ACTE I
Scène 1
Maude, Roger
Au lever du rideau, la scène est vide. Le téléphone sonne. Après quelques sonneries, Maude arrive de la cuisine. Elle porte un tablier de cuisine et des moufles anti-chaleur. Elle essaie d’attraper le combiné et après quelques tentatives elle enlève une de ses moufles.
Maude. – Allô !… Jeanne, c’est toi, ma chérie !… Alors, ça a bien roulé ?… Eh bien, nous, on vous attend. Vous pensez arriver dans combien de temps ?… Déjà ! Mais vous êtes où ?… Ah oui ! En effet ! Mais je ne suis pas prête, moi, et ton père est encore dans son jardin. Passez donc par le château du Breuil… Voilà, faites-leur visiter les coins pittoresques de la région… Comment ?… Mais si, cela me fait plaisir de vous avoir tous les quatre à la maison, mais je n’ai pas fini ma cuisine, alors prenez votre temps. Roulez doucement ! À tout à l’heure, ma chérie ! (Elle raccroche, renfile sa moufle et va à la porte-fenêtre qu’elle essaie d’ouvrir. Elle retire de nouveau sa moufle et ouvre. Elle appelle son mari.) Roger ! Roger ! Les enfants arrivent dans quelques minutes ! Va te changer ! Comment ?… Ah non ! Tu ne vas pas les recevoir dans cette tenue !
Roger est sur le pas de la porte. Il porte une casquette, des grosses chaussures en plastique, un pantalon sale, une chemise à carreaux à moitié sortie de son pantalon et une paire de gants verts de jardin.
Roger. – Quoi ? Qu’est-ce qu’elle a ma tenue ? (Il pose le râteau qu’il tient dans la main et va pour entrer.)
Maude. – Ah non ! Tu ne rentres pas dans la maison avec tes chaussures de jardin. Regarde, tu as cochonné toute la terrasse. Moi qui voulais que tout soit impeccable pour leur arrivée, c’est réussi !
Roger. – On ne reçoit pas la reine d’Angleterre, tout de même ! (Il va pour entrer.)
Maude, le retenant, une main sur le torse de son mari. – Retire tes chaussures !
Roger. – Tu ne vas pas te mettre dans cet état à chaque fois que Pascal et Jeanne reviennent de Paris passer un week-end ! (Il va pour entrer.)
Maude. – Retire tes chaussures ! (Roger s’exécute.) Cela t’est peut-être égal de salir ta terrasse que tu as nettoyée ce matin, mais tu ne saliras pas ma maison avec tes souliers crottés !
Roger, entrant. – Maude, ma chérie, tu ne changeras jamais ! On est à la campagne, ce n’est que de la terre ! C’est « noble » la terre !
Maude. – La terre, c’est très « noble » dans ton potager, peut-être, mais sur mon tapis de salon, c’est très moche. Et tu me rangeras ton râteau, là.
Roger. – D’accord ! J’y vais !
Maude. – Non ! Va te changer d’abord !
Roger. – Faudrait savoir ce que tu veux, ma chérie !
Maude. – Ce que je veux, c’est le bonheur de mes enfants. Et là, ils viennent ce week-end nous présenter leurs petits amis. Je crois que tu ne te rends pas compte. Et tous les deux en même temps. Alors depuis le temps que l’on attend ce moment, ne va pas tout gâcher !
Roger. – Avec des chaussures de jardin et un râteau ?
Maude. – Roger, c’est la première fois que Pascal nous présente une possible fiancée !
Roger. – À trente-quatre ans, il va être temps ! Je me suis souvent demandé si notre fils n’allait pas finir curé ou pédé… Remarque : l’un n’empêche pas l’autre !
Maude. – Voilà ! Voilà ce que je ne veux pas, ce week-end ! Ce genre de réflexions déplacées ! On ne va pas décourager cette demoiselle en se comportant n’importe comment. Pour le copain de Jeanne, c’est pareil : pas de réflexions machos dont tu as l’art de pimenter les soirées.
