Acte 1
Scène 1 : Jérémy, Nicolas.
Lorsque le rideau se lève, Jérémy, seul en scène, est en train de ranger son appartement. On sonne.
Jérémy. — Ça y est, la voilà !
Il ouvre la porte, c’est son ami Nicolas.
Nicolas. — Salut, vieux !
Ils se font la bise.
Jérémy. — Ah ! Merde, c’est toi ! Qu’est-ce que tu fous là ?
Nicolas, déçu. — Sympa, l’accueil !
Jérémy. — Excuse-moi, mais je ne t’attendais pas !
Il jette un œil sur le palier avant de refermer.
Nicolas, souriant. — Tu regardes si j’ai été suivi.
Jérémy. — Ben non ! T’es nul !
Il regarde de nouveau sur le palier à droite et à gauche.
Nicolas. — T’as peur des voleurs ?
Jérémy, refermant la porte. — Hein ! Mais non ! En fait, j’attends quelqu’un d’autre !
Nicolas. — Qui ça ? Agathe ?
Jérémy. — Ah non ! Parle pas de malheur ! Elle est remontée chez elle !
Nicolas enlève son blouson et le pose sur une chaise.
Nicolas. — T’as un truc à boire, là ?
Il s’installe sur le canapé.
Jérémy. — Non, non, j’ai plus rien ! (Trouvant un prétexte.) Il faut que je fasse des courses ! Écoute, je suis désolé, Nico, tu ne peux pas rester !
Il lui rend son blouson.
Nicolas. — Ah ! Oui, d’accord ! Tu me jettes, c’est ça ?
Jérémy. — Mais non Nico, j’ai rencard dans un instant, puisque tu veux tout savoir !
Nicolas. — Une nana ?
Jérémy. — Oui !
Nicolas, complice. — Jolie ?
Jérémy. — Je n’en sais rien !
Nicolas, étonné. — Comment ça, tu n’en sais rien ! (Il pense avoir trouvé.) Ah, oui ! Ça y est ! C’est un plan sur internet ! Genre : site de rencontre. (Il rigole.) Oh, oh ! J’le crois pas ! Toi, sur Meetic ! Trop drôle ! Je l’aurai jamais cru !
Jérémy, fronçant les sourcils. — Mais non ! Arrête tes conneries ! J’ai un plan pour me débarrasser d’Agathe !
Nicolas. — Ah carrément ! Et quand tu dis débarrasser, tu veux dire supprimer ton ex ? Tu veux faire comment ? La découper en morceaux ? La dissoudre dans de l’acide ?
Jérémy. — Ben non, quand même pas ! Il est con, lui !
Nicolas. — C’est surtout très bête quand ton ex, Agathe, habite deux étages au-dessus de chez toi !
Jérémy. — Ne m’en parle pas ! Ce que je veux surtout, c’est qu’elle m’oublie, qu’elle me laisse tranquille ! Ça fait deux ans qu’elle me gave : (Imitant Agathe.) « Mon amour, ce serait bien si on se mariait ! » Non, mais, tu me vois, moi, la bague au doigt ! Quand c’est pas ça, c’est : « Chéri, fais-moi un enfant ! » Tu me vois avec un gosse ! Moi, le fils unique qui a horreur des gamins ! Au secours ! Le mariage, les mômes, elle ne parle que de ça ! J’arrive plus à m’en dépatouiller de cette nénette ! (Suppliant.) Tu veux pas me la prendre, dit Nico ?
Nicolas. — Tu te rends compte de ce que tu me demandes, Jérémy ?
Jérémy. — Quoi ?
Nicolas. — Alors monsieur ne veut plus de sa gonzesse, alors il me la refile comme on se débarrasse d’un vieux sweat troué ! Merci du cadeau !
Jérémy. — C’est chiant les filles, en fait. J’aurais dû prendre un chien ! Au moins, on peut l’abandonner quand on n’en veut plus !
Nicolas, outré. — T’es ignoble, Jérémy !
Jérémy. — Bon, c’est pas que tu m’ennuies, mais elle va arriver, là !
Nicolas, réalisant. — J’ai compris ! Tordu comme tu es : tu veux qu’Agathe te surprenne en flagrant délit, couché avec une belle blonde pulpeuse !
Jérémy. — Ça ne suffirait même pas ! Il faut que je le fasse beaucoup plus élaboré que ça mon plan !
