Acte I
Scène 1 : Patrick puis Aline.
Patrick est en train de ranger méticuleusement des livres dans le petit meuble. On sonne.
Patrick. — Voilà ! Voilà ! (Il ouvre la porte d’entrée.) Ah ! bonjour, maman !
Aline, entrant, le magazine Marie Claire en main, qu’elle oubliera sur la table basse en partant. — Bonjour. Tu es seul, je suppose ?
Patrick. — Ben oui !
Aline. — Évidemment, je ne vois même pas pourquoi je te pose la question… (Promenant son regard dans l’appartement.) Alors, tu te plais dans ton nouvel appartement ?
Patrick. — Je n’y suis que depuis deux jours…
Aline. — Effectivement, ça fait un peu court pour juger. Comme le mariage, en somme.
Patrick. — ça, je ne sais pas trop.
Aline. — Hélas ! Remarque, ta tante Lucie a mis trente ans avant de se rendre compte qu’elle avait épousé un imbécile, comme quoi… (Laissant à nouveau promener son regard dans l’appartement.) Mais entre nous, je préférais quand même l’ancien.
Patrick. — Moi pas. Il était trop petit, trop vieux, trop bruyant et il sentait le renfermé.
Aline. — Tout le portrait de ton père !
Patrick. — Sympa pour lui.
Aline, du tac au tac. — Mais tellement vrai !
Patrick. — Ici, en revanche, écoute : aucun bruit… Le silence absolu !
Le téléphone sonne au même moment.
Aline, amusée. — Tu disais ?
Patrick, décrochant. — Allô !… Oui, lui-même… Ah ! bonjour !… Oui, oui, ça va bien, merci. Je… Oui, c’est-à-dire que… Non, non… Enfin, si vous voulez… C’est ça, à tout à l’heure. (Il raccroche.)
Aline, assise sur le canapé. — C’était qui ?
Patrick. — Une femme.
Aline. — Tiens donc ! (Directe.) Que je connais, j’espère ?
Patrick. — Oui…
Aline. — Ah ! ah ! Et tu ne me dis pas de qui il s’agit ?
Patrick. — C’était Pascale de Montclos.
Aline. — Oh ! oh !
Patrick. — Elle m’appelait pour me demander si elle pouvait me rendre visite.
Aline. — Et tu as accepté, à ce que j’ai compris ?
Patrick. — Oui…
Aline. — Mais c’est très bien, ça ! Très très bien ! J’ai toujours pensé que vous deviez avoir des tas de points communs.
Patrick. — Oh ! certainement ! (À lui-même.) Il suffit simplement de trouver lesquels.
Aline. — Vous avez tous les deux fait Centrale ; ça devrait vous rapprocher, tout de même !
Patrick. — Je te rappelle que ce n’était pas la même promotion.
Aline. — Peu importe ! Une bonne promotion, quelle qu’elle soit, ça se saisit ! Il ne faut pas manquer les bonnes affaires, surtout quand les stocks disponibles diminuent avec le temps.
Patrick. — Tu as de ces comparaisons…
Aline, embrayant. — Permets-moi de te rappeler que…
Patrick, récitant. — Que je me dirige vers mes 40 ans et qu’il serait grand temps que je songe à me caser, je sais !
Aline, avec évidence. — Ben, si tu le sais, pourquoi tu ne le fais pas ? Ce ne sont pas les occasions qui manquent !
Patrick. — Le problème, c’est que ce sont justement des occasions.
Aline. — Mon pauvre Patrick, j’ai bien peur qu’à ton âge, tu ne puisses plus trouver du neuf, même du neuf avec défauts d’aspect… Regarde ton cousin Paul : il vient de se fiancer avec une femme de 58 ans… Vingt-quatre ans de plus que lui ! Tu te rends compte ? Tu me diras que c’est mieux que rien et que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures…
Patrick. — Oui, mais attention au moisi !
Aline. — C’est pas fin, mais c’est parlant.
Patrick. — Tout comme Chantal Lemoine : grosse et bavarde.
Aline. — C’est vrai, mais c’était un bon parti.
Patrick. — Désolé, je ne fais pas de politique. Et jusqu’à preuve du contraire, l’amour n’a pas besoin d’argent pour exister.
