Au lever du rideau, Antoine est assis sur le canapé et se prépare à prendre son petit déjeuner constitué d’un café et d’un croissant tout en tapotant sur son ordinateur.
Antoine. — Bon, cet article, c’est fait ; mais alors ce papier-là, y a encore un sacré boulot et, bien sûr, ça presse-purée, comme dirait le rédac chef. Mais avant, un petit café avec un petit croissant. Le dernier croissant, il est pour bibi… Zut, le sucre ! (Il sort à la cuisine.)
Océane, venant de la chambre en s’étirant. — Ouah ! J’ai dormi comme une marmotte. Quelle nuit !… Le p’tit déj est servi ! Merci, mon biquet ! (Elle s’assoit sur le canapé et se jette sur le croissant.) Mmm… il est délicieux, ce croissant !
Antoine, revenant avec le sucrier. — Profites-en, c’est le dernier.
Océane. — Oh ! pardon ! Tu le voulais ?
Antoine. — Non, non. C’est pour toi, mon amour.
Océane. — Tu as déjà déjeuné ?
Antoine. — Houla, oui ! Ça fait un moment. Tu penses… Un sucre ?
Océane. — Non, merci. Jamais de sucre… (Faisant la moue :) Ma ligne.
Antoine. — Moi je l’adore, ta ligne. Ou plutôt tes lignes. Tes lignes courbes, tes lignes régulières, tes lignes de flottaison… Tu es ma ligne de mire, ma ligne d’horizon…
Océane, tout en dévorant le croissant. — Ce que tu parles bien, toi, alors ! Ça se voit que tu es journaliste. (Antoine reprend son ordinateur sur les genoux.) T’es un amour. Je peux regarder mes mails ?
Antoine. — Ben c’est-à-di… Oui… Je finirai mon article plus tard…
Océane, en lui prenant l’ordinateur. — Je dois en avoir un paquet, je te dis pas !
Antoine. — Prends ton temps, je vais aller prendre ma douche pendant que tu…
Océane, courant à la porte de la salle d’eau. — Non, non, non ! Moi d’abord !
Antoine. — Mais… Océane…
Océane. — S’il te plaît. Biquet ! Mmm ! S’il te plaît. S’il te plaît. S’il te plaît. (Elle l’embrasse furtivement.) Merci. (Elle s’éclipse dans la salle d’eau.)
Antoine. — Ouais, bon ! Faut-il que je l’aime, celle-là !… Allez, mon petit Antoine, au boulot ! (Il reprend place sur le canapé. Il grignote quelques miettes de croissant et siffle un fond de café.) C’est vraiment un très très petit déjeuner… Bref ! Voyons cet article… (Il tape sur le clavier.) Gnagnagna…
Océane, off. — Biquet ! Où sont les serviettes propres ?
Antoine. — Dans le premier tiroir, mon ange ! (Il replonge sur son clavier.) Alors, gnagnagna…
Océane, off. — Biquet ! Je peux prendre ton shampoing ?
Antoine. — Bien sûr ! (Il replonge sur son clavier.) Bon, gnagnagna…
Océane, off. — Biquet ! J’arrive pas à régler l’eau !
Antoine. — J’arrive ! (Il se dirige vers la salle d’eau en se frottant les mains et en faisant un clin d’œil au public.)
Océane, off. — Ah ! si, si ! Ça y est ! Te dérange pas !
Antoine. — Ah ! (Au public :) Tant pis… Retournons au travail. (Il replonge sur son clavier.) Alors, gnagnagna…
Océane, off. — C’est pas vrai ! J’ai oublié mon peignoir dans la chambre.
Antoine, en soupirant. — O.K. ! J’y vais ! (Il se lève et Océane entre.)
Océane, entrant. — Non, laisse. Il faut aussi que je choisisse mes dessous… Mais tu peux venir m’aider, si tu veux.
Antoine. — Ah ! j’aimerais bien mais… (Moue suggestive d’Océane.) Il faut que… Parce que… J’arrive… (Clin d’œil au public.) Hé, hé ! (Il va entrer dans la chambre quand on sonne à la porte d’entrée.)
Baptistine, off. — C’est le courrier !
Antoine. — Et zut ! (Il va ouvrir.) Bonjour, Baptistine.
Baptistine. — Bonjour, mon petit Antoine. En forme, ce matin ?
Antoine. — Faut le dire vite.
Baptistine, très vite. — Bonjour, mon petit Antoine. En forme, ce matin ?