Nicolas. — Vas-y ! Explique !
Jérémy. — J’ai pas le temps Nico, si ça se trouve, elle…
On sonne.
Nicolas. — Aaaah ! Voilà miss internet ! Une princesse ! J’imagine : un mannequin, un mètre quatre-vingts, une longue chevelure blonde, des talons aiguilles, une taille de guêpe et des seins énormes. (Il mime avec ses mains.) Blanche-Neige, mais en plus sexy !
Jérémy. — Chut ! Tais-toi ! Elle va t’entendre ! Elle est juste derrière la porte !
Nicolas, moqueur. — Et ben ! Tu ne vas pas t’embêter mon cochon ! Méfie-toi, si ça se trouve, c’est un travelo. (Il prend une voix très grave.) Salut ! Je m’appelle Robert ! (Il rit.) Ah ah ah !
Jérémy. — Chut ! J’ouvre la porte, mais tu ne fais pas de gaffes ! Tu t’en vas bien gentiment !
Nicolas. — Laisse-moi d’abord voir la princesse aux gros roploplos !
On sonne à nouveau.
Scène 2 : Jérémy, Nicolas,
Mlle Pigaufray, Sandrine.
Jérémy ouvre la porte et se retrouve derrière, caché par le battant. Sur le palier, une petite femme à grosses lunettes et imperméable. Pas attrayante du tout. Genre vieille fille aigrie. Elle tient une sacoche et une valise.
Mlle Pigaufray, à Nicolas. — Bonjour ! Je suis bien chez monsieur
Jérémy Dodin ?
Nicolas. — Oui ! Je vais voir s’il est là ! (Il referme la porte sur le nez de Mlle Pigaufray.) Jérémy, tu attendais Blanche-Neige : ils t’ont envoyé la sorcière !
Jérémy, fronçant les sourcils. — Mais qu’est-ce que tu racontes ?
Nicolas, moqueur. — Va falloir être courageux, mon vieux ! C’est un défi, mais tu vas y arriver !
Jérémy. — Pousse-toi ! Laisse-moi ouvrir !
Nicolas. — C’est toi qui l’auras voulu !
Il se pousse, Jérémy ouvre la porte. Voyant l’allure de Mlle Pigaufray, il fait un pas en arrière.
Jérémy. — Je suis Jérémy Dodin ! Bonjour madame !
Mlle Pigaufray, les lèvres pincées. — Mademoiselle ! J’y tiens !
Jérémy regarde Nicolas.
Nicolas, moqueur. — C’est le problème avec internet, mon vieux ! Des fois, c’est une bonne surprise, des fois non !
Jérémy, excédé. — Bon, ça va Nico ! (L’incitant à partir.) Tu ne devais pas y aller, là !
Nicolas. — Oui, oui ! Je me sauve ! Tu me raconteras ! Promis ! Courage ! (Il sort et on l’entend en voix off.) Bonjour mademoiselle !
Mlle Pigaufray. — Je me présente : mademoiselle Angélique Pigaufray, responsable de l’agence des jeunes mères en difficulté !
Jérémy, devant Mlle Pigaufray, prenant un ton très gentil et très doux. — Enchanté,
mademoiselle !
Mlle Pigaufray. — C’est bien vous qui vous êtes proposé pour héberger une future maman dans le besoin ?
Jérémy. — Tout à fait ! Quand on peut aider son prochain… Mais vous n’avez pas l’air d’être enceinte depuis longtemps, dites-moi.
Mlle Pigaufray, levant les yeux au ciel. — Il ne s’agit pas de moi, monsieur !
Jérémy, la toisant de haut en bas. — Ah oui ! Je me disais aussi !
Mlle Pigaufray, se retournant vers le palier dont la porte est restée ouverte. — Entrez, mademoiselle Delattre !
Sandrine entre. Elle pousse un landau qu’elle laisse à côté de la porte d’entrée. Elle est manifestement enceinte. Elle se tient les yeux baissés, l’air malheureux.
Sandrine. — Bonjour, monsieur !
Jérémy. — Bonjour, mademoiselle ! Il faut m’appeler Jérémy, vu que nous allons partager mon modeste logement pendant un certain temps ! Et vous vous prénommez ?
Sandrine. — Sandrine ! Alors, c’est vrai : vous me logez gratuitement ?
Jérémy. — C’est ce qui est convenu !
