L’Art délicat de la scène de ménage

Juliette et Alex, comédiens, forment un couple à la ville comme à la scène. Leur ami Bernard, auteur et metteur en scène, les dirige dans sa nouvelle pièce, sous les yeux de sa stagiaire Eva.
Les répétitions piétinent. Bernard est dans l’impasse avec sa pièce, tout comme Juliette et Alex le sont dans leur couple. C’est l’heure du bilan, artistique et conjugal. Avant un nouveau lever de rideau ?

“L’Art délicat de la scène de ménage est une comédie qui explore les exceptionnelles compétences conjugales des metteurs en scène de théâtre, les ressources insoupçonnées des stagiaires ingénues et, bien entendu, le potentiel dramaturgique du plus fascinant des espaces théâtraux : le couple.”




L’Art délicat de la scène de ménage

Acte I

Scène 1

Décor nu. Seul un canapé en mauvais état occupe le milieu de la scène, face aux spectateurs. Alex et Juliette, assis dans le canapé, s’embrassent. Baiser qui va devenir de plus en plus torride, jusqu’à ce que, emportés par leur élan, ils tombent derrière le canapé. Choc. Râle de Juliette. Au début du dialogue, les comédiens restent cachés derrière le canapé.

Juliette

Tu pourrais faire attention !

Alex

Je suis désolé.

Juliette

Qu’est-ce que tu peux être maladroit !

Alex

Excuse-moi.

Juliette

Une catastrophe ambulante !

Alex

Bon, ça va, tu vas t’en remettre…

Juliette

En plus, tu embrasses mal !

Alex, en sortant la tête de derrière le canapé.

Quoi ?

Juliette, se relève en évitant le regard d’Alex.

Non, rien…

Alex

Comment ça, rien ? Tu as dit que j’embrassais mal.

Juliette

Mais non…

Alex

Tu n’as qu’à dire que j’entends mal, aussi !

Juliette

C’est possible. Tu prends de l’âge, mon chéri.

Alex

Moque-toi de moi, en plus ! Donc, j’embrasse mal ?

Juliette, s’assoit dans le canapé.

Oh ! j’ai dit ça comme ça… C’est rien. Oublie.

Alex, s’assoit, vexé.

Tu as raison, ce n’est rien. J’ai déjà oublié. (Un temps.) En tout cas, merci pour le compliment. C’était mon cadeau d’anniversaire ?

Juliette

Ça n’a rien à voir avec ton anniversaire, c’est sorti comme ça. (Elle réfléchit, puis se tourne vers Alex.) C’est ton anniversaire ?

Alex

Non.

Juliette, soulagée.

Ah bon…

Alex, glacial.

Mon anniversaire, c’était hier.

Juliette

Ah oui ! C’est vrai ! (Très affectueuse, elle enlace Alex qui reste rigide.) Oh ! mon chéri, je te demande pardon ! Avec tout ce boulot ces dernières semaines, je ne sais même plus quel jour on est.

Alex, toujours rigide.

Ce n’est pas grave.

Juliette, en lui faisant des mamours pour le dérider.

Alex… Mon chaton… Allez, ne fais pas la tête… Fais-moi un sourire… S’il te plaît…

Alex, glacial.

Tout va bien, je ne fais pas la tête.

Juliette souffle et reprend place à l’autre bout du canapé. Elle regarde Alex qui reste toujours aussi fermé, les yeux dans le vague.

Juliette, sèche.

De toute façon, tu as horreur des fêtes. Tu n’as jamais voulu que je t’offre des cadeaux. Alors depuis le temps, ça m’a coupé mes élans, voilà.

Alex

Je t’ai souvent dit que j’avais horreur des critiques injustes, mais là, par contre, ça ne t’a jamais coupé tes élans.

Juliette

Je ne te critique pas.

Alex

Ah bon ? J’avais cru entendre quelqu’un dans la pièce dire que j’embrassais mal.

Juliette

Ah… ça ?

Alex

En même temps, tu as raison de te plaindre. Désolé de ne pas être à la hauteur. Si madame n’est pas satisfaite…

Juliette

J’étais sûre que tu te vexerais. On ne peut rien te dire, de toute façon.

