Acte I
Scène 1
Sophie entre dans son bureau avec une pile de dossiers, elle le dépose sur son bureau et s’incline respectueusement devant la photographie officielle du président de la République. Léa entre.
Léa. — Dis-moi, maman…
Sophie. — Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler comme ça, ici !
Léa. — Tu préfères que je t’appelle Sophie ?
Sophie. — Appelle-moi Mme la maire, comme tout le monde ! Et tu me vouvoies, merci.
Léa. — Tu n’as pas l’impression d’en faire trop ?
Sophie. — Tu parles ! Déjà que ces imbéciles de Dominique et Valéry ont hurlé quand je t’ai fait embaucher par la commune, on ne va pas tendre le bâton pour se faire battre. Gardons nos distances !
Léa. — Nous sommes toutes seules…
Sophie. — Non, Léa, nous ne sommes pas seules.
Elle désigne du coin de l’œil la photo du Président.
Léa. — M’étonnerait qu’il nous entende.
Sophie, en plein recueillement. — Chut.
Léa. — Quand je disais que tu…
Sophie. — Vous !
Léa. — Que vous en faisiez trop…
Sophie. — On n’en fait jamais trop quand on est au service de la République.
Léa. — Bien sûr… Vous me rappelez combien il y a d’habitants dans la commune ?
Sophie. — Trois cent vingt-cinq. Trois cent vingt-cinq âmes dont j’ai la charge.
Léa. — Ah oui ! Carrément…
Sophie. — Tu ne sais pas ce que c’est, toi. Tu ne vois pas l’immense responsabilité qui est la mienne.
Léa. — J’en ai bien une petite idée.
Sophie. — Le ramassage des poubelles…
Léa. — C’est le mardi. Ça fait des années que c’est le mardi.
Sophie. — Les mariages…
Léa. — Il n’y en a pas eu depuis trois ans.
Sophie. — Et surtout, l’éclairage public !
Léa. — Ah ! ça…
Sophie. — La facture a doublé, Léa. Doublé !
Léa. — Oui, merci, je suis au courant.
Sophie. — C’est à moi qu’il incombait de trouver une solution. Et j’ai trouvé.
Léa. — Ah oui ?
Sophie. — Eh oui !
Léa. — Et qu’est-ce que c’est ?
On toque à la porte.
Sophie. — Va ouvrir. Tu sauras bientôt.
Léa. — Je te rappelle que tu as fixé une réunion publique dans la salle des fêtes à 14 h 30. C’est dans dix minutes.
Sophie. — Je serai à l’heure, comme toujours. (Léa va ouvrir. Sophie l’arrête.) Attends ! (Elle s’assoit en majesté à son bureau et éparpille ses dossiers devant elle.) C’est bon, ouvre.
Scène 2
Léa ouvre la porte. Victor entre.
Sophie. — Bonjour, monsieur l’ingénieur.
Victor. — Vous pouvez m’appeler Victor. (À Léa :) Et vous êtes… ?
Sophie. — C’est ma fi… ma secrétaire, Léa.
Victor, ébloui. — Absolument enchanté, Léa.
Il la regarde fixement, Léa est visiblement très gênée.
Sophie. — Asseyez-vous, Victor. Nous n’avons que très peu de temps. (Victor s’assoit, tout en continuant à regarder Léa.) La réunion publique commence dans dix minutes, il faut que j’aie toutes les informations. Léa, prenez des notes.
Léa, prenant un stylo. — Excusez-moi mais…
Sophie. — Léa, je vous prie de ne pas intervenir, nous sommes pressés. (Léa se renfrogne et s’apprête à écrire. Victor la fixe toujours.) Le terrain est donc constructible.
Victor. — Très constructible.
Sophie. — Ce sera prêt dans combien de temps ?
Victor. — Je dirais un mois puisque nous avons eu tous les agréments.
Sophie. — Parfait. Expliquez-moi comment ça fonctionne, mes administrés seront curieux. Léa, notez.
Léa. — Mais de quoi…
Sophie. — Allez-y, Victor. (Victor ne répond pas, il regarde toujours Léa.) Hou ! hou !
Victor. — Veuillez m’excuser. (Il se tourne vers Sophie et essaie de se concentrer.) Eh bien, les trois pales sont conçues pour réduire la traînée et maximiser la portance afin de permettre une rotation efficace.