Aline. — Ce sont les pauvres qui disent ça pour se consoler… Et puis l’amour de l’argent, ça existe !
Patrick. — Il ne m’intéresse pas.
Aline. — Tout comme Aude de Beaumont : elle non plus ne t’intéressait pas. Pourtant, elle avait de grandes qualités.
Patrick. — Oh ! sûrement, en cherchant bien !
Aline. — C’est sûr qu’il fallait creuser profond… Enfin, ne désespérons pas… Il nous reste encore Pascale de Montclos. Elle aussi est issue d’une vieille famille… Les textiles de Montclos, ce n’est pas rien !
Patrick, sans conviction. — Sans doute.
Aline, taquine. — Elle a toujours un faible pour toi, non ?
Patrick. — Oui, un faible un peu fort.
Aline. — Après tout, tant qu’il reste une femme…
Patrick. — … il y a de l’espoir.
Aline. — Tu sais : des fois, l’amour est à notre porte et on ne le voit même pas.
Patrick. — Si tu le dis !
Aline. — À propos, tu n’as pas encore rencontré tes voisins ?
Patrick. — Non. J’avoue que pour l’instant, ils ne sont pas envahissants du tout !
On sonne.
Scène 2 : Les mêmes, Josiane.
à peine Patrick a-t-il ouvert la porte qu’une femme, accoutrée sans goût, a pénétré dans l’appartement.
Josiane, très familière. — Bonjour !
Patrick. — Madame…
Josiane, corrigeant. — Holà ! Pas si vite : mademoiselle !
Patrick. — Ah ?
Aline, la dévisageant. — Oui, effectivement, c’est plus que plausible.
Patrick, rectifiant. — Mais provisoire.
Aline, un brin cynique. — Quoique là…
Josiane. — Je peux entrer ?
Aline, assez sèche. — C’est déjà fait, il me semble.
Josiane. — Ah oui ! C’est vrai ! On fait des fois de ces choses sans même s’en rendre compte !
Aline. — C’est fou, hein ?
Josiane. — Tenez, pas plus tard qu’hier, je regardais Maigret à la télé… Vous connaissez Maigret, bien sûr ?
Patrick. — Je n’ai pas de télévision.
Josiane. — Ah ? ça existe encore ? Enfin, ça vous regarde de ne pas pouvoir la regarder… (Comme subjuguée.) N’empêche, quel bel homme ce Maigret ! Quelle classe !… Bon, pour revenir à hier, pendant que Maigret cherchait le coupable, eh ben moi, en même temps, machinalement, je me suis mise à chercher mes lunettes… C’est dingue, vous trouvez pas ?
Patrick. — Oh ! très certainement !
Josiane. — Mais je me suis même pas présentée !
Aline, fausse. — Quel dommage !
Josiane. — Josiane… Josiane Mougin.
Patrick, avec gentillesse. — Patrick Gruissan. Et voici ma mère, Aline.
Aline, se forçant. — Enchantée.
Josiane. — En chantier, comme dirait mon frère Paulo… Il est dans le BTP, c’est pour ça !… (Rigolant.) Enchanté, en chantier…
Patrick. — Très bien, très bien…
Josiane. — Ouais, enfin, très bien, c’est vous qui le dites : c’est pas de tout repos comme job ! On pose des briques, mais on en gagne pas beaucoup.
Aline. — Nous n’en doutons pas une seconde, mais pourrions-nous savoir ce qui nous vaut l’honneur de votre visite, mademoiselle Mangin ?
Patrick, rectifiant. — Mougin, maman, Mougin.
Aline. — Oui, bon, machin ou truc, c’est kif-kif.
Josiane. — Ben pas tout à fait quand même ! Est-ce que j’ai une tête de truc, moi ? (Se reprenant.) Bon, pour tout vous dire, je suis votre voisine du dessous.
Patrick. — Nous parlions justement de vous, il y a cinq minutes à peine.
Josiane, très agréablement surprise. — De moi ?
Patrick, rectifiant. — Pardon, je voulais dire du voisinage en général.
Aline. — Faut pas exagérer non plus.