Roger. – Oui mais moi, je n’aime pas être hypocrite, et tu ne vas pas me faire jouer le rôle du beau-papa gâteau et gâteux.
Maude. – Fais juste un petit effort, Roger ! On va enfin voir nos enfants s’épanouir en couple, et peut-être aura-t-on un jour des petits-enfants…
Roger. – C’est surtout ça qui t’intéresse. Tu rêves plus d’être une grand-mère que ta fille d’être une mère.
Maude. – C’est vrai, mais j’ai tellement hâte de pouponner de nouveau !
Roger, moqueur. – Et quand ça arrivera, tu préfères qu’on t’appelle mémé ou mémère ?
Maude. – Oh non ! Quelle horreur ! Je préférerais tout simplement Maude ou mamie Maude. Allez ! Va te changer et retire-moi ces gants ridicules !
Roger, plaisantant. – J’avais pensé que pour recevoir la reine d’Angleterre et le prince de Monaco ce serait la moindre des choses. Tu portes bien des moufles, toi !
Maude. – Mais je travaille, moi, monsieur !
Roger. – Madame la future grand-mère, permettez que je vous baise la moufle ! (Il se met à genoux et lui embrasse la moufle.)
Maude, riant. – Tu es bête !
Roger, se levant avec difficulté. – Ouh ! Mes reins !
Maude. – Alors, on veut jouer les jeunes hommes et on a des douleurs de grand-père ! Allez, papy Roger, va te changer ! Je t’ai préparé ta chemise bleue et ton pantalon noir. J’ai posé tout ça sur notre lit.
Roger, se dirigeant vers la chambre. – Merci. (Fronçant les sourcils et humant l’air.) Oh ! ça ne sent pas le brûlé, là ?
Maude. – Oh ! flûte ! Mes gâteaux ! (Elle sort en courant.)
Roger, au public, en riant. – Ça fait trente ans que je lui fais le coup du « ça ne sent pas le brûlé » et ça marche à chaque fois ! (Il sort.)
Scène 2
Jeanne, Axel, Maude, Pascal, Axelle, Roger
Jeanne et Axel arrivent par la porte-fenêtre avec chacun un sac de voyage. Axel est un peu efféminé mais sans être caricatural.
Jeanne, appelant. – Maman ! Papa ! Hou ! hou ! Il y a quelqu’un ? (À Axel.) Papa est sûrement à l’intérieur, je vois qu’il a laissé ses chaussures ici. Viens, entre, Axel ! Pose ton sac là !
Axel. – C’est vachement grand, dis-moi ! Et le terrain, il est immense !
Jeanne. – Ah oui ! Ça c’est le domaine de mon père. Sa pelouse, son potager, il y passe plus de temps que devant sa télé !
Axel. – Au moins, c’est plus sain et ça prouve qu’il ne s’ennuie pas. Ça fait longtemps qu’ils sont à la retraite tes parents ?
Jeanne. – Papa cinq ans, et maman ça fera deux ans en janvier.
Axel. – Pascal m’a dit que ta mère était assez émotive…
Jeanne. – Oui, elle a la larme facile, si tu vois ce que je veux dire… (Appelant.) Maman ! (Elle ouvre la porte de la cuisine.) Maman, tu es par là ?
Maude, de la cuisine. – Ah ! vous êtes arrivés ! (Elle entre en s’essuyant les mains sur son tablier.) Bonjour, ma chérie !
Jeanne. – Bonjour, maman ! (Elles se font la bise.)
Maude. – Bonjour, jeune homme ! Alors vous, vous êtes Axel, forcément !
Axel. – Oui, c’est bien ça. Bonjour, madame ! (Ils se serrent la main.)
Maude, à Jeanne. – Où est ton frère ?