Léa. — J’aimerais bien savoir de quoi on parle.
Sophie. — Contentez-vous de noter ! Continuez, Victor.
Victor. — Le mouvement de rotation est transmis au roton, lui-même connecté au générateur qui convertit le mouvement en énergie grâce à l’induction électromagnétique.
Léa. — Électro… ?
Victor, se tourne vers elle et lui dit d’un ton passionné. — …Magnétique.
Sophie, un peu perdue. — C’est bon, j’en sais assez.
Victor. — Je ne vous ai pas parlé des aimants ni des bobines de cuivres.
Sophie. — Léa, notez !
Victor, en regardant Léa. — Aimants…
Léa. — Et bobines de cuivre, c’est noté.
Sophie, regardant sa montre. — Merci, Victor.
Victor, toujours à Léa. — C’était un plaisir, Mme la maire.
Sophie prend les notes de Léa.
Sophie. — C’est illisible, ma pauvre fille.
Léa. — Si j’avais su de quoi on parlait, aussi…
Scène 3
Claude entre, essoufflé.
Claude. — Pardon, m’dame la maire…
Sophie. — Ah ! voilà Claude ! (À Victor, pompeusement, pendant que Claude reprend son souffle :) Je vous présente Claude, notre inventif employé, superviseur de l’entretien des espaces verts et des bâtiments publics.
Léa. — Voilà. Il tond la pelouse et il fait le ménage.
Sophie. — Que vouliez-vous nous dire, Claude ?
Claude, haletant. — J’ai couru… Pour vous t’nir au courant… Plus d’courant !
Sophie. — Où ça ?
Claude, plus fort. — Dans la salle des fêtes !
Sophie. — Ah ! ça, c’est ennuyeux.
Claude. — On n’y voit plus rien !
Victor. — Même avec la lumière du jour ?
Claude. — Ça se voit que vous connaissez pas la salle des fêtes, vous.
Victor. — Je n’ai pas cet honneur, en effet.
Claude. — On a muré les fenêtres.
Victor. — Pourquoi ?
Claude. — Quelqu’un a volé les volets.
Victor. — Vous avez muré les fenêtres parce que les volets ont été volés ?
Sophie. — C’était malheureusement la seule solution.
Léa, à Victor. — Je vous rassure, je n’ai toujours pas compris non plus.
Sophie. — Toujours est-il que notre réunion ne peut plus se tenir dans la salle des fêtes.
Léa. — Nous n’avons qu’à la tenir ici, ma… dame la maire.
Sophie. — Nous n’aurons jamais la place ! Trois cent vingt-cinq habitants, tout de même !
Claude. — C’est pas grave, y a jamais personne qui vient à vos réunions.
Sophie. — Vous êtes bien là, vous !
Claude. — Personne sauf moi, Valéry, Dominique…
Sophie. — Oh non ! Pas Dominique !
Claude. — Des fois Danny et la p’tite Clara. On rentrera tous ici.
Léa. — Claude a raison, Mme la maire.
Sophie, résignée. — Bon… Allez les prévenir, Claude.
Claude. — Y vaudrait mieux que vous v’niez avec moi. Dominique me croit jamais quand j’dis des trucs.
Sophie, soupirant. — C’est mon rôle de maire, après tout. (À Léa, solennelle :) Léa, je vous confie la mairie. Nous revenons au plus vite.
Elle sort avec Claude.
Scène 4
Silence.
Victor fixe Léa qui lui jette, de temps à autre, des coups d’œil gênés.
Léa et Victor, en même temps. — Je…
Léa. — Oui ?
Victor. — Non, allez-y.
Léa. — Vous d’abord.
Victor. — Je voulais dire que… Il fait chaud, non ?
Léa. — Oui, le chauffage est toujours à fond ici. Mme la maire est très frileuse, ces derniers temps.
Nouveau silence.
Victor. — Elle est sympathique, votre maire.
Léa. — Ah ! vous avez deviné ?
Victor. — Quoi ?
Léa. — Que c’est ma mère.
Victor. — Euh… oui.
Léa. — Elle essaie d’être discrète là-dessus.
Victor. — Ah bon ?
Léa. — De toute façon, ça ne sert à rien, tout le monde est au courant.