Josiane. — Ah ? Dommage… ça fait toujours plaisir quand les autres parlent de vous, même en mal… ça montre que vous existez… Alors ce matin, je me suis dit… Vous me direz qu’il y a qu’à moi que je peux me dire quelque chose, vu que je suis seule… Eh ben je me suis dit : Josiane, tu vas aller souhaiter la bienvenue aux nouveaux voisins.
Patrick. — C’est gentil.
Josiane. — Faut dire que ça m’occupe aussi…
Patrick. — Je vous offre un verre ?
Josiane. — C’est pas de refus… ça tire soif de grimper…
Patrick, qui s’est mis derrière le bar. — Un gin, ça vous va ?
Josiane, rigolant. — Le jean, ça me va pas : ça me sert trop au niveau des hanches !
Patrick. — Hum… Un petit scotch alors ?
Josiane. — Moi, le scotch, c’est sur la bouche qu’il faudrait me le mettre !
Aline. — Quel réalisme !
Patrick. — Vous préféreriez un whisky ?
Aline. — Whisky ou scotch, éternel débat !
Josiane, chantant, sur l’air de Starsky et Hutch. — Whisky ou scotch… Ta ta ta ta ta ta… Whisky ou scotch… ça vous rappelle rien ?… La série policière…
Patrick. — J’avoue que non.
Josiane. — C’est vrai que vous n’avez pas la télé… Remarquez, entre nous, question ambiance et rythme, ça vaut pas Maigret.
Patrick. — Alors, votre choix ?
Josiane. — Va pour le scotch.
Patrick. — Avec glaçons ?
Josiane, pouffant. — Pour une fille, une vie sans glaçons, c’est triste, non ?
Aline. — Amis poètes, bonjour !
Patrick, tendant un verre à Josiane. — Voilà. Scotch on the rocks !
Josiane, qui n’a visiblement pas tout compris. — Comme vous dites… (Prononcé à la française.) Thank you. (Après un temps.) Alors vous êtes là depuis deux jours, c’est ça ?
Patrick. — Affirmatif.
Josiane. — Affirmatif ! Le mot préféré de mon cousin Michou.
Patrick. — Il est dans l’armée ?
Josiane. — Non, pourquoi ? Il est coiffeur… Affirmatif… Coiffeur… Vous captez ?
Patrick. — Je… Oui, j’essaie de vous suivre.
Josiane. — C’est sûr qu’avec moi, faut embrayer ! Un brave garçon ce Michou, mais qu’est-ce qu’il cause !
Aline. — C’est sûrement de famille.
Patrick, amusé. — Si vous me permettez l’expression : c’est un coiffeur qui a donc du mal à la boucler… La boucler…
Aline, réprobatrice. — Patrick ! Si toi aussi tu t’y mets !
Patrick. — Ben quoi ! (Rigolant.) Tant que je ne frise pas le ridicule !
Aline. — Hum…
Josiane. — Vous verrez, vous serez bien dans notre immeuble… Les gens sont comme moi : très agréables. Enfin, dans l’ensemble… (Sur le ton de la confidence.) Parce qu’il y a des exceptions.
Aline. — Tiens donc !
Josiane. — Tenez, par exemple, prenez Mme Fruchard, ma voisine de palier. Enfin, quand je dis prenez, bon courage, vu le tour de taille ! Bon, eh ben c’est pas pour dire du mal, mais elle a pas inventé l’eau chaude. Le comble, c’est que son mari est chauffagiste ! Bon, c’est pas un prix Nobel lui non plus.
Aline. — Qui se ressemble s’assemble !
Josiane. — Comme vous dites. (Bas.) Entre nous, le père Fruchard, il flirte plus avec ses clientes qu’avec la finesse… Je ne vous ai rien dit, évidemment.
Patrick. — Évidemment.
Josiane, à Patrick. — Et sans être indiscrète, c’est pas du tout mon genre, hein. Vous êtes marié ?
Patrick. — Non, au grand dam de ma mère.
Josiane. — Oh ! mais je ne doute pas que votre mère soit une grande dame !
Aline, fausse. — Venant de vous, ça me va droit au cœur.
Josiane, à Aline. — Tout bien réfléchi, votre fils, il a de la chance dans son malheur.
Aline. — Et pourquoi donc ?