Antoine. — Toujours le mot pour rire, Baptistine.
Baptistine. — Un jour où on rigole pas, c’est un jour perdu, qu’il disait mon Ristou. Té, voici le courrier. Rien que des factures et de la pub, et peut-être une carte postale qui vient des Younaïlletides Stades Américains. C’est marqué sur l’enveloppe. Vazinton, USA.
Antoine. — Oui, bon, merci. (Jusqu’à l’entrée d’Océane, il essaiera de reconduire poliment Baptistine qui s’incruste.)
Baptistine. — Eh oui ! Les gens les mettent sous enveloppe en croyant que ça va aller plus vite.
Antoine. — Sans doute…
Baptistine. — Mais les gars de la poste ils font comme moi : ils secouent l’enveloppe et ils voient tout de suite que c’est plus raide que du papier.
Antoine. — Certainement.
Baptistine. — Donc que c’est une carte postale. Et ils la mettent où ?… Dans les cartes postales, pardi !
Antoine. — Évidemment.
Baptistine. — Avec celles qui arrivent dix jours après qu’on est rentré de vacances… Remarquez, moi, les vacances…
Antoine. — Vous avez bien raison. Allez, bonne journée !
Océane, entrant en peignoir. — Ah ! bonjour, Baptistine ! Un petit café ?
Antoine, bas, au public. — Et zut !
Baptistine. — Volontiers. (Elle va s’installer sur le canapé.) Vous, alors, vous êtes braves. C’est pas tout le monde qui me paierait le café tous les matins !
Océane. — Ce n’est rien, Baptistine. Vous nous montez bien le courrier tous les matins…
Antoine, ironique. — Et trié, en plus. On gagne du temps. Tiens, c’est pour toi.
Océane. — Qu’est-ce que ça peut bien être ?
Antoine. — Une carte postale des États-Unis.
Baptistine. — Des Younaïlletides Stades Américains. C’est marqué là. Vazinton, USA.
Océane. — Non ? Une carte de maman ? (Elle ouvre l’enveloppe et sort une carte que Baptistine essaie de lire par-dessus son épaule.) Oui, c’est maman ! Elle est à Washington.
Antoine. — Washington ? Hi, hi ! Je me disais aussi, Vazinton… Bon, je vais vous faire du café. (Il sort à la cuisine.) Hi, hi ! Vazinton…
Baptistine. — Alors, comment ça va, les amours ?
Océane. — Bien, trop bien.
Baptistine. — Comment ça, trop bien ?
Océane. — Il est trop.
Baptistine. — Ah. Et trop quoi, peuchère ? Il est trop foot, trop copains, trop bière, trop macho ?
Océane. — Trop parfait. Antoine est trop parfait, trop prévenant, trop gentil, trop amoureux, trop tendre, trop tout. Il n’a aucun défaut.
Baptistine. — Oh ! je suis sûre qu’en cherchant bien…
Océane. — Non, je vous dis. En plus, il est super bien élevé. Jamais un mot plus haut que l’autre. Il supporte tout, il pardonne tout. Il ne dit même jamais de gros mots.
Baptistine. — Il ne jure jamais, même en colère ?
Océane. — Il n’est jamais en colère et le mot le plus cru qu’il emploie c’est « saperlipopette ».
Baptistine. — Saperlipopette ? Eh bé ! Mais de quoi vous vous plaignez, alors ?
Océane. — De rien, mais j’ai peur.
Baptistine. — J’y suis : vous avez peur que ça ne dure pas. Vous avez raison, il a mis la barre trop haut au départ ; à la longue, vous ne pourrez qu’être déçue. Il tiendra pas la distance.
Océane. — Mais non, j’ai peur de m’engager plus avant. C’est le mariage qui me fait peur.
Baptistine. — Aïe ! Il vous a demandée en mariage ?
Océane. — Pas encore, mais je suis certaine qu’il va le faire.
Baptistine. — Oh là là ! Bonne Mère ! Rien n’est moins sûr. Vous savez, les hommes, une fois qu’ils ont eu ce qu’ils voulaient, le mariage c’est le dernier de leurs soucis… Té, mon pauvre Ristou, feu mon mari, avant le mariage, il n’arrêtait pas de me demander ma main ; après le mariage, il me demandait juste ce qu’il y avait à manger.