Victor. — J’imagine, oui.
Nouveau silence
Léa. — Je n’ai pas bien compris de quoi vous parliez tout à l’heure.
Victor. — Quand ?
Léa. — Tout à l’heure, avec ma mère.
Victor. — Vous n’êtes pas au courant ?
Léa. — De quoi ?
Victor. — Des projets de votre maire.
Scène 5
Danny entre en trombe.
Danny. — Salut, la jeunesse !
Léa. — Bonjour, Danny.
Danny. — J’ai croisé ta mère avec Claude, ils m’ont dit que la réunion se ferait là.
Léa. — Pourquoi ils ne sont pas avec toi ?
Danny. — Ils attendent Dominique et la petite Clara.
Léa. — Tu sais si Valéry vient ?
Danny. — J’espère pas.
Victor. — Voulez-vous vous asseoir ?
Danny. — Je reste debout, c’est mieux pour les quadriceps.
Léa. — Comment ça avance, tes recherches sur les nouveaux oiseaux de la région ?
Danny. — Très bien, regarde ! (Danny sort une plume de son sac.) C’est un faisan de Colchide.
Léa, à Victor. — Danny a une vraie passion pour l’ornithologie.
Danny. — Je viens de passer deux jours sans bouffer ni dormir pour pas manquer les grues cendrées.
Victor. — C’est remarquable.
Léa. — Nous avons d’ailleurs une nouvelle volière dans la commune. Danny en prend le plus grand soin.
Victor. — C’est passionnant.
Danny. — Et vous, vous êtes qui ?
Victor. — Victor, ingénieur.
Il lui tend la main.
Danny, ignorant sa main. — Ah ! un ingénieur… (À Léa :) Qu’est-ce que tu fais avec un ingénieur ?
Léa. — Rien du tout.
Danny. — Méfie-toi, ma petite. Un ingénieur, ça invente n’importe quoi pour détraquer la nature.
Scène 6
Valéry entre et serre la main de tout le monde de façon protocolaire.
Valéry. — Madame… Monsieur… Mes hommages…
Léa. — Comment allez-vous, Valéry ?
Valéry. — Mal. La réunion publique était prévue à 14 h 30, il est 14 h 33 et nous n’avons pas commencé. De surcroît, le changement de lieu inopiné ne me dit rien qui vaille.
Danny. — Et voilà ! Il commence déjà à emmerder le monde…
Léa. — Il y a un problème à la salle des fêtes.
Valéry. — Je le sais. Si la municipalité n’avait pas pris la décision stupide de murer les fenêtres, nous y serions et la réunion aurait commencé à l’heure… Ah ! quelle chaleur épouvantable !
Victor. — Vous trouvez aussi ?
Valéry. — Toutes mes excuses, cher monsieur, je ne crois pas avoir eu la joie de vous être présenté.
Victor. — Victor, ingénieur.
Valéry. — Un ingénieur ? Voyez-vous cela ! C’est Mme la maire qui vous a fait venir ?
Victor. — Absolument, monsieur.
Valéry. — Mon Dieu, quelles excentricités nous réserve-t-elle encore ?
On entend frapper à la porte.
Scène 7
Léa. — Entrez.
Nouveaux coups à la porte.
Léa. — Entrez.
On frappe encore.
Valéry. — Quel est donc ce phénomène ? Pourquoi n’entre-t-on pas ?
Danny. — Ça doit être la petite Clara.
Valéry. — On lui a dit d’entrer !
Nouveaux coups.
Léa. — Vous savez comment elle est.
Valéry. — C’est ridicule.
Danny. — Il y a des gens sensibles, Valéry. Mais ça, vous ne pouvez pas comprendre.
Valéry. — Qu’est ce que cela veut dire ?
On frappe toujours.
Danny. — Vous avez très bien compris.
Victor. — Quelqu’un pourrait prendre une initiative, peut-être ?
Léa. — Vous avez raison. (Elle va ouvrir.) Entre, Clara.
Clara entre avec son carton à dessins.
Clara. — Pardon… Merci…
Léa. — Tu viens pour la réunion ?
Clara marmonne quelque chose d’inaudible.
Valéry, avec agacement. — Nous n’entendons rien !
Clara se fige, terrifiée.
