1 – La peau de l’ours
Le rideau s’ouvre sur Guillaume, qui dort sur le canapé de son bureau. Soudain, un deuxième rideau s’ouvre sur un castelet au lointain, faisant apparaître un chanteur élégant et très charmant.
Charles (Chantea.)
Longtemps après avoir poussé mon dernier cri
Mon dernier chant longtemps après être parti
Certaines notes continuent de résonner déraisonner
Dans le cœur d’enfants abîmés
Le mauvais sort
D’une voix d’or
J’ai chanté j’ai désenchanté
Ce cher passé, j’ai saboté
Ce que la vie m’avait donné
(Il vient s’asseoir tout près de Guillaume endormi, lui soufflant sa chanson comme pour inspirer ses rêves.)
Cette voix d’or qui s’est tue, j’aimerais tant, oh le sais-tu
Que tu l’entendes dans les nues
Une berceuse pour soulager les blessures et les maux cachés
Un chant pour me faire pardonner
Le mauvais sort
D’une voix d’or
J’ai chanté j’ai désenchanté
Ce cher passé, j’ai saboté
Ce que la vie m’avait donné
Ce que la vie m’avait donné
Puis il retourne d’où il est apparu et disparaît.
Apparition de l’auteur, Éric. Il découvre Guillaume endormi, hésite à le réveiller, puis renonce et sursaute en découvrant le public dans la salle. Il s’en approche et se livre à lui…
Éric (Au public.) « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur ! » Jean Cocteau.
Le destin, c’est quoi ? Moi, je crois au Chaos ! Et je crois effectivement que le seul moyen d’ordonner le chaos de sa vie, c’est de s’en faire l’auteur…
L’auteur, c’est moi.
Au téléphone, il y a deux semaines, mon producteur m’a demandé : « Tu aurais des projets un peu avancés en ce moment ? Des nouveaux textes ? On se voit pour en parler ? » J’ai répondu : « Mais oui, Guillaume, bien sûr, plein de projets formidables ! »
Un an que je n’ai plus écrit une ligne. Rien. Même pas un post Facebook. Mais je n’allais pas lui dire ça… J’avais au contraire le maigre espoir que ce mensonge soit à l’origine de ma renaissance. Ça a un nom. Ça s’appelle « vendre la peau de l’ours pour s’obliger à le tuer »…
J’ai repoussé le rendez-vous à deux semaines pour lui donner l’impression que j’étais débordé, mais surtout pour me donner le temps de le débusquer, cet ours…
Mais il ne s’est pas laissé faire, l’animal. Il m’a vu venir de loin, il s’est esquivé…
J’ai tout passé en revue : les personnalités historiques, les sujets à la mode, les best-sellers des deux dernières années, je me suis perdu dans le dystopique, le « Me Too », j’ai passé des journées à la médiathèque de mon quartier à errer entre les rayonnages, à lire au-dessus de l’épaule de mes voisins de table… Mais rien !… Le trou noir… Le vide abyssal… Ma page blanche, c’était plus une page blanche, c’était la Voie lactée ! Et plus je cherchais, moins je trouvais. Alors j’ai marché à travers la ville, j’ai brûlé des cierges dans les églises, j’ai fait des offrandes à mon Ganesha… Tout ça pour finir au zoo, devant la fosse aux ours, qui tournaient en rond autant que moi-même…
Guillaume s’est réveillé sur la dernière phrase d’Éric.
GUILLAUME Tu parles tout seul ?
Éric Non. Oui… Je t’ai réveillé ?
GUILLAUME Ah ! non, pas du tout ! Je réfléchissais.
Éric Des pensées bien profondes, alors…
GUILLAUME (Il lui fait signe de s’asseoir avec lui à une grande table.) Bon, alors. Ces projets ?
Éric (Pris au dépourvu, il rit un peu trop fort.) Ah ah ! Toujours aussi direct, mon cher Guillaume ! Laissons quand même un peu de place au suspense. J’aime bien l’idée que ce soit toi qui devines ce que j’ai dans la tête. Allez, lance-toi ! Tu vois quoi ?
GUILLAUME Désolé, mais je n’ai pas le temps de jouer. J’enchaîne juste après avec une réunion très importante.
Éric Tu as toujours une réunion plus importante. Tu sais, c’est pas très motivant pour un auteur…
GUILLAUME Je n’ai pas dit qu’elle était plus importante, j’ai dit qu’elle était très importante.
Éric Oui, c’est vrai.