Josiane. — Parce qu’il y a pas mal de célibataires dans l’immeuble, à commencer par bibi… Un vrai nid ! À croire qu’on s’attire entre nous… L’avantage, c’est que ça offre des opportunités, pas vrai ?
Aline, ne portant pas grand intérêt aux propos de Josiane. — Sans doute.
Patrick, taquin. — Ma mère disait justement que l’amour est à notre porte.
Aline. — Des fois, il vaut mieux la laisser fermée.
Josiane. — Quoi donc ?
Aline. — La porte ou la bouche, au choix.
Josiane. — Ah ?… (Elle promène son regard du sol au plafond.) En tout cas, vous avez rudement bien aménagé l’appart… Sans vouloir juger ; ce que je déteste faire. Faut dire que les proprios d’avant n’avaient pas de goût !
Patrick. — Je reconnais qu’il y avait pas mal de travaux à réaliser : les murs, les plafonds…
Josiane. — Comme on dit : qui veut carreler bien aménage sa toiture !
Aline, avec ironie. — Un vrai festival d’humour !
Josiane. — Et comme le répète mon frère Paulo – vous savez, celui qu’est dans le BTP – les maisons, c’est comme les bonnes femmes : refaire du neuf sur du vieux, c’est pas évident… (À Aline.) J’dis pas ça par rapport à vous, hein, mais par rapport à l’appart.
Patrick. — Hum… Un autre verre ?
Josiane. — J’dis pas non… Rien ne vaut un remontant avant de redescendre, hein ?
Patrick, servant Josiane. — Heureusement que vous n’avez pas beaucoup de route à faire… Boire ou conduire, il aurait fallu choisir.
Josiane, avalant son verre d’une traite. — Moi, j’ai choisi : j’ai pas de voiture. (Observant à nouveau l’appartement.) Non, comme quoi on peut avoir du goût même si on est célibataire.
Aline, la dévisageant. — Il ne faut pas généraliser.
Josiane. — Bon, c’est pas que je m’ennuie en votre compagnie, mais faute d’un homme, j’ai mon repassage qui m’attend.
Patrick. — Ne le faites pas attendre, il risquerait de se froisser… (Rigolant.) De se froisser !
Josiane. — Alors vous, on dirait pas comme ça… On dit que mon frère Paulo c’est le roi de la déconne, eh ben vous, vous êtes un vrai prince sans rire !
Aline. — Bienvenue au royaume de la rigolade !
Josiane. — Vous m’amusez, là, mais à ce que je vois, vous avez encore du rangement à faire.
Aline. — Oui, et un peu de ménage aussi.
Josiane, avec naturel. — Effectivement. Ça s’impose !
Aline. — Là, je vous rejoins.
Josiane. — Où ça ?
Aline. — Ne cherchez pas.
Josiane. — Si je cherche pas, je risque pas de trouver… Tout le contraire de Maigret : j’sais pas comment il fait, lui, il cherche et il trouve tout seul.
Aline. — C’est comme vous avec votre chemin : vous le retrouverez bien toute seule, non ?
Josiane. — Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas, hein ? J’fais un peu la concierge dans l’immeuble.
Aline. — Un vrai rôle de composition, dites donc !
Josiane. — C’est aussi moi qui fais les vitres de l’entrée et qui nettoie les escaliers. Comme dit mon frère Paulo…
Aline, en écho. — Celui qui est dans le BTP.
Josiane, déclamant. — … Josiane, elle est jamais en panne !
Aline. — Quel slogan !
Josiane, avec fierté. — Hein ! Amis de la rime, ça frime !
Aline. — Vous en avez d’autres comme ça en réserve ?
Josiane. — Oui, des tas… Amis du quatrain, j’fais le plein… Amis de…
Aline, la coupant. — Oui, oui, ça ira pour aujourd’hui.
Josiane. — C’est comme avec le pastis, vous avez eu votre dose ?
Aline. — En quelque sorte.
Josiane, à nouveau sur le ton de la confidence. — J’allais oublier : n’allez pas frapper à la porte d’en face ; les anciens locataires ont quitté les lieux la semaine dernière et je ne sais pas quand les nouveaux seront là.
Patrick. — Merci du renseignement.