Léa. — Il a raison, Clara, on n’entend pas ce que tu dis.
Clara. — Pardon… Sophie m’a dit que la réunion était ici.
Léa. — Elle était avec Claude et Dominique ?
Clara marmonne de nouveau quelque chose d’inaudible.
Valéry. — Plus fort !
Danny. — Arrêtez d’gueuler, vous la terrorisez !
Clara. — Je ne sais pas !
Léa. — Qu’est-ce que tu ne sais pas ?
Clara. — Je ne sais pas si Sophie était avec Claude et Dominique… Pardon.
Danny. — Eh ben , voilà ! (À Valéry :) Ça servait à rien de s’exciter.
Valéry. — Nous ne sommes pas plus avancés.
Silence pesant.
Victor, à Clara. — Vous dessinez ?
Clara ouvre sa pochette et présente quelques dessins à Victor.
Léa. — Clara est notre artiste locale. Elle a énormément de talent.
Danny, à Valéry. — Je vous interdis de faire la moindre réflexion !
Valéry. — Je n’ai rien dit.
Danny. — J’anticipe.
Victor regarde un des dessins avec une certaine perplexité.
Victor. — Qu’est-ce que… ça représente ?
Clara. — C’est la… Pardon… La Liberté face à l’angoisse.
Victor semble encore plus perplexe. Valéry lui prend le dessin des mains.
Valéry. — Un rond dans un carré.
Il montre le dessin à tout le monde. C’est effectivement un rond dans un carré. Danny prend le dessin.
Danny. — Eh ben, oui ! Un rond dans un carré ! La Liberté face à l’angoisse ! Bravo, Clara, c’est magnifique !
Clara. — Merci… Pardon…
Elle range son dessin dans la pochette.
Léa. — Clara fait de l’art non-figuratif.
Victor. — C’est comme ça que ça s’appelle ?
Léa. — Vous n’aimez pas ?
Victor. — Euh, si.
Léa. — Moi, j’adore le non-figuratif.
Victor. — Ah ! ça tombe bien, j’en raffole aussi ! Je suis très non-figuratif ! C’est bien simple : quand on me présente du figuratif, je suis dégoûté ! Ce figuratif partout, vraiment, quelle horreur ! (Il s’emporte.) Donnez-nous du non-figuratif, bon sang ! Je veux du non-figuratif partout ! (Silence.)Enfin, c’est très… Très joli le non-figuratif.
Scène 8
Sophie entre, suivie de Claude et de Dominique.
Sophie. — Ah ! vous êtes tous là !
Valéry regarde sa montre.
Valéry. — Quatorze heures quarante-cinq… De plus en plus ponctuelle, la municipalité.
Sophie. — Vous nous excuserez, Valéry, nous avons eu un contretemps.
Dominique. — Contretemps, contretemps… Une belle entourloupe, oui !
Sophie. — Qu’est-ce que vous racontez encore ?
Dominique. — On les connaît les magouilles ! D’abord réunion publique, après, plus de réunion publique, encore après, réunion publique autre part… Tout le monde est paumé et on finit par accepter n’importe quoi !
Sophie. — Arrêtez vos bêtises, la salle des fêtes est indisponible, on fait la réunion ici, c’est tout.
Dominique. — Ben tiens ! Et pourquoi elle est indisponible, la salle des fêtes ?
Claude. — Je t’ai déjà expliqué, Dominique, y a plus de courant.
Dominique. — On pouvait pas ouvrir les fenêtres ?
Danny. — Dominique, tu sais bien que les fenêtres ont été murées.
Dominique. — Et qui a muré les fenêtres ? La municipalité, comme par hasard ! La même municipalité qui organise la réunion publique ! Bravo ! Le coup est bien monté, Mme la maire !
Sophie. — Vous délirez complètement.
Dominique. — Vous dites ça parce que je suis antivax ?
Sophie. — Ça n’a rien à voir.
Dominique. — Mais bien sûr. (À tous les autres :) Vous êtes vraiment des moutons !
Léa. — On passe à la réunion, Mme la maire ?
Sophie. — Bonne idée. (Elle va s’asseoir à son bureau, non sans s’être inclinée devant le portrait présidentiel.) Avant toute chose, chères toutes et chers tous…
Valéry, l’interrompant. — Nous est-il interdit de nous asseoir, Mme la maire ?
