oui… (A elle-même.) Pour Chantilly, je n’en sais pas plus, mais là, on n’a pas la crème !
PETULA – Au fait, j’espère que ce n’est pas trop grave pour… Georgette… J’ai bon, là ?
CLAUDE – Oui, vous êtes bonne
PETULA – On me le dit souvent
CLAUDE – Elle s’est méchamment amoché l’épaule en patins à roulettes
PETULA – Les patins, j’adore !
CLAUDE – J’en suis convaincue
PETULA – Et vous, vous faites quoi ici ?
CLAUDE – Ca ne se voit pas ?... Pour l’instant, je vous écoute et c’est déjà pas mal. En théorie, le ménage, quand on ne m’empêche pas de le faire. En ce qui vous concerne, je suppose que c’est Monsieur Berthier qui vous a recrutée ?
PETULA – C’est Louis… Enfin, je veux dire c’est lui… Enfin, les deux quoi
CLAUDE – Moi, je ne l’appelle jamais par son prénom
PETULA – Il n’est pas encore arrivé ?
CLAUDE – Il ne devrait plus tarder
PETULA – Je me prendrais bien un café en l’attendant… J’ai besoin de me regonfler
CLAUDE (observant la poitrine de Pétula) – Pas de partout
PETULA – Faut vous dire qu’hier et avant-hier, j’étais en boîte
CLAUDE – Ca, c’est pas mon truc. Les guinguettes à la limite
PETULA – Vous devriez essayer : les boîtes, ça conserve
CLAUDE (avec un ton de complainte) – Les boîtes de conserve, je les digère mal
PETULA – J’espère quand même ne pas m’endormir face à l’ordinateur
CLAUDE – Ca ne risque pas de m’arriver : l’informatique, c’est pas mon truc non plus
PETULA – Et c’est quoi votre truc ?
CLAUDE – Je ne vous demande pas le vôtre
PETULA (toujours spontanée) – Vous pouvez
CLAUDE – J’ai ma petite idée…
PETULA – Vous savez, passer la journée devant un écran, ce n’est pas toujours une partie de plaisir
CLAUDE – Il vaut mieux devant que derrière
PETULA (allusive) – Ca dépend pour quoi…
CLAUDE – En plus, l’informatique, je m’en méfie… Mon beau-frère Maurice, il a commandé en ligne un livre « Comment arnaquer les gens sur Internet » eh bien il ne l’a jamais reçu
PETULA – Ah bah ça, ce n’est pas de chance… Alors : un café, ça vous tente ?
CLAUDE – Non merci. Le matin, j’aime bien me faire mon thé
PETULA (bas et à nouveau allusive) – Moi aussi, mais pas forcément dans le sens où on l’entend… et pas que le matin…
SCENE 4
Les mêmes, LOUIS
La...