Josiane. — Et un dernier petit conseil : évitez de demander de l’aide aux voisins du rez-de-chaussée, ils ne sont déjà pas aidés eux-mêmes !
Aline, bas. — Ce doit être contagieux.
Josiane. — Ils ont bien fait d’être tout en bas : avec eux, ça vole pas haut… J’dis pas ça pour critiquer, naturellement.
Patrick. — Non, bien entendu.
Josiane. — Sur ce, je vous laisse en famille. À très bientôt !
Patrick, se forçant un peu. — Avec grand plaisir.
Josiane a (enfin) quitté l’appartement.
Scène 3 : Patrick, Aline.
Aline. — Des voisins pas envahissants, tu disais ?
Patrick. — Ce doit être l’exception.
Aline. — Je te le souhaite vivement.
Patrick. — Oh ! elle n’a pas l’air méchante !
Aline. — Si tu me permets l’expression : pas méchante, mais chiante.
Patrick, amusé plus que choqué. — Oh ! maman !
Aline. — Eh oui ! Ça m’arrive de me lâcher !
Patrick. — Je vois ça.
Aline. — Sur ces bonnes paroles, je vais aller faire des courses… Tu as besoin de quelque chose ?
Patrick. — Qu’est-ce que tu veux encore me refourguer ? Entre les femmes et les vêtements, j’ai eu ma ration.
Aline. — Ce que tu peux être bougon !
Patrick, taquin. — L’hérédité, maman, l’hérédité…
Aline. — Effectivement : tout le portrait de ton père… Je reviendrai faire un saut tout à l’heure.
Patrick. — Comme tu voudras.
Aline. — Tu comprends : j’aimerais bien savoir comment ça s’est passé avec Pascale.
Patrick. — Et si par hasard j’étais absent ?
Aline. — Je te rappelle que j’ai le double des clés de ton appartement. (Humant.) Mais dis, ça sent le brûlé, non ? Tu cuisines ou tu repasses ?
Patrick, réagissant. — Tu as raison, j’ai laissé une casserole sur le feu !
Aline. — Ah ! je me demande vraiment ce que tu ferais sans moi !
Patrick. — Des tas de choses, si tu savais !
Aline. — Alors je ne préfère pas savoir.
Patrick, avec un sourire en coin. — Au fait, j’aurais un bouton à recoudre sur ma chemise bleue…
Aline quitte l’appartement.
Patrick file en cuisine et en revient presque aussitôt ; il a mis un tablier et a une casserole en main.
Scène 4 : Patrick, Émilie.
On sonne.
Patrick. — Décidément !
Patrick va ouvrir. Sur le pas de la porte se tient une très charmante jeune femme, vêtue d’un peignoir ultra court.
Émilie, avec entrain. — Bonjour !
Patrick, sous le charme, ne cessant de dévisager Émilie des pieds à la tête. — Bon… Bonjour… Si c’est pour un sondage, je suis prêt à vous donner mon opinion.
émilie. — Oh non ! C’est pour mon bikini.
Patrick, surpris. — Votre…
Émilie, avec évidence. — Oui, c’est ce qu’on met pour aller à la plage ou à la piscine. Vous voyez pas ?
Patrick. — Merci du renseignement mais…
émilie. — Quoique souvent, je me baigne sans rien, ça ne me dérange pas.
Patrick. — Ah ? Oh ! mais moi non plus ça ne me dérange pas que vous… (Se reprenant.) Enfin je voulais dire que…
émilie. — Pour revenir à mon bikini, il est tombé sur votre balcon.
Patrick. — Pardon ?
émilie. — Oui, j’ai oublié de vous dire : je suis votre voisine du dessus.
Patrick. — Ah ?… Enchanté…
émilie. — Je m’appelle Émilie.
Patrick. — C’est… C’est joli tout plein.
émilie. — Ouais, j’aime bien. En général, ça plaît aux hommes. (Directe.) D’ailleurs, je vous plais ?
Patrick, confus. — Je…
émilie. — ça a l’air. Et vous vous appelez comment ?
Patrick. — Patrick.
émilie. — ça existe encore, ça ? (Se reprenant.) Enfin, c’est comment dire… spécial… ça fait un peu siècle dernier. Et ça plaît quand même aux femmes ?