GUILLAUME Alors, ces projets ? Qu’est-ce que tu as sous le coude ?
Éric (Après un temps.) Tu sais, je suis tellement content de te voir, Guillaume…
GUILLAUME (Surpris, puis ironique.) Oui, moi aussi je suis très content de te voir.
Éric Comment vont tes enfants ?
GUILLAUME Très bien. Tu as réfléchi à ce que je t’ai demandé ?
Éric Évidemment. Je n’ai fait que ça.
GUILLAUME Parfait. Et alors ?
Éric De nombreux sujets ont surgi dans mon esprit… Des histoires incroyables, drôles, émouvantes, originales… J’ai dû faire le tri tellement il y en avait !
GUILLAUME C’est bon signe, ça. Et donc ?
Éric L’inspiration, c’est une flèche qu’on reçoit en plein cœur, c’est une graine qu’on sème dans son inconscient et qui soudain fleurit… c’est une révélation mystique…
GUILLAUME Ou un mirage…
Éric C’est comme une collision d’atomes… Je crois beaucoup à la physique quantique, pas toi ?
GUILLAUME (Pas convaincu du tout, impatient.) Je crois surtout au travail. Alors ?
Éric Attends, j’y arrive ! Une pièce, c’est avant tout l’histoire d’une rencontre… Il y a quelque chose de magique, c’est comme en amour…
GUILLAUME Une comédie romantique. J’adore ! Raconte !
Éric Oui… enfin non… Dans mon cas, ça serait plutôt une tragédie…
GUILLAUME Pas trop dramatique, quand même. Tu sais, aujourd’hui, les gens veulent se divertir.
Éric Non, bien sûr. En fait, c’est… une tragi-comédie !
GUILLAUME Mais encore ?
Éric (Se lève soudain.) Oooh, c’est drôle, je n’avais jamais remarqué qu’on voyait le Sacré-Cœur de cette fenêtre ! Pour venir, je suis justement passé par Montmartre… Ça change, mais ça reste magnifique, non ? Tu sais que j’ai vécu quelques années à Pigalle ? J’ai adoré ce quartier, son histoire, ce terreau d’artistes, de gangsters, de touristes…
GUILLAUME Moi aussi, j’aime beaucoup ce quartier… Tu sais que ma mère a créé le petit train qui fait visiter Montmartre aux touristes ?
Éric (Qui se lance.) Bon, Guillaume, il faut que je t’avoue quelque chose…
GUILLAUME C’est marrant que tu me parles de Montmartre, parce que justement…
Éric En vérité, je n’ai pas…
GUILLAUME … j’ai eu un grand-père qui a eu un certain succès après-guerre dans les cabarets montmartrois…
Éric Ça fait un an que… (Il s’interrompt, réalise ce que Guillaume vient de lui dire.) Qui ça ? Ton grand-père ?
GUILLAUME Oui.
Éric Ton grand-père était chanteur ?
GUILLAUME Oui… On le surnommait même « la Voix d’or »…
Éric Super titre…
GUILLAUME Quoi ?
Éric Non, rien… C’est bon signe, continue, continue…
GUILLAUME Continue quoi ?
Éric La Voix d’or ? Ton grand-père ?
GUILLAUME Ma grand-mère aussi était chanteuse…
Éric Génial. Et qui d’autre ?
GUILLAUME Ben c’est tout…
Éric Mais non, c’est pas tout, je suis sûr qu’on tient quelque chose, là. Ton grand-père, c’est mon ours, j’en suis sûr !
GUILLAUME Ton ours ?
Éric Ça a été quoi, sa vie, à cet homme-là ? Il a aimé, il a souffert ?
GUILLAUME Il a fait souffrir, surtout…
Éric Mais c’est super, ça !…
GUILLAUME Pas pour ceux qui l’ont vécu…
Éric Mais justement, c’est à ça que ça sert de raconter les histoires… Ça sert à transcender le vécu.
GUILLAUME « Transcender le vécu ! » C’est vrai que je me suis souvent dit que son histoire pourrait donner lieu à un spectacle sur ces années d’après-guerre à Montmartre, avec Patachou, les Trois Baudets, le Lapin Agile, tout ça… Un spectacle musical peut-être ?
Éric (Sautant sur ce début d’idée comme la misère sur le monde.) Mais oui, évidemment ! Tu vois bien ! En plus, j’adore les chansons de cette époque ! Brassens, Piaf, Dario Moreno !… Oh là là ! Toute mon enfance…
GUILLAUME Tu n’es pas si vieux !