Sophie. — Vous voyez bien qu’il n’y a pas assez de chaises.
Valéry. — C’est une honte !
Danny. — On peut faire sans.
Claude. — Ce s’rait quand même plus pratique.
Dominique. — La maire nous épuise pour mieux faire passer ses magouilles !
Léa. — Je crois qu’il y a des chaises pliantes dans le débarras.
Sophie. — Eh bien, va les chercher !
Victor. — Laissez-moi vous aider, Léa.
Ils vont chercher les chaises. Désordre indescriptible pour les installer. Tout le monde finit par s’asseoir, sauf Danny.
Sophie. — C’est bon, je peux y aller ? Danny, tu t’assois ?
Danny. — Je muscle mes quadriceps.
Sophie. — Si tu veux… On a assez perdu de temps comme ça.
Valéry. — À qui la faute, Mme la maire ?
Dominique. — C’est vrai, ça, à qui la faute ? On se le demande bien !
Sophie. — S’il vous plaît, un peu de tenue !
Valéry. — Nous en avons, de la tenue, Mme la maire. Sauf certains, bien entendu.
Danny. — T’as un problème ?
Valéry. — Qui vous dit que je vous visais ?
Brouhaha, Sophie tape sur la table.
Sophie. — Eh oh ! Ça va bien, maintenant ! Laissez-moi parler !
Valéry. — Nous y voilà ! Le despotisme dans toute sa splendeur !
Sophie. — Non mais vous n’êtes pas bien, vous ! Je vous rappelle que la mairie a aimablement installé une plaque à votre demande dans la grand-rue pour rendre hommage à votre ancêtre ! Niveau despotisme, on a vu pire !
Valéry. — L’apposition de cette plaque était tout à fait naturelle. Le devoir de mémoire…
Léa, l’interrompant. — On peut en venir au sujet qui nous rassemble ?
Sophie. — Très bonne idée, je…
Claude, l’interrompant. — On vous écoute, madame le maire.
Sophie. — Trop aimable. Si je vous ai réunis aujourd’hui c’est parce que j’ai une grande nouvelle à vous annoncer. Vous savez que la commune connaît une augmentation du coût de l’électricité. J’ai avec moi les dernières factures concernant l’éclairage public ainsi que des bâtiments appartenant à la municipalité.
Dominique. — C’est quoi, ça ?
Claude. — C’est la mairie.
Valéry — Et la salle des fêtes.
Dominique. — L’éclairage de la salle des fêtes, il nous coûte pas cher en ce moment.
Sophie. — Je vous fais passer les factures pour que vous vous rendiez compte.
Sophie fait circuler des documents. Désordre indescriptible. Exclamations de toutes parts.
Valéry. — Et qui payera tout cela ?
Dominique. — Eh ouais ! Qui va payer tout ça ?
Valéry. — Nos impôts, comme d’habitude !
Dominique. — Eh ouais ! Comme d’habitude !
Sophie. — Heureusement, chères toutes et chers tous, j’ai trouvé une solution pour faire baisser considérablement la facture d’électricité de la commune dans les mois à venir.
Dominique. — Éteindre toutes les lumières ?
Valéry. — Baisser le chauffage ?
Victor. — Tiens, ce ne serait pas une mauvaise idée, ça.
Sophie. — Ce ne sont pas des solutions sur le long terme. Chères toutes et chers tous, l’idée que j’ai eue…
Scène 9
Camille entre.
Camille. — Pardon, messieurs-dames…
Sophie. — Vous êtes ?
Camille. — Camille Surin, journaliste à la Voix locale.
Sophie. — Je suis navrée, je ne donne pas d’interview aujourd’hui. Merci, au revoir.
Camille. — Je voulais juste vous poser quelques questions sur la nouvelle fontaine de la place du marché.
Sophie. — Ce sera plus tard, merci.
Camille. — Nous pouvons fixer un rendez-vous ?
Valéry. — Cela suffit ! Ne voyez-vous pas que nous sommes en pleine réunion publique ?
Dominique. — Ces journalistes, tous les mêmes !
Camille. — C’est une réunion publique ?
Claude. — Puisqu’on vous le dit !
Camille, à Sophie. — Dans votre bureau ?