Jeanne. – Avec Axelle. Ils arrivent, ils sortent les autres bagages de la voiture.
Axel. – Ben tiens, les voilà !
Pascal, entrant. – Bonjour, ma petite maman ! (Pascal aussi est assez maniéré mais sans exagération.)
Maude. – Bonjour, mon poussin !
Pascal. – Oh ! tu as l’air en forme ! Depuis le temps que l’on n’est pas revenus, vous nous avez manqué avec papa !
Maude. – Mais vous aussi, mes trésors, vous nous avez manqué ! (Elle sort un mouchoir et essuie une petite larme au coin de son œil.)
Jeanne. – Oh non ! Maman, tu ne vas pas te mettre à pleurer…
Maude. – Je suis si heureuse de vous revoir ! (Elle range son mouchoir. Axelle entre par la porte-fenêtre.) Bonjour, mademoiselle !
Axelle. – Bonjour, madame ! Moi, c’est Axelle.
Maude. – Oui, oui ! J’ai bien cru comprendre que nous allions avoir deux « Axel » sous notre toit ce week-end. C’est quand même une sacrée coïncidence que mes deux enfants trouvent un et une amie qui portent le même prénom !
Roger revient de la chambre. Il s’est changé.
Roger. – Ah ! mais oui, ils sont là ! Il me semblait bien que j’avais entendu des portes de voiture claquer ! Bonjour, les enfants !
Jeanne. – Bonjour, mon petit papa !
Pascal. – Bonjour, papounet !
Roger. – Alors laissez-moi deviner : vous, c’est Axelle, et vous, Axel ?
Axel. – C’était pas trop dur ! Bonjour, monsieur Louvin !
Roger. – Oh non ! Vous allez commencer par m’appeler Roger et on va pas se faire de cinéma, d’accord ?
Axel. – Ça marche, Roger !
Axelle. – Bonjour, Roger ! (Elle lui serre une poignée de main ferme.)
Roger. – Oh ! mais vous avez de la poigne, dites-moi ! En fait, avec les demoiselles, moi, je préfère la bise. (Il lui fait deux bises.)
Maude. – Alors, pas trop de bouchons sur l’autoroute ?
Jeanne. – Si ! À la sortie de Paris, sur dix kilomètres. Ensuite jusqu’à Chartres c’était assez chargé, mais après on est arrivés jusqu’ici sans encombre.
Roger. – C’est toi qui as fait toute la route ?
Jeanne. – Non, non ! Axelle m’a relayée à mi-parcours.
Maude, à Axel. – C’est bien de se partager les tâches, dans la vie. C’est une preuve de respect mutuel.
Axel. – Ah ! mais ne me regardez pas comme ça ! C’est pas moi qui ai pris le volant !
Roger. – Comment ça ?
Axelle. – Non ! C’est moi qui ai fait les deux cents derniers kilomètres.
Pascal. – Oui, Axelle a l’habitude, elle est routière !
Axelle. – Routier ! Pascal, même pour une femme qui conduit un camion on dit « routier ».
Roger. – Ah bon ! Alors ce sont les deux filles qui ont conduit ?
Maude. – Eh oui ! Les temps ont changé, mon chéri.
Roger. – Eh ben, je peux te dire que moi, à mon époque…
Jeanne. – Oui, on sait, papa : tu ne te serais pas laissé conduire par une femme.
Axel. – Même pas par la vôtre ?
Pascal. – Surtout pas par la sienne !
Maude. – Il dit « à mon époque », mais c’est toujours le cas aujourd’hui.
Roger. – Oui mais quand tu conduis, ça me stresse.
Maude. – Non, quand je conduis, tu me stresses !
Jeanne. – Sujet tabou ! On parle d’autre chose ?
Axelle. – Oh ! mais alors nous, ils ne nous ont pas emmerdées ! Ils se sont assis tous les deux à l’arrière et on les a pas entendus.