Sandrine. — Merci beaucoup, c’est très gentil à vous !
Mlle Pigaufray, posant la valise qu’elle tenait à côté du landau. — J’accompagne mademoiselle Delattre pour vérifier les conditions d’hébergement dans lesquelles elle va être reçue !
Jérémy, mielleux. — Mais c’est tout à fait normal, mademoiselle Angélique !
Mlle Pigaufray, autoritaire. — Ce sera mademoiselle Pigaufray, pas de familiarité, s’il vous plaît ! (Inquiète.) Je ne vous cache pas qu’une jeune fille seule et désemparée chez un homme solitaire, j’ai quelques réticences !
Jérémy. — Mais pourquoi cela ?
Mlle Pigaufray. — Vous comprenez, mademoiselle Sandrine Delattre fréquentait un homme qui ne pensait qu’à une chose…
Jérémy. — Ah oui ? Laquelle ?
Mlle Pigaufray. — Pas la peine que je vous explique, vous m’avez comprise ! Vous êtes bien tous les mêmes !
Jérémy. — Il y a les gentlemen, et il y a les autres !
Mlle Pigaufray. — Moui ! Eh bien cet homme, ce goujat, devrais-je dire, a obtenu ce qu’il voulait, mais quand il a fallu assurer une paternité, bien sûr, il s’est débiné !
Jérémy. — Quel odieux personnage !
Mlle Pigaufray. — Voilà pourquoi je reviendrai régulièrement m’assurer que tout va bien pour ma petite protégée !
Jérémy. — Mais la porte vous est grande ouverte, mademoiselle Pique-gaufrette !
Mlle Pigaufray. — Pigaufray, monsieur ! Pigaufray ! Alors, ne vous avisez pas de tourner autour d’elle avec des intentions malhonnêtes, monsieur Dodin, ou vous aurez affaire à moi !
Jérémy. — Mais il n’y aura aucun problème, mademoiselle ! (Plus féminin.) Vous savez, moi, les filles…
Mlle Pigaufray. — Oui, oui ! On dit ça, et un jour, le naturel reprend le dessus !
Sandrine. — Je sais me défendre, mademoiselle Pigaufray !
Mlle Pigaufray, aigre, en regardant son ventre. — Non ! Si vous saviez vraiment vous défendre, mademoiselle, vous ne seriez pas dans l’état où vous en êtes aujourd’hui !
Jérémy. — Si je vous dis qu’il n’y a aucun risque, c’est que j’ai quelqu’un dans ma vie !
Mlle Pigaufray, étonnée. — Ah bon ! Je croyais que vous viviez seul !
Jérémy. — Oui, c’est vrai ! Mais cette personne pour qui mon cœur chavire n’habite pas avec moi !
Mlle Pigaufray. — Vous allez donc fonder un foyer avec cette femme, un jour !
Jérémy, feignant l’étonnement. — Quelle femme ?
Mlle Pigaufray. — Cette femme dont vous me parliez à l’instant !
Jérémy, très maniéré. — Une femme ! Quelle horreur ! Non, il s’agit de mon amour de toujours, vous l’avez croisé il y a deux minutes. Il sortait d’ici quand vous arriviez !
Mlle Pigaufray. — Mais je ne comprends pas ! Il n’y avait qu’un monsieur qui était là tout à l’heure ?
Jérémy. — Oui ! Nicolas !
Mlle Pigaufray, comprenant que Jérémy est gay. — Oh ! Mon Dieu !
Jérémy, prenant un air encore plus efféminé. — Quoi ? Vous trouvez que l’on ne va pas ensemble ?
Mlle Pigaufray. — Ce n’est pas ce que je voulais dire ! Je ne m’attendais pas… ! (Outrée, elle se tourne vers Sandrine.) Mademoiselle, réunissez vos affaires, nous repartons immédiatement !
Sandrine. — Mais pourquoi ?
Mlle Pigaufray. — Et vous osez me demander pourquoi ! Je ne peux vous laisser chez un… comment dire un… homme aux penchants malsains !
Sandrine. — Mais, mademoiselle Pigaufray, il faut vivre avec votre temps ! Monsieur Dodin est homosexuel, et alors, il fait ce qu’il veut ! Cela devrait vous rassurer, au contraire ! Il ne va pas me tourner autour comme vous en aviez peur il y a quelques minutes !