Claude. — Y a plus de courant dans la salle des fêtes !
Camille. — C’est intéressant.
Camille prend une chaise et s’assoit.
Sophie. — Pardon mais la réunion publique est privée.
Camille. — Ah bon ?
Sophie. — Elle concerne les habitants de la commune.
Camille. — Qui sont tous présents dans cette pièce ?
Valéry. — Certainement pas !
Danny. — Nous sommes trois cent vingt-cinq au dernier recensement.
Dominique. — Alors ça, ça m’étonnerait ! J’en ai compté Trois cent dix-huit. Encore un enfumage ! Bravo la mairie !
Camille. — Trois cent dix-huit ou trois cent vingt-cinq, moins les sept présents, ils seront informés par la Voix locale.
Silence contrarié de Sophie. Camille sort un carnet de notes.
Valéry. — Pouvons-nous avancer, Mme la maire ?
Sophie. — Certainement. Je disais donc qu’au vu de l’augmentation sans précédent de la facture d’électricité, il fallait trouver une solution rapide et durable. J’ai donc décidé…
Claude. — … d’utiliser mon vélo !
Tout le monde se tourne vers lui.
Sophie. — Je te demande pardon, Claude ?
Claude. — Merci, Mme la maire ! Enfin vous m’écoutez !
Sophie. — Claude…
Claude, à l’assemblée. — C’est un système tout simple ! Il suffit d’un vélo d’appartement, d’un générateur électrique et hop ! plus d’problème !
Brouhaha.
Dominique. — Quinze ans que t’essaies de nous refourguer cette camelote…
Valéry. — Je ne vais tout de même pas pédaler pour faire fonctionner mon frigidaire !
Danny. — Ce serait pas mal pour les quadriceps.
Sophie. — Claude, je connais ton invention, tu me l’as présentée vingt fois mais ce n’est pas la solution retenue.
Claude. — Et pourquoi ?
Sophie. — Ton vélo ne suffira pas à alimenter toute la commune.
Claude. — Il suffit qu’on achète plusieurs vélos et qu’on se relaie tous !
Valéry. — Ridicule.
Sophie. — J’ai dit non, Claude ! La mairie t’a déjà acheté tes trois modèles de tondeuse révolutionnaire ce mois-ci, ça suffira !
Valéry. — Bravo, Mme la maire.
Sophie. — Merci, Valéry. L’idée que j’ai eue va vous enthousiasmer.
Elle fera entrer la municipalité dans la modernité et nous serons à la pointe des énergies renouvelables. Chères toutes et chers tous, dans quelques semaines, la commune aura sur son territoire une éolienne.
Danny. — Une quoi ?
Sophie. — Oui, chères toutes et chers tous, une éolienne.
Valéry. — Cette chose immonde ?!
Danny. — Une broyeuse à oiseaux !
Dominique. — Une antenne d’espionnage gouvernemental !
Brouhaha.
Sophie. — Chères toutes et chers tous, je vous prie de garder votre calme !
Danny, furieuse, désignant Victor du doigt. — C’est pour ça qu’il est là, lui ?
Sophie. — En effet, Victor est là pour nous sortir de cette crise.
Valéry. — Enlaidir notre village, oui !
Danny. — Assassiner nos animaux !
Dominique. — Nous réduire en esclavage !
Nouveau brouhaha.
Léa. — C’est la seule solution que vous avez trouvée ?
Sophie. — Oui, Léa, c’est la seule ! La seule qui nous permette de diviser par dix notre facture d’électricité !
Camille. — Par dix ?
Sophie. — Tout à fait ! Par dix !
Camille. — Intéressant.
Camille écrit sur son carnet de notes.
Léa. — Claude avait plein d’idées, pourtant.
Claude. — Ah ! ça oui, plein !
Sophie. — Je remercie Claude pour toutes ces idées… vraiment enrichissantes mais l’éolienne est la seule qui soit apparue viable. N’est-ce pas, monsieur l’ingénieur ?
Victor. — Absolument, Mme la maire, et je dirais même…
Valéry. — C’est laid, une éolienne !
Léa. — Et ça fait du bruit, non ?
Danny. — Et ça tue !
Dominique. — Et ça diffuse des saloperies !
Nouveau brouhaha.
