Acte I
Scène 1 : Édouard, Cathy
Le jour se lève. Édouard entre, en salopette de travail et une casquette vissée sur la tête. De sa main gauche il tient sa bretelle, et de la droite il porte un bouquet de roses rouges qu’il va poser sur la table. Il accroche sa veste et sa casquette sur un portemanteau, à côté d’un casque de pompier. Puis il se dirige vers le salon, les deux mains accrochées aux bretelles de sa salopette.
L’horloge à coucou indique l’heure. Édouard se rend dans la cuisine.
Édouard, off. — Une bonne marquisette, ça vous met en appétit ! J’en connais qui vont se régaler ! (La sonnerie de la porte d’entrée retentit. À la cantonade, d’un ton joyeux.) Entrez, vous serez dedans !
Édouard revient dans le salon. Cathy entre.
Cathy. — Bonjour, Édouard ! Pas trop la pression ? C’est quand même impressionnant de recevoir pour une première fois son amie à la maison.
Édouard. — Mon amie, mon amie… Un bien grand mot ! En fait, comme c’est le jour de mon anniversaire, je souhaite la présenter à mes amis.
Cathy. — Bon anniversaire, Édouard ! Alors là, profiter de votre anniversaire pour présenter Bernadette à vos amis, c’est une très bonne idée.
Édouard. — J’ai juste une photo d’elle. Tenez, regardez !
Cathy. — Mais… elle a 25 ans tout au plus ! Félicitations ! Elle est très jolie. Hum… bizarre, une jeune fille de 25 ans qui se prénomme Bernadette… Mais bon, ce n’est pas là l’essentiel. Je vois que vous avez prévu de lui offrir ce magnifique bouquet de roses. Bravo, Édouard !
Édouard. — Bernadette devait arriver hier soir. Elle m’a prévenu qu’elle avait eu un contretemps et qu’elle arriverait vers midi. Voilà le programme : je vais préparer la table, un peu de déco, puis je reçois mes amis à l’apéritif. Et à 13 heures, ils m’offrent une surprise. (Le téléphone sonne. Il répond d’un ton amoureux.) Oui, c’est Édouard !… D’accord, Bernadette… À tout à l’heure… Nous passerons te prendre à la gare. Bisous ! Bisous ! (Il raccroche.)
Cathy. — Un premier conseil que j’aborde avec mes clients : vous allez prendre l’apéritif…
Édouard. — J’ai prévu une marquisette. Vous voulez la recette ?
Cathy. — Je suppose que vous allez en prendre quelques verres… et quelques verres de vin. Vous n’avez pas un problème particulier avec l’alcool ?
Édouard. — Non ! Pas de problème ! M’enivrer en cinq minutes, ce n’est pas dans mes habitudes.
Cathy. — Tant mieux ! Certaines personnes sont totalement différentes sous l’effet de l’alcool et cela peut être très gênant lors d’un premier rendez-vous. Entre les ronchons, les pleurnichards, les rigolos qui racontent des histoires drôles et les imprévisibles qui se mettent dans des situations improbables, il y en a pour tous les goûts !
Édouard. — O.K. ! J’ai compris, Cathy !
Cathy. — Un tout dernier conseil, Édouard : pas question de vous inventer une vie de baroudeur ! Pas question de vous engluer dans des petits mensonges, car à un moment donné vous ne contrôlerez plus la situation. Avancez à petits pas, prenez le temps d’écouter, ne craignez pas le rejet. Cette Bernadette n’est peut-être pas encore la bonne personne ; néanmoins, pour un beau timide comme vous, vous aurez déjà fait un bon bout de chemin. (Elle insiste bien sur cette phrase.) Restez vous-même, c’est très important. Allez, bon anniversaire, Édouard ! J’imagine que cette journée va être inoubliable !
Édouard. — Ce soir, vous viendrez bien faire un tour au bal des pompiers ? Je vous invite !
Cathy. — O.K. ! D’accord ! À ce soir !
Édouard. — Et maintenant, une bonne douche !
Cathy sort. En chantant, Édouard bouge une chaise, réajuste la nappe…
Scène 2 : Édouard, M. et Mme Boulet
La sonnerie de la porte d’entrée retentit.
Édouard, d’un ton joyeux. — Entrez, vous serez dedans ! (M. et Mme Boulet entrent.) Bonjour ! Ah ! vous êtes la petite dame d’hier, celle à la voiture de sport rouge… Eh bien, dites donc, vous avez repris des couleurs, car hier, mon Dieu ! Hormis les tremblements des mains, avec votre visage pâle, contraint, on aurait dit une trépassée sur son lit de mort !