Mlle Pigaufray. — C’est vrai ! Sur ce point, vous avez raison !
Jérémy. — Venez voir par ici la chambre que j’ai prévue pour Sandrine ! (Il ouvre la porte de la chambre.) Je peux vous appeler Sandrine ?
Sandrine. — Oui, bien sûr !
Mlle Pigaufray, jetant un œil par la porte ouverte de la chambre. — Ça va, c’est assez grand ! Et pour la salle de bains ?
Jérémy. — Venez voir, c’est par ici ! Il n’y en a qu’une, mais on s’arrangera à tour de rôle ! Je mettrai mes produits de beauté dans la porte de gauche et ceux de Sandrine dans la porte de droite !
Mlle Pigaufray. — Tout cela me paraît être correct !
Sandrine. — Oui, c’est super !
Jérémy, efféminé. — Vous verrez, Sandrine, j’ai une nouvelle crème de jour sensationnelle ! Je vous la prêterai si vous voulez !
Sandrine. — C’est sympa, merci ! (Elle soutient son ventre et fait la grimace.) Ouh !
Jérémy. — Ça va ?
Sandrine. — Oui ! Je crois qu’il a bougé ! À mon avis, il vient de me dire qu’il est d’accord !
Jérémy. — C’est pour quand ?
Sandrine. — Je viens d’entamer mon septième mois !
Jérémy. — Et ce sera… un garçon… une fille ?
Sandrine. — Hein ?… (Elle cherche.) Heu !… Un garçon !
Jérémy. — Une idée de prénom ?
Sandrine. — En fait… je cherche encore !
Mlle Pigaufray. — Bien sûr, cette situation n’est que provisoire. Toutefois, si nous n’avions pas trouvé de meilleure solution après l’accouchement, accepteriez-vous de continuer à loger mademoiselle ?
Jérémy. — Aucun problème ! Moi, les enfants, j’adore ! Si vous saviez : j’ai élevé mes cinq frères et sœurs pendant des années alors, pensez, j’ai l’habitude !
Mlle Pigaufray. — Eh bien, écoutez, je vais vous laisser vous installer ! Mais je repasserai vous voir régulièrement ! Au revoir monsieur Dodin !
Jérémy. — Au revoir, mademoiselle !
Mlle Pigaufray. — À bientôt, mademoiselle Delattre ! Vous m’appelez s’il y a le moindre problème !
Sandrine. — Ne vous inquiétez pas mademoiselle Pigaufray, cela va bien se passer ! Au revoir !
Mlle Pigaufray sort.
Scène 3 : Jérémy, Sandrine.
Jérémy, soupirant un grand coup. — Eh bien ! L’ambiance va être plus détendue maintenant qu’elle est partie !
Sandrine. — C’est vrai qu’elle est pesante, la miss Pique-gaufrette !
Ils rient.
Jérémy. — Oh ! La pauvre, on a dû lui faire le coup depuis la maternelle !
Sandrine. — Vu qu’on ne se connaît pas, je propose qu’on se la joue speed dating version collocation. Déjà, on se tutoie !
Jérémy. — Ok. Je commence : je m’appelle Jérémy, j’ai 38 ans ! Je suis un mec sensible, enfin, je crois ! J’aime les enfants, les animaux, la nature ! Je suis fidèle en amour, j’ai horreur du mensonge et j’aime aider les gens qui en ont besoin. C’est pourquoi, depuis des années, je propose mes services à diverses associations ! Voilà !
Sandrine. — Tu oublies une chose importante !
Jérémy. — Ah oui ! Laquelle ?
Sandrine. — Tu es gay et ton copain s’appelle Nicolas !
Jérémy. — Ah ! Et bah oui ! Bien sûr ! Alors à toi maintenant !
Sandrine. — Je m’appelle Sandrine. J’ai un âge qui ne te concerne pas ! J’ai un peu galéré toute ma vie. Mon père était violent et ma mère jamais à la maison. Ils m’ont foutue dehors dès mes 18 ans ! J’ai bossé de petits boulots en petits boulots. Et puis je me suis mise avec un type, Tony, la grande classe ! Et puis il m’a fait croire que je pourrais faire du cinéma. Moi j’y ai cru ! Il a profité de la situation et puis il m’a plaquée ! Voilà !
Jérémy. — Oh là là ! Ma pauvre ! C’est Zola ton histoire, là ! Et toi aussi tu as oublié une chose importante !