Sophie. — D’abord, Léa, l’éolienne sera parfaitement silencieuse. N’est-ce pas, Victor ?
Victor, gêné. — Pour être honnête, Léa a raison, les éoliennes font toujours un peu de bruit. Cependant, le niveau sonore…
Valéry. — Et voilà ! En plus d’être hideuses, ces machines sont étourdissantes !
Danny. — Elles ont tout pour elles, ces horreurs !
Dominique. — Oh ! mais ils savent très bien ce qu’ils font, ces salopards !
Victor. — Pour revenir à la remarque de madame concernant les oiseaux, nous mettrons en place des procédures de mitigation en équipant l’éolienne de radars qui…
Danny. — Des radars, maintenant ! Ça vous suffit pas de déchiqueter les oiseaux, vous voulez nous envoyer des ondes pour nous bouffer le cerveau !
Victor. — Les radars sur les éoliennes ne sont pas dangereux, c’est un…
Dominique. — C’est ça, ouais ! (À Danny :) Ça sert à rien de lui parler, il aura toujours réponse à tout !
Camille lève la main.
Sophie, agressive. — Oui, qu’est-ce qu’il y a ?
Camille. — Camille Surin, la Voix locale. Certains résidents vivant à proximité d’éoliennes ont déjà signalé des problèmes de sommeil et des troubles de l’équilibre. Que répondez-vous à cela ?
Victor. — Il faut savoir que la grande majorité des études scientifiques menées n’ont pas montré de liens directs…
Danny. — Ils veulent nous assassiner !
Dominique. — Exactement ! Ils nous assassineront jusqu’au dernier à grands coups d’éolienne dans la tronche !
Nouveau brouhaha.
Sophie. — Chères toutes et chers tous, je vous propose de passer aux détails techniques…
Valéry, se lève. — Il est hors de question de cautionner cette mascarade !
Danny, se lève. — Je ne cautionne pas non plus !
Dominique, se lève aussi. — Et moi, je cautionne encore moins !
Valéry. — Défigurez le paysage si cela vous chante ; nous, nous partons !
Valéry, Danny et Dominique partent.
Sophie, après un moment de silence. — Nous pouvons peut-être reprendre où nous nous étions arrêtés…
Valéry, passe une tête et hurle. — MISÉRABLES !!!
Victor, Sophie, Léa et Claude sursautent. Clara s’évanouit et tombe de sa chaise. Valéry s’en va.
Scène 10
Léa, essayant de ranimer Clara. — Clara ! Clara ! Réveille-toi !
Clara, se réveillant. — Pardon… Merci…
Elle se rassoit.
Sophie. — Je suis navrée, chères toutes et chers tous, de cet intermède. Il faut croire que certains dans cette commune n’aiment pas la démocratie. Mais ne vous inquiétez pas, la République sera assez forte pour résister à ces intimidations, et je m’engage à faire entendre votre voix pour que la construction de l’éolienne puisse être menée à son terme, en responsabilité. Avez-vous des questions ? (Claude et Camille lèvent la main.) Oui, Claude ?
Claude. — C’est qui qui va payer ?
Sophie. — Je vous remercie, cher Claude, pour cette excellente question. Sachez que cette nouvelle éolienne ne coûtera pas un centime à la commune puisque le financement sera garanti par l’entreprise Énergie verte construction.
Léa, à Victor. — Vous faites partie d’Énergie verte construction ?
Victor. — Non, pas du tout, je suis consultant extérieur.
Léa. — Vous êtes ingénieur ou consultant ?
Victor. — Les deux. (Il lui sourit niaisement.) Vous verrez, je suis un homme plein de surprises.
Léa, froidement. — Je n’en doute pas.
Camille lève la main.
Sophie, méfiante. — Oui ?
Camille, se lève. — Camille Surin, la Voix locale. Quelle sera la part prise par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie dans la construction de l’éolienne et surtout quelle part de fonds publics sera allouée à l’entreprise Énergie verte construction ?