Alex

Bon, sans me vexer, je résume : non seulement c’est ma faute si tu as oublié mon anniversaire, mais en plus je suis susceptible et nul au lit. Autre chose ? C’est le moment, je me sens réceptif, là.

Juliette

Je n’ai jamais dit que tu étais nul au lit.

Alex

Ah ! c’est plutôt une bonne nouvelle ! Donc je suis juste nul pour embrasser, mais pour le reste ça va, tu es contente au lit. C’est ça ? (Juliette ne répond pas. Elle reste sur le canapé à regarder ses chaussures.) Juliette ? C’est ça ? (Un temps.) C’est pas ça ?

La voix de Bernard, metteur en scène de la pièce que Juliette et Alex sont en train de répéter, retentit des coulisses.

Voix de Bernard

Non, c’est pas ça ! (Juliette et Alex se lèvent du canapé et regardent dans la direction des coulisses.) C’est pas bon, les enfants. Il faut tout reprendre.

Scène 2

Bernard arrive sur scène.

Juliette

Qu’est-ce qui ne va pas, Bernard ?

Bernard

Je ne sais pas… Il y a quelque chose qui cloche. Ça ne fonctionne pas.

Alex

C’est toi le metteur en scène.

Juliette

On a suivi tes indications.

Bernard, arpente la scène.

Je sais, je sais… Mais il manque quelque chose… Vous comprenez, je veux que les spectateurs se mettent à la place de vos personnages. Que tous les hommes dans la salle se posent cette question au même moment : « Est-ce que j’embrasse bien ? Est-ce que ma femme oserait me le dire si ce n’était pas le cas ? »

Juliette

Ah oui ! C’est génial !

Bernard, en continuant à tourner en rond.

Les gens viennent souvent en couple au théâtre. Ils sont là, assis côte à côte pendant une heure et demie, sans se parler. Je veux qu’ils gambergent chacun de leur côté, qu’ils s’interrogent. Qu’ils se demandent ce que l’autre a dans la tête à cet instant précis. Qu’ils se posent la question : est-ce que mon conjoint est vraiment satisfait sexuellement parlant ?

Juliette

Génial.

Bernard

Que ça trotte dans leur tête, vous voyez ? Et qu’ils aient une heure et demie pour se demander s’ils vont en parler ou pas entre eux à la sortie du théâtre. Créer un malaise dans le public pour obliger les couples à se remettre en cause.

Juliette

Génial.

Alex, bas, à Juliette, pendant que Bernard continue
les cent pas, occupé par ses pensées.

Tu arrêtes un peu avec ton « génial » ?

Juliette, bas, à Alex.

Jaloux !

Alex, bas, à Juliette.

Tu es ridicule. (Il l’imite.) « Génial ! »

Elle lui file un coup de pied, il la pousse, elle lui colle une gifle : pantomime burlesque très rapide. Bernard continue de tourner en rond et ne voit rien.

Bernard

Bon, les enfants, je vais voir si je trouve des accessoires, quelque chose pour animer la scène. De votre côté, réfléchissez à la situation, apportez des idées. (Il sort.)

Scène 3

Juliette va s’asseoir sur le canapé. Alex la rejoint. Ils regardent ailleurs.

Alex

« Créer un malaise dans le public », « Obliger les couples à se remettre en cause ». Qu’est-ce qui lui prend à Bernard ? Depuis quand on se pose des questions pareilles quand on monte une pièce de boulevard ?

Juliette

Ça ne fait pas de mal de se poser des questions, parfois. Tu devrais essayer.

Alex

Vingt ans qu’il fait rire les salles avec des couples infidèles, des quiproquos et des claquements de portes. Je ne l’ai jamais entendu se poser une seule question.

Juliette

Il y a des gens qui évoluent dans la vie. Ça aussi, tu devrais essayer.

Alex

Tu ne serais pas en train de me chercher, par hasard ?

Juliette

Pas du tout. Ne commence pas avec ta paranoïa.

Alex

Et là, tu ne me cherches pas ? (Juliette a le regard dans le vide. Alex la fixe en attendant qu’elle réponde.) Hé ! ho ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

Juliette

Rien. Je réfléchis.