Sandrine. — Ah oui !
Jérémy, mimant un gros ventre devant lui. — Tu es enceinte de sept mois d’un petit garçon !
Sandrine. — Ah oui ! Bien sûr !
Scène 4 : Jérémy, Sandrine,
Mme Do Santos.
On sonne. Jérémy va ouvrir. C’est la voisine espagnole, Mme Do Santos, en tablier. Elle a un fort accent espagnol, elle roule les « r ».
Mme Do Santos. — Bonyour, monsieur Yérémy !
Jérémy. — Madame Do Santos ! Qu’est-ce qui vous arrive ?
Mme Do Santos. — Y’ai oune fouite dans les cabinets !
Jérémy. — Vous avez quoi ?
Mme Do Santos. — Y’ai les cabinets qui dégoulinent dé l’eau partout !
Jérémy. — Ah oui ! Que voulez-vous que j’y fasse ? (Vers Sandrine.) Non, mais c’est vrai !
Sandrine. — Bonjour madame ! Ne vous inquiétez pas, Jérémy est toujours prêt à aider son prochain ! N’est-ce pas Jérémy ?
Jérémy. — Oui, bien sûr ! Mais là, je ne vois pas ce que je peux faire !
Mme Do Santos. — Vous avez bien oune clé à moulette, ou oune paire dé pinces ?
Jérémy, hésitant. — Une clé à molette je ne sais pas, mais une paire de pinces, peut-être !
Sandrine. — Sois sympa, Jérémy ! Va aider cette pauvre dame !
Jérémy. — Je vais voir ! Je reviens !
Il sort vers sa chambre
Mme Do Santos, regardant le ventre de Sandrine. — C’est Yérémy, il vous a fait lé pétit ?
Sandrine, étonnée. — Pardon ?
Mme Do Santos. — Y’ai dit : monsieur Yérémy, il vous a fait lé pétit bébé !
Sandrine regarde son ventre.
Sandrine. — Ah ça ! Non ! Ça, ce n’est pas Jérémy, non !
Mme Do Santos. — Ça m’aurait étonné aussi dé monsieur Yérémy !
Sandrine. — Eh bien oui, forcément, vu qu’il est…
Elle met le revers de sa main sur son épaule et roule les yeux au plafond.
Mme Do Santos. — Ben oui ! (Un temps.) Il vous a dit, alors !
Sandrine. — Pour heu… Oui ! Il ne s’en cache pas !
Mme Do Santos. — Moi, yé m’en doutais qu’il était stérile !
Sandrine, étonnée. — Pourquoi vous dites ça ?
Mme Do Santos. — Parcé qué ! Vou que depouis deux ans, avec mademoiselle Agathe…
Sandrine, curieuse. — Qui est mademoiselle Agathe ?
Mme Do Santos. — La fille dou quatrième, elle, elle en voulait oune pétit. Yé lé sais, elle mé l’a dit. Alors yé peux vous dire que ça y allait toutes les nouits. Oh là là, lé raffout ! Et plousieurs fois par nouit, alors ! Ma chambre est tout près dé la sienne, alors on entend, forcément ! Et en collant l’oreille au mour, pensez si on entend encore mieux ! Si au bout de deux ans, ça n’a rien donné, moi, yé m’étais fait mon opinion : il est stérile, lé bonhomme !
Sandrine. — Et alors avec cette Agathe, c’est terminé ?
Mme Do Santos. — Yé crois, oui ! Ça fait oune moment que yé né les entends plou !
Jérémy entre, une paire de pinces à la main.
Jérémy. — Ça y est ! J’ai trouvé une paire de pinces ! On y va, madame Do Santos !
Mme Do Santos. — Oui, monsieur Yérémy ! Souivez-moi dans les cabinets !
Jérémy. — Eh ! Faites attention à ce que vous dites !
Sandrine, moqueuse. — Allez ! Courage Jérémy ! Et pas de bêtises dans les cabinets, hein ?
Jérémy. — Oh ! Ben c’est malin ça !
Ils sortent tous les deux.
Scène 5 : Sandrine, puis Jérémy.
Une fois seule, Sandrine sort son portable, tape un numéro.