Patrick. — ça, je ne sais pas trop…
émilie. — Je parie que ça ne vous est jamais arrivé ce genre de mésaventure.
Patrick. — Ben non ! Faut dire que je ne mets pas de bikini, moi.
émilie. — Vous êtes marrant.
Patrick. — Et puis, où j’habitais avant, il y avait peu de risques : la voisine du dessus avait 87 ans alors…
émilie. — Vous me direz, elle aurait pu laisser tomber sa gaine.
Patrick, amusé. — Vous aussi vous êtes drôle…
émilie. — Pas que ça d’ailleurs.
Patrick. — Oh ! sûrement !
Émilie, toujours directe. — Et vous vivez seul ?
Patrick. — Je… Oui.
émilie. — ça arrive. Donc, ce n’était pas votre dame que j’ai aperçue sortir de chez vous ?
Patrick. — C’était ma mère.
émilie. — Ah ? (Un brin gênée.) Enfin, je ne l’ai vue que de dos, hein…
Patrick. — Et vous ?… Enfin je veux dire…
émilie. — Moi ? Je n’ai rien à cacher.
Patrick, reluquant ses jambes découvertes. — Je vois ça.
émilie. — Les hommes, c’est un peu comme les yoyos : ça va, ça vient.
Patrick. — J’ai jamais su jouer à ce jeu-là, moi.
émilie. — Il y en a qui ont le cul entre deux chaises, moi c’est entre deux mecs.
Patrick. — C’est imagé.
émilie. — D’aucuns diront que j’ai pas froid aux yeux.
Patrick. — Pas qu’aux yeux d’ailleurs.
émilie. — Je suis comme ça ! On ne se refait pas, hein ?
Patrick. — Dans votre cas, si vous le permettez, ce serait vraiment dommage.
émilie. — Vous êtes gentil.
Patrick. — C’est ce que répète ma maman : qu’est-ce qu’il est gentil mon petit Patrick ! À force de le répéter, ça m’agace un peu, mais c’est ma maman alors…
émilie. — Et vous bossez dans quoi ?
Patrick. — Je suis mathématicien.
émilie. — Alors là, je m’en serais doutée !
Patrick. — Ah ?
émilie. — Oui, en vous voyant, je me suis dit : ce mec-là, il doit être comptable, enfin un machin comme ça, pas très fun quoi.
Patrick. — Vous savez, vous avez tort : ça peut être passionnant de jongler avec les chiffres.
émilie. — Moi, c’est plutôt avec les gars. Chacun son truc, vous me direz.
Patrick. — Pour être plus précis, je suis statisticien.
émilie. — Et ça se soigne ?
Patrick. — J’étudie des graphiques, des courbes.
émilie. — Un peu comme Enzo alors… Oui, lui, il étudiait mes courbes… Pourtant, il était pas statique… enfin comme vous dites… (Prenant la pose.) Et vous, vous en pensez quoi de mes courbes ?
Patrick, confus. — Ben… euh… en tout cas, je ne m’en gausse pas.
Émilie, qui n’a pas compris. — Pardon ?
Patrick. — La courbe de Gauss, vous connaissez ?
émilie. — Ben non… C’est une amie à vous ?
Patrick. — Disons que je l’ai bien étudiée… Et vous, vous travaillez dans quel secteur ?
émilie. — Je suis hôtesse d’accueil.
Patrick. — ça vous va bien.
Émilie, taquine. — Tout comme mon peignoir, non ?
Patrick. — Euh… oui.
émilie. — De temps en temps, je travaille aussi pour des revues.
Patrick. — Comme moi.
Émilie, étonnée. — Ah bon ?
Patrick. — Oui, j’écris pour des revues. Mais ça ne doit sûrement pas être les mêmes.
émilie. — Dans les miennes, il y a beaucoup de photos.
Patrick. — Vous voulez dire que les textes sont plus dépouillés ?
émilie. — Oui, et pas que les textes, si vous voyez ce que je veux dire…
Patrick. — Je m’imagine assez bien, oui.
Le portable d’Émilie sonne. Elle décroche.