Océane. — Antoine n’est pas comme ça. Il m’aime passionnément. Il va vouloir se marier, j’en suis certaine. J’ai trouvé ce poème de lui. Je suis sûre qu’il me le réserve pour mon anniversaire.
Baptistine. — C’est quand est-ce ?
Océane. — À la fin du mois, le 29.
Baptistine. — Dans trois jours, quoi ! Permettez ? (Elle lui prend le poème et lit :) « Des langueurs océanes bercent mon cœur et enivrent mon âme… » (Elle lit le reste à voix basse et essuie une larme.) Eh bé ! Fan de chichoune ! Ça, c’est envoyé ! Moi, si un homme m’avait écrit le quart du dixième de ça, je l’aurais traîné à la mairie par les… par les cheveux. C’est magnifique. Et vous allez refuser ?
Océane. — Je me connais, je ne pourrai pas lui dire non.
Baptistine. — Eh bé, dites-lui oui, peuchère ! Vous l’aimez ?
Océane. — Oui, bien sûr. Enfin, je crois. Je ne sais pas, je ne sais plus.
Antoine, entrant. — Et voilà le café de ces dames !
Baptistine. — Merci, mon petit Antoine. Avec des croissants, ce serait super.
Océane. — Antoine chéri, tu ne voudrais pas aller…
Antoine. — C’est-à-dire que j’ai un peu de boulot et…
Océane, minaudant. — Mmm !
Antoine. — O.K. Je vais faire un saut à la boulangerie.
Baptistine. — Mais non !
Antoine. — Mais si ! Je vais faire vite, votre café n’aura pas le temps de refroidir. (Il sort.)
Océane. — Qu’est-ce que je vous disais ?
Baptistine. — C’est vrai qu’il est parfait, ce petit !
Océane. — Il est adorable, mais je ne me sens pas prête pour le mariage, les gosses, le chien et le pavillon de banlieue.
Baptistine. — Alors y a qu’à rompre tout de suite.
Océane. — Rompre ? Mais je ne veux pas, je l’aime. Je tiens à lui.
Baptistine. — Quand je dis rompre, c’est momentané. C’est plutôt faire un braque.
Océane. — Un braque ?
Baptistine. — Une pause, en anglais ! Juste le temps de lui faire une belle peur. Y a qu’à lui demander de faire une pause, histoire que ça le refroidisse. Vous le faites mijoter quelques semaines en lui laissant de l’espoir. Quand vous reviendrez vers lui, il ne pensera plus au mariage.
Océane. — Vous croyez ?
Baptistine. — Mais bien sûr ! Il sera bien trop heureux de vous avoir retrouvée pour prendre le risque. Vous aurez gagné un an ou deux, croyez-moi. Faut faire un braque.
Océane. — Mais je ne pourrai jamais. Je ne veux pas le faire souffrir.
Baptistine. — Y a qu’à vous arranger pour que ce soit lui qui demande de la faire, la pause.
Océane. — Ce serait mieux, ça. Mais comment ?
Baptistine. — C’est pas bien compliqué. Moi, avant le Ristou, j’en ai usé une demi-douzaine et c’est toujours eux qui m’ont larguée.
Océane. — Je suis désolée.
Baptistine. — Faut pas. Quand j’avais décidé de m’en débarrasser, je me mettais à leur pourrir tellement la vie qu’ils finissaient par partir en courant.
Océane. — Je ne sais pas si je saurai faire ça.
Baptistine. — C’est facile, croyez-en ma longue expérience en la matière. Parmi mes ex, la moitié a fini en nervousse braque donne.
Océane. — …
Baptistine. — En dépression nerveuse.
Océane. — Pousser Antoine à la dépression ? Mais non, voyons !
Baptistine. — Sans aller jusque-là, y a qu’à commencer par être désagréable, très désagréable. Ne plus faire ni la cuisine ni la vaisselle, par exemple.
Océane. — Ça, c’est déjà lui qui le fait, alors… Comme la lessive et le repassage, d’ailleurs.
Baptistine. — Dites, il n’est pas adorable, il est exceptionnel, ce garçon ! Va pas être facile à écœurer. Va falloir monter le niveau de jeu, comme ils disent à l’OM. Va falloir aller droit au but, tout de suite au principal de l’essentiel, à l’impardonnable radicalement radical.
Océane. — Quoi donc ?
Baptistine. — Bé vous avez qu’à commencer par dormir les deux pieds dans le même sabot.
Océane. — Dans le même sabot ?