Roger. – C’est parce qu’ils étaient trop angoissés !
Jeanne. – Je ne pense pas, non !
Axelle. – Tu parles ! Ils roupillaient à peine sortis de Paris !
Pascal. – Non, moi je ne dormais pas vraiment. Je me suis peut-être assoupi cinq minutes, et encore !
Jeanne. – Oui, bien sûr ! À un moment j’ai même failli m’arrêter, je trouvais qu’il y avait un bruit bizarre dans la voiture, comme un sifflement…
Axelle. – On aurait dit comme si la courroie de l’alternateur patinait. Et en fait, c’était Pascal qui ronflait comme un quatre cylindres !
Pascal. – Alors ça, ça m’étonnerait !
Jeanne. – Si, je t’assure !
Axelle. – Quand je me suis retournée, tu avais la joue plaquée contre la vitre de la portière avec un filet de bave qui coulait sur ton tee-shirt !
Pascal, vexé. – Sûrement pas ! Ben, dis-leur, Axel ! Défends-moi, au moins !
Axel. – Moi, j’en sais rien, figure-toi ! J’ai dormi dès la porte de Saint-Cloud ! La voiture, ça me berce… À chaque fois, au bout de cinq minutes, paf ! j’suis dans les vapes !
Roger, moqueur. – Alors, quand vous conduisez, mettez un oreiller sur le volant, ce sera plus confortable !
Axel. – Au volant ? Moi ? Ça risque pas, j’ai pas de permis !
Roger. – C’est pas vrai ! Vous vous l’êtes fait piquer ? Ça m’étonne pas, avec tous les radars qu’ils nous collent partout ! Eh ben, je peux vous dire que moi, à mon époque…
Jeanne. – Oui, on sait, papa : il n’y avait pas de limitations et tu roulais comme un fou.
Roger. – Et on risquait pas de se faire gauler à chaque coin de rue ! Alors, Axel, il y a longtemps que vous êtes sans permis ?
Axel. – Oh oui ! Cela fait pas mal de temps, en fait. Depuis ma naissance ! (Il rit.)
Roger. – Quoi ? Vous n’avez jamais passé le permis ? Mais comment c’est possible ça ?
Maude. – Oui, Axel, que voulez-vous, mon mari est persuadé que pour être un homme, un vrai, il faut savoir faire ce genre de chose…
Roger. – Oui mais sans permis, on est quand même handicapé !
Axel. – À Paris, c’est plutôt les conducteurs, bloqués dans les bouchons, qui ont l’air d’être handicapés !
Pascal. – Et puis, dans la capitale, entre le bus, le métro, le RER, le TGV et l’avion, tu n’as que l’embarras du choix pour te déplacer, papa.
Roger. – Oui mais ici, à la campagne, celui qui n’a pas de permis il est coincé dans son village. Il ne mange pas. La boulangerie : neuf bornes. Le supermarché : vingt-sept bornes. Si tu conduis pas, tu maigris très vite !
Maude. – Et vous, Axelle, avec votre camion, ce n’est pas trop compliqué dans les rues de Paris ?
Axelle. – J’y vais jamais dans Paname. De toute façon, avec mon magnum, je n’ai pas le droit d’y entrer.
Pascal, étonné. – C’est pas vrai ! T’as un flingue dans ton camion ?
Axelle. – Ben non ! Pourquoi tu dis ça ?
Pascal. – Tu viens de dire que tu avais un magnum.
Axel. – Mais il est bête, lui ! T’as rien compris, mon grand ! Un magnum c’est pas un pistolet, c’est un esquimau !
Axelle. – Oh ! les blaireaux ces deux-là ! Mon magnum c’est mon gros cul, enfin mon bahut, quoi : un Renault Magnum, cinq cents chevaux sous le capot, boîte séquentielle vingt-quatre rapports, quarante-quatre tonnes de charge utile. C’est autre chose que ta Clio, mon petit Pascal !