Sandrine. — Allô ! Stécy, c’est moi !… Oui, ça y est ! J’ai un logement ! Et gratos s’il te plaît ! Je t’avais dit que ça marcherait. Hein ? Mais non, la bonne femme des mères en détresse, elle n’a rien capté… Ben, chez un mec qui est homo ou hétéro, je ne sais pas très bien !… Oui, je suis venu avec Tobias… Non, il ne l’a pas encore vu ! Allez, je te laisse, il va revenir ! (Elle raccroche. Elle va voir le landau, soulève une petite couverture.) Mon chéri, maman est là ! Tu as été sage, mon trésor !
Elle se promène sur la scène avec le landau.
Mme Do Santos, voix off. — Merci encore, monsieur Yérémy !
Sandrine stoppe le landau et s’assoit comme si de rien n’était. Jérémy entre.
Jérémy. — Voilà ! J’espère que ma réparation va tenir ! (Sandrine reste immobile et le fixe.) Qu’est-ce qui se passe ? (Il regarde sa braguette.) J’ai la braguette ouverte ?
Sandrine. — Je me demande qui je dois croire : le mec qui va m’héberger pendant quelques mois ou la voisine espagnole qui t’entraîne dans ses toilettes !
Jérémy. — Je ne comprends pas !
Sandrine. — Ta voisine vient de me dire que tu étais avec une certaine Agathe, qui loge au quatrième !
Jérémy, agacé. — Mais de quoi elle se mêle, celle-là !
Sandrine. — Donc, c’est vrai !
Jérémy, dédramatisant. — Ah ! Agathe ! C’est une fille qui passe me voir de temps en temps, c’est tout ! (Faux jeton.) On commence à se lier d’amitié, je crois ! La mère Do Santos a dû la voir entrer chez moi, alors, elle s’est imaginé des trucs !
Sandrine. — Je pense que vous avez dû bien vous lier d’amitié depuis deux ans, à faire des folies toutes les nuits, plusieurs fois par nuit même, paraît-il !
Jérémy, étonné. — Mais comment tu sais ? Tu es espionne au KGB ou quoi ?
Sandrine. — Moi, non ! Mais madame Do Santos, elle, elle pourrait ! Elle colle son oreille à la cloison, la coquine !
Jérémy, énervé. — Oh la saleté ! Je te jure que la prochaine fois, pour ses chiottes, je la laisserai patauger dans la merde !
Sandrine, moqueuse. — Eh ben alors ! Où est-il passé, le gentil Jérémy prêt à aider son prochain ?
Jérémy, énervé. — Non, mais là, quand même, c’est une atteinte à la vie privée ! Faut pas déconner !
Sandrine. — Et ton copain Nicolas, il sait pour toi et Agathe ?
Jérémy, surpris. — Hein ! Bien sûr qu’il sait !
Sandrine. — Ah d’accord ! Il est plutôt cool, alors ! Et il n’est pas jaloux ?
Jérémy. — Mais non ! (Résigné à dire enfin la vérité.) En fait, je ne suis pas avec Nico, et j’ai jamais été gay ! J’ai fait croire ça à la mère Pique-
gaufrette pour la rassurer !
Sandrine. — Ah, d’accord ! Mais alors, c’est moi que ça ne rassure pas du tout !
Jérémy. — T’inquiète, je ne vais pas te sauter dessus, vu ton état !
Sandrine. — Ah oui, d’accord ! Ça veut dire que si je n’étais pas enceinte, on serait déjà allongés tous les deux sur le canapé !
Jérémy, se défilant. — Si tu n’étais pas enceinte, tu ne serais pas là ! Alors la question ne se pose pas !
On entend du bruit qui vient du landau.
Jérémy. — Qu’est-ce que c’est ?
Sandrine. — C’est Tobias qui a dû se réveiller !
Jérémy, étonné. — Tobias ?
Sandrine, se levant et allant au landau. — Mon chéri ! T’inquiète pas, maman est là !
Jérémy, effrayé. — Quoi ! T’as un gosse ! Ah, mais c’était pas prévu, ça ! Alors, écoute : je veux bien t’accueillir avec un mouflet « sur la chaîne de montage », mais je ne savais pas que tu en avais déjà un « sorti de l’usine » ! C’est pas écrit « famille d’accueil », là ! (Il fait le geste avec son index sur son front.) En plus, il va brailler toutes les nuits !
Sandrine, penchée sur le landau. — Ne l’écoute pas, Tobias, c’est un vilain !
