Les haricots de Paimpol
Nelly. — Victor ! Victor !!! Une nouvelle fantastique ! Victor ! Mais où est-il, ce paltoquet ? Victor !!!
Victor apparaît, débraillé, sans doute tiré du lit.
Victor. — Qu’as-tu donc à brailler ainsi ?
Nelly. — Victor ! Une nouvelle fantastique ! Mme Frossard, tu sais, la petite-nièce du général, celle qui a des chiens…
Victor. — Des chiens ?
Nelly. — Des chiens, celle qui a des chiens. Eh bien, elle a trouvé un document dans le grenier de son arrière-grand-cousin qui atteste de leur descendance directe avec les Habsbourg !
Victor. — Et qu’y a-t-il de fantastique là-dedans ?
Nelly. — Tu es encore en pyjama ?
Victor. — Je dormais quand tu es entrée…
Nelly. — À cette heure ?
Victor. — Je suis en congé ! J’ai bien le droit d’en faire usage exclusivement pour mon sommeil, que je sache !
Nelly. — Mais il est bientôt onze heures !
Victor. — Et les Habsbourg ?
Nelly. — Que veux-tu avec les Habsbourg ?
Victor. — Tu es entrée en hurlant « une nouvelle fantastique », et tu m’annonces que la nièce du cousin de machin est une Habsbourg. En quoi ça nous concerne ?
Nelly. — Tu n’y comprends rien.
Victor. — Alors je retourne au lit.
Nelly. — Victor Moullet, ne bougez pas !
Victor. — Quoi encore ?
Nelly, le tape. — Une bête, là.
Victor. — Où ça ?
Nelly. — Là ! Une petite bête qui pique. (Elle le tape encore.)
Victor. — Où ça ? Où ça ?
Nelly, une dernière tape, énergique. — Là ! La petite bête !
Victor. — Aïe ! Mais quelle dinde ! Qu’est-ce qui te prend ?
Nelly. — Les Habsbourg, c’est la grande famille d’Autriche, la famille de la reine Marie-Antoinette !
Victor. — Je le sais très bien, j’ai eu des cours d’histoire au collège, comme tout le monde ! Viens-en au fait !
Nelly. — Eh bien, Mme Frossard est l’arrière-petit-gendre de la cousine issue de germain de Marie-Antoinette et de Marie-Thérèse !
Victor. — Marie-Thérèse ?
Nelly. — La mère de Marie-Antoinette !
Victor. — Tu me fatigues, je retourne au lit. (Nelly sonne un domestique.) Tu sonnes, à présent ?
Nelly. — Oui, j’appelle Michou, j’ai besoin qu’il m’aide.
Michou entre.
Michou. — Madame, Monsieur, bonsoir.
Nelly. — Michou, peut-on recevoir dignement la cour d’Autriche cet après-midi ?
Victor. — La cour d’Autriche ?!
Michou. — Pour boire le thé darjeeling, par exemple ?
Nelly. — Je pensais plutôt à des frites, pour changer.
Michou. — Je vais me renseigner.
Il sort.
Nelly. — Et toi, va t’habiller, nous recevons la cour d’Autriche !
Victor. — Très bien, très bien ! Quelle histoire !
On sonne.
Nelly. — Les voilà ! Catastrophe ! Et les frites qui ne sont pas prêtes !
Victor. — Je vais voir ce que c’est.
Nelly. — Dans cette tenue ?
Victor. — Bien sûr dans cette tenue, et allons bon ?
Nelly. — Marie-Antoinette, Victor ! Marie-Antoinette ! Tu vas te présenter en pyjama à l’arrière-petit-fils du grand-neveu de la reine Marie-Antoinette ?
Victor. — Je dirai que c’est la dernière mode.
Il sort, déterminé.
Nelly. — Les Habsbourg… des frites… Ah ! quelle nouvelle fantastique ! La grand-tante du général qui est le petit-oncle de l’arrière-petite-pute de Marie-Thérèse, quelle chance, mais quelle chance pour nous !
Victor entre, suivi de cinq personnes en tenue traditionnelle régionale : Linda, Guy, Monique, Sylvie et Jacques qui n’a qu’un bras.
Victor. — Tranquillise-toi ! Si c’est ça les Habsbourg, alors je peux garder le pyjama !
Linda. — Bonjour, nous sommes le Chœur Français du France et nous chantons des gloires.
Silence.
Nelly. — Quelles gloires ?
Linda. — Des gloires nationales du France, ce grand pays.
Nelly. — Pourquoi me parle-t-elle du France quand nous recevons l’Autriche ?
Michou revient.
Michou. — Je viens prévenir madame que tout est complètement OK pour ses frites.
Nelly. — Michou, qui sont ces gens ?
Michou analyse le petit chœur.
Michou. — Je dirais qu’il s’agit là du Chœur Français du France, il chante des gloires.
Victor. — Mes alors, ces gloires, y en a-t-il eu tant que ça en France ?
Linda. — Très peu, c’est pourquoi nous les chantons aux frais du contribuable.
Guy. — C’est le ministère qui nous envoie.
Monique. — Pour remonter le moral français.
Victor. — J’aimerais bien voir ça !
Nelly. — Ce sera long ?
Linda. — Le temps se compte-t-il lorsqu’il s’agit de se faire plaisir ?
Nelly. — Parce que nous recevons le beau-fils de l’arrière-petite-grand-mère de l’impératrice Marie-Thérèse et que…
Le chœur chante. Il chante fort.
La chanson du Chœur Français du France
Ah le France le France le France
Ses gants blancs...