Pascal. – Quoi, ma Clio ? Elle est très bien ma Clio ! Cinq chevaux sous le capot, boîte manuelle cinq rapports, trois cents kilos de charge utile, et alors ?
Maude. – Bon, eh bien, ne restez pas là debout ! Tenez, installez-vous par ici, je vais aller vous chercher quelque chose à grignoter.
Jeanne. – Tu veux de l’aide, maman ?
Les quatre jeunes s’asseyent.
Maude. – Tu es gentille, ma puce, mais ça va aller ! Roger, mon chéri, tu veux bien aller chercher une bouteille à la cave ?
Roger. – Je ramène quoi ? Du blanc ou du rosé ?
Maude. – Tu le fais exprès ou quoi ? On ne va pas boire du vin à cette heure-là !
Roger. – Ah bon ? Pourquoi ? Moi, ça ne me dérange pas !
Maude. – Tu nous rapportes une bouteille de clairette de Die ou du cidre bouché.
Roger. – D’accord ! (Il va pour sortir.) Il y a une drôle d’odeur qui vient de la cuisine…
Maude. – Tu crois ?
Roger. – Vous ne sentez pas, les enfants ?
Jeanne. – J’ai l’impression… On dirait du caramel…
Axel. – Moi, je ne sens rien.
Pascal. – Si, maman, je t’assure, il y a quelque chose qui brûle !
Maude. – Oh ! ce n’est pas vrai ! Mes tartelettes ! (Elle sort en courant.)
Roger, Pascal et Jeanne rient dès que Maude est sortie.
Axelle. – Elle a fait cramer des tartelettes et ça vous fait marrer !
Axel. – Oui, là, vraiment, j’ai pas compris le délire. Je ne vois pas ce qu’il y a de risible.
Pascal. – Attendez, on va vous expliquer : on essaie tout le temps de faire croire à maman que ça sent le brûlé…
Jeanne. – Cela fait des années qu’on arrive à la piéger ! Elle doute, alors on insiste, et elle finit toujours par aller vérifier si rien ne brûle dans la cuisine.
Roger. – Parfois on arrive à l’avoir matin, midi et soir !
Jeanne. – Le matin, c’est les tartines dans le grille-pain !
Pascal. – Le midi, les steaks sur le gaz !
Jeanne. – Le soir, un plat dans le four ! C’est devenu notre sport familial !
Roger. – La tradition dans la famille Louvier ! Bon, je vais chercher les boissons. (Il sort.)
Scène 3
Axel, Axelle, Jeanne, Pascal
Axel. – Finalement, ils sont plutôt cool vos parents. Moi je les avais imaginés aigris, renfrognés !
Axelle. – Oui, vu la description que vous nous en aviez faite, on s’attendait à pire.
Jeanne. – On n’a pas été élevés chez les Ténardier, non plus !
Axelle. – Non mais vous nous aviez dit : « Papa il est vieille France, il est resté sur ses vieux principes ringards. »
Axel. – Chaque fois que l’on a parlé de venir ici, il y avait toujours une excuse au dernier moment, un prétexte pour ne pas venir. Vous voyez que ça s’est bien passé, en fait !
Pascal. – Ne parlez pas trop vite ! Ça ne fait que cinq minutes qu’on est là.
Axelle. – Moi j’ai l’impression que vous vous êtes fait un film tous les deux et que finalement, vos parents, ils nous acceptent comme on est, tout simplement !
Axel. – Moi qui redoutais ce week-end depuis longtemps, finalement, l’accueil était… comment dire… chaleureux !
Jeanne. – Attendez ! Un week-end, c’est deux jours. (Un long silence.) Et puis, je devais leur parler, et en fait, je n’ai rien dit.
Pascal. – Moi non plus, je n’ai rien dit. J’avais peur de la réaction de papa.