Jérémy, se rapprochant du landau, il fait une grimace. — Oh ! Dis donc, il sent fort ton môme ! (Stupéfait.) Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
Sandrine, fière. — Je te présente Tobias !
Et du landau, elle sort une cage qu’elle tient à bout de bras.
Jérémy, étonné. — Mais c’est pas un gosse !
Sandrine. — C’est un hamster doré de Syrie ! C’est mon petit bébé ! Tiens, fais-lui un bisou !
Elle lui met la cage sous le nez.
Jérémy, dégoûté. — Sûrement pas ! Oh ! Et puis il pue, c’est une infection !
Sandrine, déçue. — Je croyais que tu aimais les animaux !
Jérémy, se reprenant. — Oui, oui ! J’aime les animaux ! Mais les hamsters… (Il cherche un prétexte.) Je suis allergique, voilà, c’est ça ! Je suis allergique aux poils de hamsters ! Non, je suis désolé, il ne va pas pouvoir rester ton « truc » là ! Tu me vires ça de là !
Sandrine. — Mais pourquoi ?
Jérémy. — Madame Decœur est formelle : pas d’animaux dans l’appartement !
Sandrine. — Alors Agathe n’aime pas les animaux de compagnie !
Jérémy, fronçant les sourcils. — Mais non ! Pourquoi Agathe ? Je n’ai pas parlé d’Agathe !
Sandrine. — Ta dame de cœur, c’est bien Agathe ?
Jérémy. — Mais non ! Madame Decœur, c’est ma proprio !
Sandrine. — Tu couches aussi avec ta proprio ! Eh ben mon cochon ! C’est du propre !
Jérémy. — Mais n’importe quoi ! Ma propriétaire s’appelle madame
Decœur, Antoinette Decœur !
Sandrine, comprenant. — Ah d’accord !
Jérémy. — Elle m’a bien prévenu quand j’ai emménagé : aucun animal domestique dans l’immeuble, sinon, elle rompt mon bail !
Sandrine. — Qui n’aime pas les bêtes n’aime pas les gens !
Jérémy. — Oui, mais moi je ne veux pas d’emmerdes avec elle !
Sandrine. — On n’est pas obligés de lui dire ! (Minaudant.) Il ne tient pas beaucoup de place mon petit chou ! On ne le voit presque pas !
Jérémy. — Oui, mais on le sent de très loin ! Je suis désolé, il faut t’en séparer ! Refile-le à quelqu’un !
Sandrine, outrée. — Ça va pas, non ! Il est hors de question que je me sépare de Tobias !
Jérémy. — Dans ce cas, je ne vais pas pouvoir t’héberger non plus sous mon toit !
Sandrine, essayant de l’attendrir. — Dans mon état ! Tu me jetterais
dehors ! Dormir sous les ponts en plein mois de novembre avec Tobias et mes sept mois de grossesse ! Bravo, le type qui aide son prochain et qui adore les animaux !
Jérémy, dans un soupir. — Écoute, d’accord on essaie, mais je te préviens, ton hamster doré là…
Sandrine. — De Syrie !
Jérémy. — Quoi « de Syrie » ?
Sandrine. — Tobias est un hamster doré de Syrie !
Jérémy. — Oui ! Eh bien, ton hamster doré de Syrie « qui pue », je ne veux plus le voir.
Sandrine, remettant la cage de Tobias dans le landau, sous la couverture. — Hop ! Voilà ! Ça y est, tu ne le vois plus !
Scène 6 : Jérémy, Sandrine,
Mme Decœur.
On sonne. Jérémy va ouvrir, c’est Mme Decœur, la propriétaire.
Mme Decœur. — Mon petit Jérémy, bonjour !
Jérémy. — Bonjour, Madame Decœur ! (Excédé.) Je vous l’ai déjà dit, je ne suis pas votre « petit Jérémy » !
Mme Decœur. — Je sais, mon petit Jérémy, mais si j’avais eu un fils, j’aurais aimé qu’il vous ressemble. Agathe n’est pas là ?
Jérémy, énervé. — Non ! Agathe n’est « plus » là ! Vous voulez quelque chose en particulier ?
Mme Decœur, entrant en poussant un peu Jérémy. — Je ne vous dérange pas longtemps, rassurez-vous ! J’ai vu deux personnes monter tout à l’heure et une seule redescendre, alors j’étais inquiète !