Éric Écoute : un quartier, des chansons, on tient quelque chose, là, ça pourrait même plaire à l’international, la nostalgie a la dent dure !
GUILLAUME Il n’y a plus beaucoup de gens qui l’ont connue, cette époque.
Éric Justement ! On est encore plus nostalgique d’une époque qu’on n’a pas connue ! Tiens, écoute, si je te fredonne…
Un pianiste apparaît soudain à cour. Guillaume est surpris par sa présence. Le pianiste le salue d’un lever de chapeau.
GUILLAUME Bonjour…
Éric (Chante1.)
Un p’tit jet d’eau
Un’ station de métro
Entourée de bistrots,
Pigalle
Et vers minuit un refrain qui s’enfuit
D’une boîte de nuit,
Pigalle
GUILLAUME Rassure-moi : tu ne comptes quand même pas chanter sur scène, j’espère ?…
Moi, ce que je préfère, c’est :
(Il chante2.)
Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux
Les ailes des moulins protègent les amoureux.
Éric T’as bien fait de faire producteur…
GUILLAUME Bon, alors, ces projets…
Éric Et ça, tu connais ?
(Il chante3.)
À Paris
Quand un amour fleurit,
Ça fait pendant des semaines
Deux cœurs qui se sourient,
Tout ça parce qu’ils s’aiment
À Paris.
Éric et Guillaume se laissent entraîner dans une chorégraphie improbable dans et sur le bureau.
GUILLAUME Au printemps
Sur les toits les girouettes
Tournent et font les coquettes
Avec le premier vent
Qui passe indifférent
Nonchalant
Éric Car le vent
Quand il vient à Paris
N’a plus qu’un seul souci
C’est d’aller musarder
Dans tous les beaux quartiers
De Paris
GUILLAUME Le soleil
Qui est son vieux copain
Est aussi de la fête
Et comme deux collégiens
Ils s’en vont en goguette
Dans Paris
Éric et
Guillaume Et la main dans la main
Ils vont sans se frapper
Regardant en chemin
Si Paris a changé
Guillaume se sent ridicule, il stoppe net la chanson.
GUILLAUME Bon, Éric, j’ai pas beaucoup de temps. Et je suis sûr que tu as des sujets bien plus intéressants dans ton cartable, là…
Éric Rien qui arrive à la cheville de ce que tu viens de me raconter… Comment il s’appelait, ton grand-père ?
GUILLAUME Charles Gentès.
Éric Charles Gentès !
GUILLAUME Tu connais ?
Éric Non. Mais je ne demande que ça !
GUILLAUME Jean Nohain l’avait mis en avant dans 36 chandelles, une des toutes premières émissions de variétés de la télé française… Il était très beau, avec une voix puissante… On l’avait engagé pour chanter à Notre-Dame, sans micro !… C’était le gendre idéal, à l’époque…
Il s’approche de la fenêtre, rêveur. On entend l’écho de la voix de Charles.
Éric Tu l’as connu ?
GUILLAUME Très peu. Il s’était fâché avec ma mère quand j’étais petit, et elle avait coupé les ponts. On l’apercevait une ou deux fois dans l’année, à Pâques et à Noël, et encore pas toujours… Mais quand mon père est mort, il est revenu pour la soutenir, et ça ne s’est pas bien passé. C’était un homme amer, paranoïaque. Les repas devaient être servis à l’heure, Charles n’aimait pas manger froid. Devant lui, il fallait bien se tenir, ne pas trop parler, ne pas mettre ses coudes sur la table… Je sentais qu’il pouvait être violent. Cet homme, c’était une bombe oubliée sur un champ de bataille, et qui ne demandait qu’à exploser à chaque faux pas… Il notait tout ce qui lui déplaisait sur un petit carnet… Un jour, il l’a oublié sur la table du salon… Ma mère l’a lu et c’était…
Pendant que Guillaume est plongé dans l’évocation de ses souvenirs, Éric, installe le décors suivant et fait rentrer Charles Gentès en scène. On reconnaît l’homme chic qui a chanté la chanson en ouverture, mais il paraît plus vieux, plus dur. Guillaume se tourne vers lui, déstabilisé.
Éric se lève et quitte la table pour contempler la scène avec un peu de distance.
2 – Le carnet
CHARLES Bonjour. Tu dois être Guillaume. Je suis Charles, ton grand-père.
Guillaume hésite, jette un œil paniqué à Éric, qui l’encourage.