Axelle. – Écoutez, les parents, qu’est-ce qu’ils veulent ? Le bonheur de leurs enfants. Eh bien, là, ils voient deux couples qui s’aiment. Que veux-tu qu’ils espèrent de plus ?
Jeanne. – C’est vrai, tu as raison, mais…
Axelle, lui coupant la parole. – Mais rien du tout ! Arrête de te faire de la bile !
Axel. – Et puis Roger, avec son air faussement macho, moi je le trouve plutôt attachant.
Pascal. – Non mais vous ne comprenez pas, là, ou vous le faites exprès tous les deux ? Quand on vous dit qu’on ne leur a rien dit, on ne leur a rien dit du tout !
Axelle. – C’est pas vrai !
Jeanne. – Eh bien, si !
Axel. – Mais pourquoi ?
Pascal. – Mais vous savez très bien pourquoi !
Axelle. – Alors ce n’était pas la peine de nous raconter des bobards et nous dire : « Papa l’a très bien pris. »
Axel. – Oui, ou alors : « Maman était folle de bonheur. »
Pascal, à sa sœur. – Je t’avais dit, Jeanne, que c’était une connerie de venir tous les quatre en même temps.
Jeanne. – Mais j’avais pensé que l’on aurait plus de courage ensemble… Je n’ai pas cru une seconde que les parents allaient croire…
Pascal. – Mais si ! Si ! Bien sûr que si ! C’était évident ! Il fallait réfléchir avant !
Jeanne. – Monsieur est toujours plus malin que les autres !
Roger entre, une bouteille à la main.
Pascal. – Eh bien, va annoncer ça aux parents, toi, maintenant !
Scène 4
Axel, Axelle, Jeanne, Pascal, Roger, Maude
Roger. – Alors, toujours en train de vous chamailler, tous les deux ? (Aux deux Axel(le).) Déjà tout petits c’était sans cesse : « Papa, il m’a pris mes crayons ! Papa, elle m’embête ! » Eh bien, vous voyez, ils ont plus de trente ans et ça continue ! (À sa fille.) Alors, Jeanne, qu’est-ce que tu dois nous annoncer de si grave ?
Jeanne. – Non, non, rien, papa.
Roger. – Comment ça, « rien » ? Ah ! tu préfères attendre que ta mère soit là, c’est ça ?
Jeanne. – Oui, c’est ça ! Enfin, non ! Enfin, je ne sais pas !
Maude, entrant avec un plat de tartelettes. – Voilà des tartelettes aux fruits, elles sortent du four ! Finalement, elles ne sont pas brûlées du tout ! Qu’as-tu remonté de la cave, Roger ?
Roger. – Une bouteille de cidre bouché. Du brut, ça vous va ?
Axel. – Très bien, du cidre avec les tartelettes ! On est gâtés !
Maude. – Et vous, Axelle, cela vous convient ?
Axelle. – Moi je suis plutôt bière, mais du cidre ça ira.
Roger. – Maude, ma chérie, Jeanne a quelque chose à nous annoncer.
Maude. – Ah ! ah ! Eh bien, nous t’écoutons, ma chérie.
Jeanne. – Non, non ! Maman, je ne peux pas vous dire ça comme ça ! Pas maintenant !
Maude. – Oh là là ! Des cachotteries ! Ça, ça me plaît ! Allez, viens m’aider, Roger, on va apporter des petites assiettes, des cuillères et des verres pour le cidre, et Jeanne nous racontera ça tout à l’heure.
Ils sortent tous les deux.
Axel. – Je n’en reviens pas que tu n’aies rien dit à tes parents avant ce week-end. Tu m’avais pourtant promis, Pascal !
Pascal. – Je sais, mais je n’ai pas pu. C’est facile, aussi, pour toi : tes parents le savent depuis longtemps.
Axelle. – Ce n’est pas mieux pour toi, Jeanne. On avait convenu que l’on venait ici pour faire la connaissance de vos parents…
Jeanne. – Eh bien, quoi ? On ne vous a pas menti ! Vous avez bien rencontré les parents !