M. Boulet, d’un ton sec et cassant. — Bonjour ! Garde à vous ! (Mme Boulet se met au garde-à-vous.) Gendarme Boulet de l’escadron motorisé départemental de la sécurité routière. Pour faire simple : un motard. (Il montre sa tenue de haut en bas et mime le chevauchement d’une moto.) Les hommes en tenue bleue, casque noir, lunettes noires, bottes noires et moto de forte cylindrée. Repos !
Mme Boulet se met en position « repos ».
Édouard, effrayé. — Eh bien, dites donc, ça surprend !
M. Boulet. — Je dirais même : ça impressionne. N’est-ce pas ?
Édouard. — Mais que faites-vous ici ? Nous avions convenu la semaine prochaine ; mardi soir, plus précisément. Aujourd’hui, je n’ai pas le temps de vous recevoir.
M. Boulet. — Pas question d’attendre la semaine prochaine ! Il faut faire ce constat maintenant !
Édouard. — Aujourd’hui, demain, dans trois jours ou dans une semaine, cela ne changera rien ! Il n’y a pas de blessé, juste une rayure sur l’aile avant gauche.
M. Boulet. — Une rayure ? Vous vous foutez de moi ? L’aile avant gauche est pliée et la portière défoncée ! Ah ! si vous saviez le prix des pièces, vous feriez moins le malin !
Édouard. — Moi, j’ai vu une légère rayure sur l’aile avant gauche ! Et encore, il fallait vraiment se pencher pour bien la voir. Madame a ouvert normalement la porte gauche et sans grincement, je précise.
M. Boulet. — En plus, il y a délit de fuite. Vous auriez dû faire le constat sur-le-champ !
Édouard. — Visiblement, madame était en état de somnambulisme : muette, les yeux grands ouverts, le visage déconfit, totalement tétanisée et pressée par la même occasion. Nous avons juste échangé quelques mots. Alors, m’accuser d’un délit de fuite avec un tracteur, on aura tout entendu ! Votre femme a failli s’encastrer sous ma remorque : 20 tonnes de cailloux. À un mètre près, écrabouillé, aplati, en miettes, votre coupé sport et… (Fort.) madame avec ! Et vous avez le culot de venir me déranger pour une simple égratignure !
M. Boulet. — Ça ne va pas se passer comme cela !
Édouard. — Elle n’avait qu’à pas rouler si vite ! J’ai vu foncer sur moi une flèche rouge, brillante comme un éclair ! J’ai tout fait pour l’éviter ! Voilà, c’est le minimum de ce qui pouvait lui arriver !
M. Boulet. — C’est ce qu’on va voir ! Assez parlé ! Le constat, s’il vous plaît !
Édouard. — Bon, installez-vous à la table. Nous allons le rédiger, ce constat amiable !
M. Boulet. — Rompez les rangs ! (Mme Boulet abandonne la position « repos » et s’avance de quelques pas. Le trio s’assoit autour de la table. De son blouson, M. Boulet sort un exemplaire de constat amiable déjà rempli.) J’ai déjà réfléchi. Voilà ce que nous devons mettre : je suis le véhicule A et vous êtes le véhicule B. Êtes-vous d’accord ?
Édouard. — O.K., pas de problème !
M. Boulet. — J’ai déjà rempli la partie qui me concerne : assuré, véhicule… Dégâts apparents : une aile froissée et une portière défoncée.
Édouard. — Mais ce n’est pas vrai !
M. Boulet. — C’est mon côté. Remplissez le vôtre !
Édouard commence à remplir la partie le concernant.
Édouard. — Je n’ai pas la carte grise sur moi.
M. Boulet. — Remplissons le constat, et nous verrons cela à la fin.
Rapidement, Édouard crayonne le constat et chantonne en même temps.
Édouard. — C’est fait ! J’ai rempli ma partie !
M. Boulet. — Dans la partie « le point de choc initial », vous n’avez rien inscrit ? C’est pourtant simple !
Édouard. — Que voulez-vous que je rajoute ? Il n’y a eu qu’un léger, un très léger frottement.
M. Boulet. — Apportez des précisions, voyons ! Allez-y !
Édouard. — Je trace un trait, légèrement plus épais. Tenez ! De ce coup, c’est fini !
M. Boulet. — Dégâts apparents : néant. Vous n’avez rien mis ?
Édouard. — Évidemment ! Ma remorque est intacte !