émilie. — Encore toi ? Je t’avais dit que je ne voulais plus que tu m’appelles ! C’est fini entre nous ! Fini ! T’as compris ? (Elle raccroche.) Pardon… C’était un ex… Max, je crois… (Après un temps.) Oui, c’est ça, Max, c’est bien ce prénom… Pour être plus précise, c’était mon ex de la semaine dernière.
Patrick, philosophe. — Souvent femme varie.
émilie. — Moi, j’ai un principe : les hommes, c’est comme les fringues, faut en changer souvent et jeter les usagés !
Patrick. — ça, faudrait l’expliquer à ma mère. Elle a la manie de tout conserver : les vêtements et le reste.
émilie. — Son mari aussi ?
Patrick. — Oui… Quarante ans qu’ils sont ensemble.
émilie. — C’est beau ! Moi, ça n’a jamais dépassé le trimestre… Faut dire que jusqu’à présent, je ne suis pas tombée sur la perle rare.
Patrick. — Vous êtes peut-être trop difficile ?
émilie. — Sans doute. Mon souci, c’est qu’au départ, je suis irrésistiblement attirée par les hommes virils.
Patrick, une pointe de déception dans la voix. — Ah…
émilie. — Une paire de muscles et je fonds tout de suite ! J’y peux rien !
Patrick, même ton. — Ah…
émilie. — Mais au bout de quelques jours, je finis par me lasser… J’aimerais tellement pouvoir enfin rencontrer quelqu’un avec qui engager des discussions… comment dire… plus… élaborées.
Patrick. — Culture et culturisme ne font donc pas bon ménage chez les hommes ?
émilie. — C’est plutôt moi qui fais le ménage avec les hommes… Allez, circulez, j’en ai assez vu ! Heureusement, jusqu’à présent, ça s’est toujours bien terminé… ou pas trop mal.
Patrick. — Avec le dernier en date, ça ne m’a pourtant pas l’air terrible…
émilie. — Le problème avec lui, c’est qu’il ne supporte pas que je l’aie quitté… (S’emportant.) Ben, il croit quoi ? Non mais oh ! C’est pas parce qu’on a été un jour ensemble…
Patrick. — Seulement ?
Émilie, rectifiant. — Pardon : un jour et deux nuits exactement.
Patrick. — Ah oui ! Ça change tout !
émilie. — Heureusement, comme avec presque tous mes ex, on est allés chez lui et j’ai pris soin de ne pas lui donner mon adresse… Finalement, il ne connaît que mon prénom.
Patrick, un brin espiègle. — Et votre numéro de portable.
émilie. — Ouais, j’avoue que j’ai pas été futée sur ce coup-là.
Patrick. — Vous ferez mieux la prochaine fois.
émilie. — Vous voyez, Max, c’est vraiment le stéréotype des types que je rencontre ! Musclé de partout, sauf du cerveau ! Même pas le strict minimum !
Patrick, regardant le peignoir d’Émilie. — Ah ça ! Le strict minimum !
émilie. — Avec lui, le romantisme, connaît pas ! Tenez : quand je lui ai dit que je rêvais d’une croisière sur le Rhin, il m’a répondu en rigolant niaisement que lui, il préférait une croisière sur mes reins !
Patrick, rêveur. — C’est sans doute une autre aventure.
émilie. — Le souci, c’est que maintenant, je ne sais pas comment m’en débarrasser de ce lourdaud… Il n’arrête pas de m’appeler ! Un vrai morpion, le mec !
Patrick. — Si j’étais vous, je lui dirais tout simplement que je suis avec un autre… ça lui clouerait le bec !
Émilie, après un temps. — Oui, vous avez raison… Mais faudrait pas qu’il tombe sur l’autre… Il le fracasserait direct, l’autre.
Patrick. — Aïe !
émilie. — L’ennui, c’est que je ne suis avec personne en ce moment.
Patrick, qui ne peut cacher son intérêt. — Ah ?
émilie. — Enfin, ça ne durera pas.
Patrick. — J’en suis persuadé.
Émilie, réfléchissant. — Quoique ça fait déjà trois jours… Je ne vais pas tarder à être en manque, moi ! (Après un temps.) Bon, et si je le prenais ?
Patrick. — Quoi donc ?
Émilie, avec naturel. — Ben, mon bikini, pas mon pied !
Patrick. — Je… Je vais aller vous le chercher. (Il gagne la...