Axelle. – S’il te plaît, te fous pas de notre gueule ! Tu sais très bien ce que je veux dire.
Axel. – Mais alors… si vos parents ne savent pas… ils ont cru que je suis… avec Jeanne !
Axelle. – Et moi avec Pascal ! Ça y est, mon petit Axel, tu commences à comprendre le problème !
Axel. – Mais c’est pas possible ça ! Je ne peux pas laisser croire ça ! Il faut dissiper ce malentendu !
Axelle. – Je te préviens, Jeanne : si tu n’es pas capable de dire à tes parents que l’on est ensemble, moi, je vais m’en charger !
Jeanne. – Non, non ! Surtout pas ! Je te connais suffisamment, ma chérie, toi tu es trop directe, tu vas les brusquer.
Axel. – On ne va pas continuer à leur laisser croire ce qui les arrange !
Pascal. – Évidemment que non ! Mais laissez-nous un peu de temps.
Axel. – Un peu de temps ? Mais ça fait des mois que tu dois le leur dire ! Tu as honte de notre relation, c’est ça ? T’es gay, Pascal, et il faut que tu l’assumes !
Pascal. – Mais je l’assume, mon chéri, oui, et depuis longtemps ! Mais c’est papa qui ne l’assumera pas, ça j’en suis sûr !
Axelle. – Tu ne le sauras pas tant que tu ne lui auras pas avoué.
Pascal. – C’est tout vu ! Mon père est un gros macho à tendance homophobe chronique.
Jeanne. – Laissez-nous le temps de trouver le moment d’en discuter calmement.
Axelle. – Encore un an ou deux, c’est ça ?
Jeanne. – Mais non, bien sûr ! Avant la fin du week-end, on aura résolu le problème.
Axel. – Je te préviens, Pascal : si dimanche soir tu n’as rien dit, moi, je balance tout !
Pascal. – Non, non ! Laissez-nous faire avec Jeanne !
Axelle. – Commencez par en parler avec votre mère si vous pensez que ça passera mieux.
Jeanne. – Maman est à fleur de peau… Déjà qu’elle pleure pour un rien, si on lui annonce le même jour que ses deux enfants sont homos, elle va nous faire un coma émotif !
Scène 5
Axel, Axelle, Jeanne, Pascal, Roger, Maude
Les parents reviennent de la cuisine. Maude porte des petites assiettes et des cuillères, Roger tient un plateau sur lequel sont disposés six verres.
Roger. – Alors, ça papote, les amoureux ? (Tous les quatre paraissent gênés.) Holà ! Mais vous avez l’air sérieux, dites-moi !
Axel. – On était en train de faire une petite mise au point.
Maude. – Une mise au point ?
Axelle. – Oui, on doit éclaircir certaines choses avant la fin du week-end.
Maude. – Ah non ! (Elle commence à pleurer.) Vous n’allez pas parler de la fin du week-end alors que vous venez juste d’arriver ! (Elle sort son mouchoir.) Vous n’êtes pas bien avec nous ?
Pascal, allant la consoler. – Oh non ! Maman, tu ne vas pas commencer ! Ça nous fait super plaisir de venir vous voir, je vous assure.
Jeanne, pour détourner la conversation. – Alors, on l’ouvre cette bouteille de cidre ?
Roger. – Ah ! eh bien, voilà une parole raisonnable ! (Il débouche la bouteille de cidre et remplit les six verres.)
Maude, séchant ses larmes. – Allez ! Servez-vous pendant que c’est chaud ! (Elle sert des tartelettes à tous.)
Axel. – Merci ! Hum, c’est super bon, madame !
Maude. – Non, il n’y a pas de madame ici ! Il faut m’appeler Maude. D’accord ?
Axel. – D’accord !
Maude. – Et vous aussi, Axelle.