M. Boulet. — Vous avez de la chance ! Passons donc aux circonstances. Petit 1 : bla-bla-bla. Non. Petit 2 : quittait… Non. Petit 3 : prenait… bla-bla-bla… heurtait l’arrière de l’autre véhicule qui roulait dans le même sens et sur la même file… Heureusement que non ! Virait à droite, virait à gauche… (Il lit rapidement. Il murmure du bout des lèvres, puis il annonce d’une voix puissante.) Ne vous endormez pas ! On y arrive ! (Il se met au garde-à-vous, regarde fermement Édouard et annonce d’une voix encore plus puissante.) Petit 15 : empiétait sur la partie de la chaussée réservée à la circulation en sens inverse. Ça vous parle ? Votre remorque débordait sur l’autre voie de circulation.
Édouard. — Attendez, attendez…
M. Boulet. — S’il vous plaît, chacun son tour, alors patientez ! Vous comprenez bien ce que je raconte ?
Édouard. — Évidemment !
M. Boulet. — Donc, en conclusion, moi véhicule A, je propose de cocher : petit 1 en stationnement ; et vous, véhicule B, le 15… (D’une voix forte, faisant tourner son index autour de sa tempe.) empiétait sur la partie de la chaussée réservée à la circulation en sens inverse.
Édouard. — Votre femme n’était pas en stationnement, elle s’est simplement arrêtée au milieu de la voie lorsqu’elle a vu qu’elle n’avait pas la place de passer !
M. Boulet. — Je répète ma question sous une autre forme : est-ce que la voiture de ma femme était en mouvement ?
Édouard. — Non, elle était à l’arrêt.
M. Boulet. — Donc, si elle n’était pas en mouvement, elle était en stationnement. C’est bien ce que je disais !
Édouard. — Pas du tout ! Elle n’avait pas la place de passer !
M. Boulet, fort. — Véhicule B empiétait…
Édouard. — Évidemment que j’empiétais sur l’autre voie de circulation, comme dit monsieur. Ma remorque est plus large que la moitié de la chaussée. Je n’allais quand même pas rouler dans le fossé pour lui faire plaisir ! Et puis, votre femme roulait beaucoup trop vite, il y a enco…
M. Boulet, lui coupant la parole, fort. — N’importe quoi ! N’importe quoi ! Sur ce constat amiable, où avez-vous vu le mot vitesse ? Trouvez-moi le mot vitesse !
Édouard. — Il n’y est pas !
M. Boulet. — Pas de mot vitesse… On n’en parle pas !
Édouard. — Laissez-moi finir, bon sang ! Votre femme s’est arrêtée au dernier moment, juste devant la roue. J’ai entendu les pneus crisser sur le gravier. Il y a encore les traces sur le bitume !
M. Boulet. — Les pneus qui crissent sur les graviers ? Cherchez sur le constat… Voyons ! Allez-y ! Trouvez-le-moi !
Édouard. — Les pneus qui crissent sur les graviers ? Évidemment, ce n’est pas inscrit sur la feuille ! Vous vous fichez de moi ? C’est bien connu : ceux qui prennent cette route, ce sont ceux qui se sont fait flasher au radar mobile.
M. Boulet, cassant. — Vous voulez dire : ceux qui se sont fait avoir au radar mobile ? (Moqueur.) Ils connaissent le coin ?
Édouard. — Je peux finir tranquillement, s’il vous plaît ? Ceux qui se sont fait avoir au radar prennent la petite route juste en bas de la côte, 100 mètres avant le parking où les gendarmes cueillent les contrevenants. Cette petite route est particulièrement discrète. Entre nous, les gendarmes sont un peu couillons !
M. Boulet. — Qu’est-ce que vous insinuez par couillons ?
Édouard. — Ah bon ? J’ai prononcé le mot couillon ? S’ils imaginent que nous ne connaissons pas les endroits où ils posent leur radar, faudrait vraiment nous prendre pour des imbéciles. Il faut reconnaître que la courbe inclinée façon circuit automobile à la sortie du bourg est particulièrement fructueuse !
M. Boulet, fort. — Qu’est-ce que vous voulez dire par fructueuse ?
Édouard. — Ce n’est pas à vous que je vais l’expliquer ! Avec le nombre de P.-V. que vous alignez, un vrai tiroir-caisse ! Comme dirait Dédé, mon beau-frère, qui est pêcheur : c’est vraiment un bon coin !