GUILLAUME Qu’est-ce qu’il fait là ?
Éric C’est ton flash-back. C’est bien, pour commencer, non ? Dans le vif…
GUILLAUME OK… Et alors, qu’est-ce que je dois faire ?
Éric Tu lui donnes la réplique ! Allez, vas-y ! Attends, attends, tu as quel âge déjà ?
GUILLAUME Dix-sept ans. (Le pianiste lui lance alors une veste de survêtement avec laquelle il se change avant d’avancer timidement vers son grand-père.) Bonjour…
CHARLES Bonjour. Nous avons eu des différends avec ta mère, mais aujourd’hui j’ai décidé d’oublier tout ça.
Brigitte apparaît, des assiettes à la main. C’est une femme qu’on sent un peu fébrile, assez apprêtée bien qu’elle porte un tablier. Elle met la table.
BRIGITTE C’est presque prêt. Guillaume, tu m’aides à mettre la table et tu sers un verre de vin à ton grand-père ?
GUILLAUME (Surpris.) Maman ?… (Regard inquiet vers Éric, qui l’encourage à continuer.)
BRIGITTE Oui, mon chéri, qu’est-ce qu’il y a ?
GUILLAUME Que… Qu’est-ce qu’on mange ?
BRIGITTE J’ai préparé un gigot d’agneau, le plat préféré de ton grand-père. Papa, assieds-toi là. Je reviens.
Elle sort. Guillaume s’assied auprès de son grand-père.
CHARLES On a beaucoup de temps à rattraper, tous les deux. Tu es un homme, maintenant, ou presque. Il faut qu’on apprenne à se connaître. Tu sais, moi, je n’ai pas eu la chance de connaître mon grand-père et je le regrette.
GUILLAUME Il est mort jeune ?
CHARLES Tout le monde mourait jeune, de mon temps. Les maladies, les guerres… La vie était dure. Ceux qui survivaient étaient usés avant l’âge. Votre génération ne sait pas la chance qu’elle a. Combien ont donné leur sang pour que vous puissiez grandir en pleine santé, bien au chaud dans un pays libre ?…
GUILLAUME Tu as donné ton sang, toi ?
CHARLES J’ai fait mon devoir.
ÉRIC (Souffle à Guillaume.) La Résistance…
GUILLAUME Raconte-moi. Maman m’a dit que tu faisais partie de la Résistance ?
CHARLES On mange à quelle heure, ici ? Tu ne veux pas aller voir ce que fait ta mère ?
GUILLAUME Pourquoi tu ne me réponds pas ?
CHARLES Parce que !… (Un temps.) C’est le titre d’une chanson d’Aznavour. Tu la connais ?
(Il fredonne, comme un lointain souvenir4.)
Parce que t’as les yeux bleus
Que tes cheveux s’amusent à défier le soleil
Par leur éclat de feu
Brigitte entre, un plat à la main.
BRIGITTE Voilà le gigot ! Je vous sers. Tiens, mon chéri. Papa. (Elle remplit les assiettes.) Alors, de quoi avez-vous parlé tous les deux ?
CHARLES De la guerre…
BRIGITTE Ah, c’est bien… Bon appétit !
Guillaume et Brigitte se lancent pour manger. Charles commence le bénédicité.
CHARLES Bénissez-nous, Seigneur, bénissez ce repas, ceux qui l’ont préparé, et procurez du pain à ceux qui n’en ont pas…
TOUS Amen.
Ils mangent en silence. Charles prend des notes dans un petit carnet noir… Il le replie et le pose.
CHARLES Et ton nouveau compagnon, il déjeune dans sa famille ?
BRIGITTE Non. Il avait du travail…
CHARLES (Moqueur.) Du travail…
BRIGITTE Oui, papa. Ça va, c’est bon ? Le boucher m’a garanti que…
CHARLES Ça va. Mais la viande n’a plus de goût, de nos jours. Ce n’est pas de ta faute, c’est comme ça.
BRIGITTE Je n’ai pas mis trop d’ail ?
CHARLES Un peu, si.
GUILLAUME Il paraît que tu as connu Brassens ? C’est fou ! Il était comment ?
CHARLES Moins courageux que ses chansons… Pendant la guerre, il s’était planqué pour échapper au STO… Ça n’a jamais été un chanteur, il n’avait pas de voix, mais ça, aujourd’hui, tout le monde s’en moque…
Silence pesant. Guillaume ne sait pas quoi dire. Dépité, il se tourne vers Éric.