Alex

Une fois de temps en temps, ça ne peut pas te faire de mal.

Juliette

Très drôle.

Alex

Légitime défense, tu as commencé. Tu réfléchis à quoi ?

Juliette

À ce qu’a écrit Bernard. Son truc sur les couples. Nous deux, ça fait combien de temps ?

Alex

Neuf ans, trois mois, onze jours et six heures.

Juliette, en se retournant vers Alex, surprise.

Tu tiens les comptes ?

Alex

Pas du tout, j’ai dit n’importe quoi pour que tu te retournes. J’en avais assez de voir ta nuque.

Juliette lève les yeux au ciel et souffle.

Juliette

N’empêche qu’il a raison… On ne se pose pas toujours les bonnes questions dans un couple.

Alex

À quel propos ?

Juliette

Par exemple sur notre façon d’embrasser.

Alex

Il y a une question à se poser sur notre façon d’embrasser ?

Juliette

Ben… Non… Oublie.

Alex

Mais si, tu allais dire quelque chose. Vas-y, lâche-toi.

Juliette

Non… Tu vas te vexer.

Alex

Qu’est-ce que tu nous fais, là ? Tu as repris ton rôle ? Tu essaies une nouvelle façon de jouer la scène ?

Juliette

Oui. Voilà. C’est ça.

Long silence. Juliette va regarder du côté des coulisses si Bernard arrive.

Alex

Tu trouves que j’embrasse mal ? En vrai ? Et tu découvres ça au bout de neuf ans ?

Juliette

Neuf ans, trois mois, onze jours et six heures.

Alex

Très drôle. On peut savoir pourquoi ça te prend aujourd’hui ?

Juliette

C’est le rôle qui m’y a fait penser. Je n’y avais pas réfléchi avant.

Alex

On n’a pas besoin de « réfléchir » à notre façon d’embrasser !

Juliette

Si tu le dis… C’est peut-être pour ça que tu… (Elle s’interrompt.)

Alex

Que j’embrasse mal ? C’est ça ? Dis-le, ne te gêne pas pour moi ! De toute façon, qu’est-ce que ça signifie : « Tu embrasses mal » ? Par rapport à quoi, d’abord ? (Il se moque.) Madame a embrassé quelqu’un d’autre récemment pour comparer ? (Juliette ne répond pas, regard fuyant. Alex attend, son sourire moqueur disparaît.) Juliette ? (Elle ne dit toujours rien.) Hé ! ho ! (Long silence. Inquiet, il se lève.) Juliette, regarde-moi ! Est-ce que tu as embrassé quelqu’un…

Alex est interrompu par la voix de Bernard provenant des coulisses.

Voix de Bernard

Mais bien sûr qu’elle l’a fait !

Alex et Juliette se tournent vers Bernard qui arrive. Il parle au téléphone.

Scène 4

Bernard

Mais oui, je te dis, elle l’a fait ! Allez, à bientôt. (Il raccroche. À Juliette et Alex.) Les enfants, j’ai encore eu une idée brillante.

Juliette

Génial !

Bernard

Parfois, je m’épate moi-même.

Juliette

Tu es le meilleur, Bernard.

Bernard

Merci, ma belle.

Bernard et Juliette se regardent, tout proches, l’air très contents tous les deux. Alex, consterné, les regarde alternativement comme s’il soupçonnait une idylle entre eux.

Alex

Je croyais que tu devais rapporter des accessoires ?

Bernard

Justement. J’ai trouvé mieux.

Juliette

Ça ne m’étonne pas.

Alex

Comment ça, mieux ?

Bernard

On ne va pas rajouter des choses. On va en enlever.

Alex

Il n’y a rien sur la scène ! Tu veux aussi enlever le canapé ?

Bernard

Non, le canapé, on le garde. Il est parfait, il vous met en valeur.

Alex et Juliette regardent le canapé en mauvais état, perplexes.

Alex

Qu’est-ce que tu veux enlever, alors ?

Bernard, en faisant les cent pas.

Il faut déstabiliser le spectateur, le mettre dans une situation de malaise qui l’oblige à s’interroger sur lui-même et sur son couple.

Alex, bas, à Juliette.

Si tu dis « génial », je t’en colle une.