M. Boulet. — Monsieur Labiche, selon vos propos, les habitués prennent cette route et se soustraient aux amendes du contrôle radar. Avez-vous tenté d’éviter l’amende d’un contrôle radar, voire de fuir devant un véhicule de gendarmerie ? C’est bien ce que vous avez dit ?
Édouard, énervé. — Éviter un radar et fuir devant une voiture de gendarmerie avec un tracteur ! Mais il est c… il est… (Il se racle la gorge, regarde le public et M. Boulet, attend quelques secondes.) N’importe quoi ! Mais moi, je roulais dans l’autre sens. J’habite à un kilomètre. Il est con, lui !… Oh ! pardon !
M. Boulet. — Je note ! Et toi, chérie, que faisais-tu sur cette route ? Une route réservée aux habitués, selon les dires de monsieur…
Mme Boulet. — J’étais en mission secrète !
Édouard. — Tiens donc ! Vous parlez, maintenant ? J’ai cru un instant que vous étiez muette… Parce que l’accident, c’est la faute de madame ! Alors, je ne comprends pas pourquoi c’est monsieur qui nous tient le crachoir et qui pose toujours les questions !
M. Boulet. — Nous avons nos raisons personnelles. Madame Boulet, revenons à votre mission secrète. Vous pouvez m’en dire plus ?
Mme Boulet. — Non !
M. Boulet. — Nous verrons ça au rapport lundi matin.
Édouard. — Oh là là ! Oh là là !
M. Boulet. — Revenons au constat ! Vous le cochez, ce numéro 15 ? Empiétait sur la partie…
Édouard. — Mais vous l’avez déjà signé ! Au fait, qu’est-ce que vous en savez, de l’accident ? Vous n’y étiez même pas !
M. Boulet. — Ma femme m’a déjà fait un premier rapport que j’ai validé. Et nous avons la même signature.
Édouard. — C’est bien la première fois que je vois ça ! Un couple avec la même signature !
M. Boulet. — Bon ! Vous signez ou vous voulez quoi ? De plus amples explications ?
Édouard. — Jamais ! Vous m’entendez ? Jamais je ne signerai ! Je suis sûr de ce que j’avance ! J’étais du bon côté de la route, un point c’est tout !
M. Boulet. — Bon, j’ai compris ! J’appelle mes collègues de la gendarmerie de Coulonges. Photo, décamètre… Ils ont tout le matériel nécessaire. Vous verrez que l’accident est de votre faute.
Édouard. — Oh là là ! Oh là là ! On se calme !
M. Boulet. — C’est parole contre parole. La parole d’un gendarme de l’escadron motorisé départemental, autrement dit… (D’une voix puissante.) un motard, contre celle… (D’un ton moqueur.) d’un paysan. À ce jeu, vous êtes perdant à tous les coups. Ah ! j’oubliais : les papiers du véhicule !
Édouard. — Patientez deux secondes, que je mette la main dessus !
M. Boulet. — Les papiers du véhicule, s’il vous plaît ! Impératif !
Édouard. — Bon, allez, fichez-moi le camp, que je recherche tranquillement !
M. Boulet. — Je vois que la confiance règne ! Nous sortons cinq minutes. Ça ne devrait pas trop causer de problème de retrouver une carte grise, quand même, non ?
M. et Mme Boulet se lèvent et sortent de la maison. Édouard se dirige vers le buffet, ouvre un tiroir, puis un autre. En grommelant, il se dirige vers la porte côté chambre.
Scène 3 : M. et Mme Boulet
Mme Boulet, off. — C’est fichu, tu l’as effrayé, il ne signera jamais ! Tu ne crois pas que tu en fais un peu trop avec tes « garde à vous, repos, rompez » ?
M. Boulet, off. — Tu exagères ! Je lui ai juste mis la pression !
Mme Boulet, off. — Ce n’est pas un perdreau de l’année !
M. Boulet, off. — Perdreau de l’année ou pas, il faut qu’il signe coûte que coûte !
Mme Boulet, off. — Je te dis qu’il ne signera jamais !
M. Boulet, off. — Dis donc, je ne t’ai pas demandé de déboutonner un bouton de ton chemisier !
Mme Boulet, off. — Pourquoi pas, si tu n’es pas jaloux ?
M. Boulet, off. — Si tu la joues douce, séductrice, et j’ajouterai même maternelle… (Il insiste bien sur « maternelle ».) Oui, maternelle… Ce célibataire, cet endurci signera n’importe quoi ! Et puis c’est l’occasion de refaire une peinture complète et gratuite.