Baptistine. — Eh bé oui, plus de gouzi-gouzi, plus de boum-boum tralala, rien, nib… L’abstinence totalement absolue, quoi !
Océane. — Ah non ! Tout de même pas !
Baptistine. — Bon ! Alors, je ne sais pas, moi. Bousillez-lui son ordinateur, ses vêtements, sa voiture, tout ce qu’il aime.
Océane. — Ça, je peux faire. Je suis d’une maladresse incroyable.
Baptistine. — C’est bien, ça, la maladresse, mais en plus, faudrait travailler la contrariété. Ça, c’est le cancer du couple, la contrariété. Bien utilisée, la contrariété, avec une bonne dose de caprice et un zeste de maladresse, ça pourrait faire péter les plombs à un moine bouddhiste.
Océane. — Mais Antoine n’est pas bouddhiste !
Baptistine. — C’est une image. Faites-lui des reproches injustifiés sur tout, des caprices pour un rien, changez d’avis toutes les cinq minutes, faites la tête quand il vous fait un cadeau. Exigez de sortir quand il est fatigué. Bref ! Soyez une femme, Miladiou !
Océane. — O.K. Je vais essayer de suivre vos conseils. Merci, Baptistine.
Baptistine. — Bé, vous allez pouvoir commencer tout de suite. Je l’entends qui monte l’escalier.
Océane. — Maintenant ?
Baptistine. — Bé ! Vous n’avez que trois jours devant vous.
Océane. — Oh là là ! Je ne sais pas si…
Baptistine. — Je reste pour vous aider. Je vais me faire toute petite et je vous donnerai des conseils discrètement. Voilà ce qu’on va faire : quand ça va, je mets le pouce ; quand ça va pas, j’éternue.
Océane. — O.K. ! J’ai compris. Vous ne me laissez pas tomber, hein ?
Baptistine. — Vous inquié…
Antoine, entrant avec un sac de croissants et un petit bouquet de fleurs qu’il cache dans son dos. — Et voilà les croissants de ces dames ! Des croissants tout chauds.
Baptistine. — Oh ! merci ! (Elle se lève et prend un croissant.) Mmm !
Dans ce qui suit, Baptistine se débrouillera pour être constamment dans le dos d’Antoine, éternuera (noté E dans les répliques) à chaque erreur d’Océane et lui montrera le pouce (noté P) à chaque réussite.
Océane, prenant un croissant. — Mmm !… (E) Euh… beurk ! J’aime pas… J’aime pas du tout. J’ai horreur des croissants chauds. (P)
Antoine. — Ah bon ? Je vais les mettre deux minutes à refroidir sur le bord de la fenêtre de la cuisine.
Baptistine, bas. — Allez !
Océane. — Sur la fenêtre ? Bonjour les courants d’air ! (P)
Antoine. — On est le 26 août et il fait une chaleur à…
Océane. — Eh bien, moi, j’ai froid. (P)
Antoine. — Tu es souffrante, mon ange ?
Océane. — Euh… non… mais… (E) Euh… j’ai bien le droit d’avoir froid quand je veux. (P)
Antoine. — Bien sûr, mon amour, et je serai toujours là pour te réchauffer.
Océane, appréciant. — Mmm ! (E)
Antoine. — Par contre, vous, vous en tenez déjà une bonne.
Baptistine. — C’est que j’ai pas grand monde pour me réchauffer, moi.
Antoine. — Ne comptez pas sur moi. Bon. Tiens ! Je t’ai aussi rapporté des fleurs.
Océane. — Oh ! chic ! Merci, mon biquet !
Baptistine. — (E) Alors là !
Antoine. — Pardon ?
Baptistine. — Rien. Je disais : « Alors là !… Des fleurs ? »
Antoine. — Je ne lui en avais pas encore offert cette semaine. Je vais chercher un vase. (Il sort à la cuisine.)
Baptistine. — Vous alors ! Plus nunuche, tu meurs ! (L’imitant :) « Merci, mon biquet ! »
Océane. — Ben, c’est plus fort que moi. Il est tellement gentil…
Baptistine. — Oh ! Bonne Mère ! Bon, essayez la maladresse. L’ordinateur, café, gloup !
Océane. — Pardon ?
Baptistine, montrant. — Allez ! L’ordi…
Antoine revient avec un vase.
Océane. — Compris !
Antoine. — Voilà ! Elles sont belles, non ?
Océane. — Oui, bof !
Antoine. —...