Juliette, bas, à Alex.

Je dis ce que je veux.

Alex, bas, à Juliette, en montrant Bernard.

C’est lui que tu as embrassé ?

Juliette, haut.

Génial !

Alex met une tape dans le dos de Juliette. Les deux recommencent leur lutte sous forme de pantomime burlesque, pendant que Bernard a le dos tourné.

Bernard, en se retournant.

Qu’est-ce que vous penseriez de jouer nus ?

Juliette va pour s’exclamer « Génial ! » mais s’arrête dans son mouvement, interloquée.

Alex

Nus ? Nus comment ?

Bernard

Comment ça, comment ? Tu veux un dessin ?

Alex

Tu veux dire sans vêtements ?

Juliette

C’est à peu près la définition de « nu », mon chéri.

Bernard

Imaginez un peu l’effet dans la salle. Ouverture de la pièce sur la scène du baiser sur le canapé. Le rideau s’ouvre, la lumière s’allume et vous êtes nus.

Alex, en prenant un air inspiré.

Ah oui…

Juliette, même air inspiré.

Oui, oui…

Bernard, enthousiaste.

Oui, hein ?

Alex, moins sûr de lui.

Oui, oui…

Juliette, idem.

Moui…

Bernard, essayant de soulever l’enthousiasme.

Oui ! On est d’accord !

Alex

C’est une bonne idée, mais…

Bernard

Une très bonne idée !

Alex

Oui, mais je me disais… Tu ne crois pas que ça risque de faire trop…

Bernard

Trop quoi ?

Alex

Trop… nu ?

Bernard se prend la tête dans les mains et fait quelques pas comme s’il réfléchissait intensément, avant de se planter devant Alex.

Bernard

Alex, qui est le metteur en scène ?

Alex

C’est toi, mais…

Bernard

Tu es comédien ?

Alex

Oui.

Bernard

Tu n’as pas peur de la nudité, quand même ?

Alex

Non…

Juliette, bas, à Alex, faisant un geste
équivoque en se moquant.

Alors, on a peur de montrer sa petite…

Bernard

La nudité est un costume de l’acteur !

Alex

Bien sûr… Bien sûr…

Juliette, bas, à Alex.

Sa toute petite…

Bernard

Mais si on y réfléchit, ce que tu dis n’est pas complètement idiot.

Alex, en regardant Juliette.

Ah !

Juliette hausse les épaules.

Bernard

Trop de nu… C’est pas faux…

Bernard reprend les cent pas en réfléchissant. Pendant qu’Alex parle, Juliette le regarde en faisant mine de jouer du pipeau.

Alex

C’est ce qu’il me semblait. On a vu beaucoup de comédiens nus au théâtre ces dernières années. Je ne voudrais pas qu’on t’accuse de tomber dans le cliché. Et puis, rassure-moi, on est bien en train de monter une pièce de boulevard, non ?

Bernard

Si…

Alex

Une pièce familiale pour un public qui vient se distraire, passer un bon moment ?

Bernard

Oui… Tu n’as pas tort… Trop de nu…

Alex

Je dis ça pour toi.

Bernard

J’ai une idée ! (Un temps. Juliette et Alex se rapprochent de Bernard, intéressés.) On va se limiter… au nu féminin.

Juliette

Hein ?

Alex

Ah oui ! Là, pourquoi pas ?

Bernard

On pourrait tenter le strip-tease en ouverture. Un choc dès le lever de rideau.

Juliette

Mais…

Alex, à Juliette.

Tu n’as pas peur de la nudité, tout de même ? C’est un costume du comédien.

Bernard

Ce sera troublant pour le spectateur. Il va se demander jusqu’où Juliette va aller.

Juliette

Oui, d’ailleurs, jusqu’où devra-t-elle aller, Juliette ?

Bernard ne répond pas, il est à nouveau perdu dans ses pensées.

Alex, bas, à Juliette.

Alors, on a peur de montrer sa cellulite ?

Juliette donne un coup à Alex qui rit.

Bernard, à Juliette.