Axelle. – Ça marche ! Merci, Maude !
Jeanne. – Merci, maman !
Roger, aux deux Axel(le). – Ça me fait plaisir de vous voir, tous les deux. Depuis le temps que les enfants nous parlent de vous ! On avait l’impression qu’ils ne voulaient pas que l’on vous voie. Je me suis même demandé si vous n’étiez pas borgnes ou culs-de-jatte.
Maude. – Oh ! Roger !
Axelle. – Non, non ! Nous sommes tout ce qu’il y a de plus normal, vous voyez !
Axel. – Pas de bosse dans le dos ni de jambe de bois !
Roger. – Et en plus vous avez de l’humour ! (Lui tapant dans le dos.) Je crois que l’on va bien s’entendre !
Maude. – Mais on vous aurait acceptés tels que vous êtes, quoi qu’il arrive.
Axelle. – Même si l’on vous avait caché des choses importantes ?
Maude. – Je fais confiance à mes enfants. S’ils ont mis si longtemps à trouver quelqu’un, c’est qu’ils attendaient de trouver la bonne personne.
Axelle. – Eh bien, justement, on a plein de choses à vous dire.
Pascal. – Non, non ! Pas maintenant, Axelle, on vient à peine d’arriver ! On a tous eu une journée de boulot, plus quatre heures de route. On a le droit de souffler un peu !
Axelle. – Qu’est-ce qu’y me fait, lui ? Il a roupillé tout le long du trajet !
Roger. – Alors ? Pascal, raconte-nous un peu : comment vous vous êtes rencontrés avec Axelle ?
Pascal. – Oh ! eh bien, c’est tout simple : on travaille ensemble, presque dans le même bureau en fait !
Axel. – Oui, enfin, n’exagère pas non plus, Pascal, on n’est pas au même étage !
Roger. – Ah bon ! D’accord ! Alors vous aussi vous travaillez chez Stylofmode ?
Axel. – Oui ! Moi je suis modéliste ! Je mets en œuvre ce que les stylistes ont dessiné.
Maude. – Ah oui, d’accord ! Alors, si je comprends bien, c’est grâce à Pascal que vous avez connu Jeanne ?
Axel. – Euh… oui, c’est vrai, on peut dire ça !
Roger. – Non mais tu ne m’as pas compris, Pascal, je te demandais comment vous vous êtes rencontrés avec Axelle. Avec ton Axelle.
Pascal. – Ah ! tu veux dire avec cette Axelle-là ! (Il montre Axelle du doigt.) J’avais pas compris !
Roger. – C’est vrai que ça ne va pas être simple ! L’un de vous deux n’aurait pas un surnom, par hasard, ou un diminutif ?
Axelle. – Non, désolée !
Axel. – Non plus !
Axelle. – Faut dire qu’un diminutif sur un prénom à deux syllabes, il ne reste plus grand-chose !
Maude. – Et dans l’intimité, vous avez bien un petit surnom… Mon petit lapin, ma caille, mon sucre d’orge ?
Axel. – Oh ! ça t’irait bien « mon sucre d’orge », Pascal !
Pascal, lui faisant les gros yeux. – Non, non ! Sûrement pas !
Axelle. – Oui et, « ma caille », je trouve ça très sexy, hein, Jeanne ! On imagine bien les p’tites cuisses !
Jeanne, lui faisant les gros yeux. – Oh ! ça va, hein ! Oui, maman, on a tous un surnom dans l’intimité ! (Regardant les autres.) N’est-ce pas ? Mais alors il est beaucoup plus banal !
Roger. – Ah oui ? Alors, c’est quoi ?
Très vite, l’un après l’autre.
Jeanne. – Chérie !
Axelle. – Chérie !
Axel. – Chéri !
Pascal. – Chéri !
Roger. – Oui mais alors là, on n’est pas plus avancés !
Axelle. – En fait, moi, j’ai connu Jeanne à la...