Jérémy. — Donc vous êtes venue aux renseignements !
Mme Decœur. — Je vous rappelle que je suis dans mon immeuble, mon petit Jérémy, et que j’aime savoir ce qui s’y passe ! (Apercevant Sandrine.) Bonjour, mademoiselle !
Sandrine, se levant pour lui serrer la main. — Bonjour, madame !
Mme Decœur, voyant son ventre. — On attend un heureux évènement à ce que je vois !
Sandrine, ironique. — Vous avez l’œil, madame !
Mme Decœur. — Et alors ?… On peut savoir ?…
Jérémy. — Oui ! Alors on va gagner du temps, je vais vous résumer : « dans deux mois », « un garçon » et « je ne sais pas encore » !
Mme Decœur, étonnée. — Je ne comprends pas ! (À Sandrine.) Alors ce bébé c’est pour quand ?
Sandrine. — Dans deux mois !
Mme Decœur. — Formidable ! Ce sera un garçon ou une fille ?
Jérémy, en aparté. — Un hamster !
Sandrine. — Un garçon !
Mme Decœur. — Je suis sûr que vous auriez préféré une fille ! Que
voulez-vous, tant pis ! Mais un garçon c’est bien aussi ! Et pour le prénom, je peux savoir ?
Sandrine. — Je ne sais pas encore !
Jérémy, au public. — Personne ne m’écoute, mais avec mon résumé, on gagnait du temps !
Mme Decœur. — Mais ce petit bonhomme, ce sera un scorpion alors !
Jérémy. — Madame Decœur, de vous à moi, les scorpions, ça bouffe pas les hamsters des fois !
Mme Decœur. — Mon petit Jérémy, vous ne m’avez pas comprise ! Je disais un scorpion, en tant que signe zodiacal !
Jérémy, désabusé. — C’est pas grave, laissez tomber !
On entend Tobias faire du bruit dans le landau.
Mme Decœur, apercevant le landau, à Sandrine. — Oh ! Mais ce n’est pas votre premier !
Sandrine. — Non ! Là, c’est Tobias !
Mme Decœur. — Tobias ! J’aime beaucoup comme prénom ! Quel âge a-t-il ?
Sandrine. — Il a vingt-et-un mois !
Mme Decœur. — Alors il aura presque deux ans d’écart avec son petit frère, c’est bien ! Je peux le voir ?
Elle s’approche du landau et touche la couverture.
Jérémy, hurlant. — Lâchez ça, malheureuse !
Mme Decœur, sursaute. — Vous m’avez fait peur !
Jérémy, se mettant entre sa propriétaire et le landau. — Reculez, reculez ! Il a une maladie… très contagieuse !
Mme Decœur. — Oh ! Le pauvre ! Mais qu’est-ce que c’est comme maladie ?
Jérémy. — Eh bien justement… (Il cherche.) On ne sait pas !
Mme Decœur. — Et cela se manifeste par quoi ? De la fièvre, des nausées ?
Jérémy. — Non, il a surtout des éruptions… de poils, pleins de poils !
Mme Decœur, étonnée. — À deux ans ! Incroyable ! Il faut aller voir un pédiatre !
Jérémy. — On en a vu plusieurs, figurez-vous !
Mme Decœur. — Et alors ?
Jérémy. — Personne ne se prononce, évidemment !
Mme Decœur. — C’est moi ou ça sent mauvais là ?
Jérémy. — Moi je ne sens rien ! Sandrine, tu sens quelque chose ?
Sandrine. — Oh ! Moi, vous savez, j’ai l’habitude !
Mme Decœur, faisant la grimace. — Si, je vous assure, c’est très fort ! Ça vient du landau, du petit Tobias !
Jérémy, se penchant sur le landau et renifle. — Oui, vous avez raison !
(À Sandrine, avec dégoût.) C’est ton fils qui a encore tout rendu ! Emmène-le dans la salle de bains ! Va changer ses draps, Sandrine, moi, j’en peux plus ! Tout à l’heure, c’était moi ! Chacun son tour !
Sandrine. — J’y vais ! (À Tobias.) Viens mon chéri !
Elle sort vers la salle de bains avec le landau.
Scène 7 : Jérémy, Mme Decœur,
puis Sandrine.
Mme Decœur. — C’est bizarre tout de même comme odeur !
Jérémy. — C’est parce...