Tu pourrais te placer là. (Il emmène Juliette devant le canapé, dos au spectateur, puis s’adresse à Alex.) Toi, tu t’assois dans le canapé. Voilà. Une scène froide. Pas de déhanchement, pas de musique. Un déshabillage simple, décidé. (À Juliette.) Tu pourrais commencer par enlever ton tee-shirt.

Juliette

Maintenant ?

Alex l’encourage du canapé avec un sourire triomphant.

Bernard

Mais oui ! On répète ou pas ?

Juliette

On ne pourrait pas s’en tenir au texte de ta pièce ?

Bernard

On s’en fiche du texte ! On est en train de la créer, cette pièce, là, ensemble ! On n’est pas à la Comédie-Française, on n’est pas prisonniers des mots de l’auteur ! D’ailleurs, c’est moi l’auteur ! C’est de l’art en mouvement ! Tu ne sens pas l’excitation de la création ?

Juliette

Je sens surtout que je vais me retrouver à poil…

Bernard

C’est ton personnage qui se déshabille, pas toi ! Allez, on n’est plus des enfants ! On y va, on répète. Enlève ton tee-shirt ! (Juliette obtempère de mauvaise grâce et se retrouve en soutien-gorge, dos au public.) Voilà. Première phase. Le public a le souffle coupé. Le rideau vient à peine de se lever, il n’a pas eu le temps d’entrer dans la pièce que, déjà, il a un corps qui se dénude sur le devant de la scène. Toute son attention est dirigée vers toi. Pour une fois, au début d’un spectacle, personne ne tousse, personne ne dit un dernier mot à son voisin, personne ne tripote son téléphone, tout le monde est captivé dès la première seconde. Le spectateur ne voit qu’un dos, il part déjà dans l’imaginaire, il plonge dans le fantasme.

Juliette

Grâce à mon dos ?

Bernard

Tu as un dos très expressif.

Juliette

On en apprend tous les jours.

Bernard

Ensuite, tu enlèves ta jupe tout doucement.

Juliette

Mon dos ne suffit pas ? Il est très expressif, pourtant. Regarde ! (Elle agite ses épaules, fait bouger ses omoplates.)

Bernard

Juliette… (Juliette souffle puis s’exécute de mauvaise grâce ; elle enlève sa jupe avec des gestes brusques.) Bon, la jupe, il faudra qu’on travaille un peu… Imagine ce qui se passera dans la tête des hommes à cet instant. (Il marche le long de la scène en regardant les spectateurs.) Ils sont tous là, assis dans un théâtre bien comme il faut. Certains y ont été traînés par leur femme, par des amis. Et tout à coup, ils ne regrettent plus. Ils se disent : « J’ai bien fait de venir, finalement, c’est pas mal le théâtre ! »

Juliette

Tu n’as pas peur que ça fasse un peu racoleur ?

Alex

Juliette n’a pas tort. Il ne faudrait pas qu’on t’accuse de chercher l’effet facile.

Bernard

Vous plaisantez ? Racoleur ? Facile ? Là, on est au cœur de la vie, les enfants, donc dans l’essence même du théâtre ! Là, on touche à une vraie émotion !

Juliette

Si tu veux savoir ce que moi je ressens, je…

Bernard, interrompt Juliette.

Maintenant, on passe au cran supérieur. Tu tiens le spectateur en haleine. Il est pleinement avec toi, captivé par ton geste. Et paf ! tu enlèves ton soutien-gorge !

Alex

Excuse-moi, Bernard… On n’est plus du tout dans le boulevard bon enfant, là.

Bernard

Exactement ! On investit le néo-boulevard, le vaudeville revisité. Comme quand la grande cuisine réinterprète les vieux plats populaires. D’où le soutif ! Allez, Juliette.

Juliette

Vraiment, Bernard, je ne le sens pas.

Bernard

Juliette, tu te rends compte à quel point le spectateur est suspendu à tes gestes à cet instant ? Tu joues dos au public, sans un mot, et tu atteins pourtant une intensité exceptionnelle. Les hommes dans la salle prennent un air inspiré. Ils évitent le regard de leur femme, juste à côté d’eux. Ils font semblant d’être concentrés, style « je suis au théâtre, rien ne m’atteint », « je suis dans un lieu culturel, je ne fais rien de mal ».

Alex

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