Mme Boulet, off. — Là, franchement, tu ne crois pas que tu exagères ?
M. Boulet, off. — Et pourquoi ne pas poser de nouvelles jantes en alu ? Celle de la roue droite est rayée, elle aussi. Profitons de l’opportunité !
Mme Boulet, off. — File ! Fais un tour ! Laisse-le-moi une heure et tu l’auras, ta signature !
M. Boulet, off. — Je te préviens : une heure chrono, pas une minute de plus !
Scène 4 : Édouard, M. et Mme Boulet
Édouard revient dans la pièce les mains vides.
Édouard, inquiet. — Bon sang de bonsoir, je ne sais pas où j’ai pu mettre ces papiers !
De nouveau, le couple Boulet sonne. Édouard ouvre la porte et les fait entrer.
M. Boulet. — Les cinq minutes sont largement dépassées ! Alors, avez-vous trouvé ces fameux papiers ?
Édouard. — Non, pas encore !
M. Boulet, moqueur. — Pas encore ? C’est si difficile que ça de trouver une carte grise ?
Édouard, inquiet. — Normalement non !
M. Boulet. — Bon ! Nous n’allons pas attendre là, les bras croisés. Puisque j’impressionne monsieur, Mme Boulet va continuer seule à finaliser ce constat.
Édouard. — O.K., ça roule !
M. Boulet. — Je retourne sur les lieux de l’accident. Je vais vérifier quelques détails. En parallèle, je vous informe que je mène une enquête de voisinage. Mme Boulet m’a parlé d’un joggeur, témoin oculaire qui pourrait nous éclairer par son témoignage. Monsieur Labiche, il faut bien vous rentrer ça dans le crâne : nous ne partirons d’ici que le constat dûment signé !
M. Boulet sort de la pièce en claquant la porte.
Scène 5 : Édouard, Mme Boulet
Édouard et Mme Boulet sont debout devant le canapé.
Mme Boulet, d’une voix enjôleuse. — Asseyons-nous chacun dans un fauteuil ! Reprenons calmement ce constat entre personnes adultes, responsables. Je sais que tout va bien se passer. Puis-je vous appeler Édouard ?
Édouard. — Pourquoi pas ? Et vous, c’est quoi votre prénom ?
Mme Boulet. — Sophie !
Édouard, d’un ton enfantin. — C’est mignon, Sophie ! Sophie !… Sophie !… Comme la comtesse de Ségur ?
Mme Boulet. — Exact !
Édouard. — Je me souviens ! J’ai lu tous ses livres.
Mme Boulet. — Ouf ! Heureusement, je ne me prénomme pas Martine !
Édouard, même jeu. — Martine ! Martine !… Je me souviens ! J’ai aussi lu tous les livres : Martine à la plage, Martine à la campagne…
Mme Boulet, d’un ton un peu moqueur. — Oh ! comme c’est mignon ! Vous êtes adorable ! Un grand garçon très cultivé !
L’horloge à coucou indique l’heure. La sonnette de la porte d’entrée retentit.
Édouard, d’un ton joyeux. — Entrez, vous serez dedans !
Scène 6 : Édouard, Mme Boulet, Caroline
La factrice pose le courrier sur la table et se retrouve face à Édouard. Totalement absorbée par le bouquet de roses, elle ne voit pas Mme Boulet assise dans l’autre fauteuil. Elle s’intéresse de près à la table mise par Édouard.
Édouard, enjoué. — Bonjour, Caroline !
Caroline, d’un ton amoureux. — Bonjour, Édouard ! Deux factures et un rappel pour un abonnement. C’est tout pour aujourd’hui. Ah ! je vois que tu as dressé une jolie table ! Le bouquet de roses, on te l’a offert ou c’est pour offrir ?
Édouard. — Quelle question ! C’est pour offrir !
Caroline. — Et qui est l’heureuse élue ?
Édouard. — Secret. Tu ne connais pas !
Caroline. — Je ne connais pas ? Ah bon ?
Édouard. — Eh bien, non, tu ne connais pas. Enfin, pas encore !
Caroline. — Dommage ! Moi, je n’ai pas oublié. J’ai quelque chose pour toi ! Bon anni… (Elle voit enfin Mme Boulet assise dans l’autre fauteuil.) Oh ! excusez-moi ! Bonjour, madame ! Je ne vous avais pas vue.
Édouard. — Tu disais quoi ?
Caroline, à très haute voix. — Bonjour, madame !
Mme Boulet se lève et salue...