Sophie, après une hésitation. — Je vous remercie pour votre question. Permettez-moi de vous répondre en adoptant une approche sans fard, sans détour et sans aucune ambiguïté. Soyez assurés que nous avons bien conscience que la question que vous soulevez avec beaucoup de pertinence et d’à-propos doit être traitée dans les délais les plus raisonnables. C’est les yeux dans les yeux que je vous dis que nous mettons tout en œuvre pour mobiliser les ressources nécessaires dans le respect d’une approche globale et cohérente pour déterminer les modalités les plus adaptées. Et je vous promets, à vous qui faites le métier si beau et si difficile de journaliste, dans ce journal ô combien important qu’est la Voix locale, je vous promets que nous veillons à ce que nos propositions soient alignées sur les impératifs d’une gestion responsable et équilibrée, en responsabilité. (Camille lève de nouveau la main. Sophie fait semblant de ne pas la voir.) Oui, Claude ?
Claude. — J’ai rien dit.
Sophie. — Vous alliez poser une question.
Claude. — Ah non !
Sophie. — Ah si !
Claude. — Ah bon ?
Sophie. — Vous alliez me demander comment fonctionne une éolienne.
Claude. — Ah ?
Sophie. — Vous n’avez pas envie de savoir, vous qui êtes si friand de technologies ?
Claude. — Euh… si, si.
Sophie. — Eh bien, je vais vous expliquer… (Elle cherche sur son bureau.) Léa, où sont mes notes ?
Léa. — Ici, Mme la maire.
Sophie. — Ah oui ! (Elle essaie de déchiffrer.) Les pales traînent l’importance de la relation efficace remise au raton du réfrigérateur qui convertit le crémant en allergie grâce à l’avion électromagnétique. Et aussi des aimants et des… babines…
Léa. — Bobines.
Sophie. — Des bobines de cuivre. Voilà, j’espère que c’est clair. Merci, au revoir.
Elle range ses dossiers.
Victor. — Si je peux me permettre…
Sophie, agacée. — Oui, quoi ?
Victor. — Je peux peut-être expliquer…
Sophie. — Allez-y, môssieur l’ingénieur, puisque vous savez tout mieux que tout le monde !
Léa. — C’est son métier, ma… dame la maire.
Sophie. — C’est ça, c’est son métier ! Et le mien, c’est de me faire engueuler parce que je trouve des solutions miraculeuses pour la commune ! Et en plus je passe pour une incapable ! (À Léa :) Si seulement tes notes étaient lisibles, aussi !
Léa. — Je ne savais pas de quoi vous parliez quand je les ai prises.
Sophie. — Ça va être ma faute, maintenant ! Vas-y, ne te gêne pas pour m’enfoncer ! Déjà que Victor me prend pour une cruche…
Victor. — Je n’ai pas dit que vous étiez une…
Sophie. — Mais bien sûr ! Allez-y ! Expliquez-nous comment fonctionne l’éolienne ! On vous écoute !
Victor, à Claude. — Il faut que vous imaginiez une éolienne comme une immense turbine placée en hauteur… Vous voyez ce que c’est, une turbine ?
Claude. — Ben oui j’en ai même construit une.
Victor. — Ah bon ? Pour quoi faire ?
Claude. — Pour propulser un avion.
Victor. — Vous aviez un avion à propulser ?
Claude. — Non, malheureusement, j’avais juste la turbine.
Victor. — Je ne comprends pas bien…
Léa. — Laissez tomber, Victor. Vous disiez qu’il fallait imaginer l’éolienne comme une turbine placée en hauteur.
Victor. — Oui, alors, les pales de l’éolienne agissent comme des ailes géantes qui captent l’énergie cinétique du vent. Le mouvement de rotation des pales est ensuite transféré à un générateur, à l’intérieur de l’éolienne. Cela fait tourner une partie appelée « rotor », à l’intérieur du générateur. Le rotor est entouré d’un ensemble d’aimants permanents qui créent un champ magnétique qui traverse une série de bobines de cuivre situées à proximité. Le mouvement du champ magnétique à travers les bobines induit un courant électrique acheminé vers le transformateur.
Silence.
Sophie. — C’est exactement ce que j’ai dit.
Claude. — Ça ne marche que si les pales tournent ?
Victor. — Euh… oui.
Claude. — Et si les pales patinent ?
Victor. — Il y aura une diminution de la production électrique. Mais nous effectuerons des travaux et ça ira mieux.
Camille lève la main.
Sophie. — Eh bien, je vous remercie pour cette explication. Je vous dis...