Éric (Souffle à Guillaume.) Et ma grand-mère, tu l’as rencontrée comment ?
GUILLAUME Et ma grand-mère, tu l’as rencontrée comment ?
CHARLES (À Brigitte.) Et donc, ton homme travaille… Je croyais qu’il était rentier ?…
BRIGITTE Ça ne l’empêche pas de travailler…
CHARLES Ah oui ? Et qu’est-ce qu’il fait, à part lustrer le zinc des bars montmartrois ?
BRIGITTE Papa, s’il te plaît.
CHARLES Quoi ? Il faut voir le bon côté des choses, non ? Regarde, toi… Hier veuve éplorée, aujourd’hui en couple avec le roi des nuits de Montmartre ! (À Guillaume.) Ton père, au moins, il ne buvait pas !
BRIGITTE Ça te va bien de dire ça !… (Charles se lève, menaçant. Temps.) Tu aurais voulu quoi ? Que je porte le deuil à vie ? Le deuil d’un gendre que tu n’as jamais aimé ?
CHARLES Il avait presque mon âge, quelle honte !
BRIGITTE T’as vraiment pas changé. C’est ça, ta façon de me soutenir ?
CHARLES C’est ça, ta façon de me respecter ?
GUILLAUME Arrête de torturer maman !
CHARLES Toi aussi tu me dois le respect. Dis-lui, Brigitte.
BRIGITTE …
CHARLES (Très en colère.) Dis-lui ! (Brigitte pleure. Poussé par Éric, Guillaume se précipite vers elle. Charles se sert un verre. Il reprend la chanson4.) Parce que…
Je ne me soucierai ni de Dieu, ni des hommes
Je suis prêt à mourir si tu mourrais un jour
Car la mort n’est qu’un jeu comparée à l’amour
Et la vie n’est plus rien sans l’amour qu’elle nous donne…
(À Guillaume, soudain très ému, fragile.) C’est avec cette chanson que je l’ai séduite.
GUILLAUME Qui ça ?
CHARLES Christine. Ta grand-mère. Sans cette chanson, tu ne serais pas là aujourd’hui. (Il se referme soudain.) Et moi non plus, je n’en serais pas là… C’était une femme irresponsable, elle a abandonné ta mère.
Charles et Brigitte sortent. Éric rejoint Guillaume sur la scène.
Éric Alors, tu en penses quoi ? C’est un premier jet à chaud, hein, rien de définitif… Je voulais juste voir comment les personnages s’animent…
GUILLAUME Euh… je ne sais pas trop. J’avoue que c’est… bizarre…
Éric Oui, j’imagine bien, surtout pour toi, ça te replonge dans…
GUILLAUME Non, c’est pas mal, hein… Mais je me demande si ce n’est pas un peu trop direct ?
Éric Je voulais poser les personnages et la problématique rapidement, mais c’est peut-être un peu frontal, effectivement…
GUILLAUME Et puis surtout, tu as oublié de parler du carnet !
Éric Quel carnet ?
Brigitte se précipite soudain sur le carnet.
BRIGITTE Il a oublié son carnet ! Depuis le temps que j’attends ça ! Des semaines que je le vois prendre des notes avec son petit regard noir… (Elle déchiffre et lit les notes… Elle blêmit. Guillaume les lui prend des mains et lit à haute voix.) Non, Guillaume, je t’en supplie, ne lis pas ça !
GUILLAUME « Sur Guillaume…
— Ne va pas à la messe.
— N’est pas croyant !!!
— Sort de table sans demander l’autorisation, très insolent et irrespectueux avec moi.
— Goût déplorable. Aime Brassens.
— N’a pas ouvert le livre que je lui ai offert pour Noël il y a deux ans. »
BRIGITTE Ah oui ! Ça c’est vrai, c’est pas bien…
GUILLAUME (À sa mère.) C’était l’histoire d’un jeune scout qui découvrait Dieu ! (Reprend sa lecture.)
« Ne m’a pas remercié de vive voix quand je lui avais envoyé un peu de sous pour son anniversaire.
— Très malpoli ! Et prétentieux.
— Ne m’a pas écrit quand il est parti en voyage.
— Fait du théâtre : n’importe quoi !!!
— J’ai bien fait de ne pas aller à sa représentation de sortie de cours — j’ai eu un bon alibi… »
Éric Ça, c’est moche.
BRIGITTE Ça, c’est moche…
GUILLAUME Je vais lui écrire !...