Hôpital an 2040
Deux employées (ou employés) d’un hôpital
Quatre infirmières (ou infirmiers)
Sept malades
Un chirurgien (ou une chirurgienne)
Les différents personnages, intervenant dans diverses saynètes indépendantes, pourront être joués par un nombre de comédien(ne)s allant au choix de quatre à quatorze, avec un minimum de quatre comédien(ne)s pour des raisons de rythme dans la succession des saynètes.
Le sketch pourra être introduit par un(e) comédien(ne) s’adressant directement au public.
Un comédien. — Vous avez vu ? Ils ont encore donné un tour de vis pour réduire le déficit des hôpitaux. À force de donner des tours de vis, vous verrez ce que ce sera, en l’an 2040, l’hôpital…
Suivent une série de saynètes.
Saynète 1. Une employée, un malade.
À l’accueil des urgences. Une employée assise derrière un bureau. Entre un malade qui se tient le ventre en gémissant de douleur.
Le malade. — Aah ! Aah ! Vite ! Vite !
L’employée, sur un ton administratif. — Vous avez votre carte de Sécu ?
Le malade. — Oui…
L’employée. — Eh bien, donnez !
Le malade, sortant une carte de sa poche. — Aah ! Aah ! Voilà…
L’employée. — Je vous rappelle qu’elle ne couvre que les prestations Sécu standard. (Parlant comme si elle récitait un règlement.) Circulaire du 15 juillet 2040, lutte contre les impayés dans les hôpitaux : pour tous les suppléments, il sera demandé un paiement en espèces et au comptant. En cas de décès, le corps ne sera rendu à la famille qu’après règlement intégral du forfait morgue, non remboursé par la Sécurité sociale. L’admission aux urgences ne sera effective qu’après le versement d’une franchise non remboursable de trois cents euros en espèces…
Le malade. — Aah ! Aah ! Trois cents euros en espèces ? Et si on n’a pas d’argent sur soi ?
L’employée. — Vous avez un distributeur au coin de la rue. Vous sortez, vous tournez à droite…
Le malade. — À droite… D’accord… (Il sort en gémissant.)
Saynète 2. Une infirmière, un malade.
Une infirmière poussant un diable (ou une brouette) où est allongé un malade traverse la scène à vive allure. Le malade pousse des hurlements de douleur.
Le malade. — Aah ! Aah !
L’infirmière. — Vous avez fini de hurler, oui ?
Le malade. — Aah ! Plus doucement, plus doucement !
L’infirmière. — Si vous êtes douillet comme ça, il fallait prendre le supplément brancard, monsieur !
Saynète 3. Une employée, un malade.
Une employée assise derrière un bureau. Arrive un malade marchant avec des béquilles.
L’employée, interpellant le malade au moment où il passe devant elle. — Eh ! oh ! Et le péage ?
Le malade. — Le péage ?
L’employée. — Circulaire du 18 août 2037, comblement du déficit des hôpitaux : les couloirs de l’hôpital sont à péage pour les malades se déplaçant par eux-mêmes. Vous arrivez d’où, là ?
Le malade. — Chambre 408, couloir C…
L’employée. — Et vous allez où ?
Le malade. — À la cafétéria…
L’employée, consultant une feuille. — Couloir C-Cafétéria… Tarif malade avec béquilles… Ça fera deux euros vingt…
Le malade. — Deux euros vingt ? Ça fait cher la balade dans les couloirs !
L’employée. — C’est le prix à payer pour conserver notre système de Sécurité sociale solidaire, monsieur…
Saynète 4. Une infirmière, un malade.
Un malade dans un lit. Une infirmière s’affairant à côté de lui.
Le malade. — Aah ! J’étouffe ! De l’oxygène !
L’infirmière. — Je vous l’ai déjà dit, monsieur. Circulaire du 12 août 2035, comblement du déficit des hôpitaux : l’oxygène n’est pas compris dans le forfait Sécu. Il est considéré comme élément de confort…
Le malade. — Aah ! J’étouffe ! De l’oxygène, par pitié !
L’infirmière. — Si vraiment vous y tenez, vous avez un distributeur d’oxygène à la tête de votre lit. Vous glissez les pièces dans la fente. C’est deux euros le litre…
Le malade. — Aah ! Je sais ! Mais j’ai pas de pièces !
L’infirmière. — Dans ce cas, désolée, monsieur. Vous connaissez la chanson de Brassens. « Chez l’épicier, pas d’argent, pas d’épices… Chez la belle Suzon, pas d’argent, pas de cuisse… Les malades de basse condition, c’est pas de notre juridiction… »
Saynète 5. Une infirmière, un malade.
Un malade dans un lit, gémissant et tendant une pièce d’un euro à une infirmière.
Le malade. — Aah ! Aah !
L’infirmière. — Un euro ? C’est tout ce que vous avez ?
Le malade. — Oui…
L’infirmière. — Ça va vous faire un pansement de Schtroumpf, ça, monsieur. (Elle sort un minuscule pansement.)
Le malade. — Aah ! Aah ! C’est tout ?
L’infirmière. — Je sais, un pansement comme ça pour une éventration, c’est une rustine sur la déchirure du Titanic, mais quand on n’a pas un sou en poche, monsieur, on ne joue pas au riche, on ne s’éventre pas !
Saynète 6. Une infirmière, un malade.
Un malade dans un lit. Arrive une infirmière.
L’infirmière. — Je voulais savoir, monsieur… Si l’opération tourne mal, vous souhaitez une évacuation du corps sur brancard ou vous vous contentez de la prestation Sécu standard ?
Le malade. — C’est quoi, la prestation Sécu standard ?
L’infirmière. — On évacue le corps par les toboggans à linge sale, la famille le récupère à la sortie…
Le malade. — Dans ce cas, je vais payer le supplément brancard…
L’infirmière. — Je vois que monsieur aime son petit confort…
Le malade. — Et ça coûte combien ?
L’infirmière. — Quatre cents euros pour le brancard et les deux infirmiers. Cent euros de plus si vous voulez que les infirmiers portent un nez rouge pour apporter une petite touche de gaieté toujours appréciée par la famille…
Le malade. — Quatre cents euros ? Mais c’est hors de prix ! Je ne les ai pas, moi…
L’infirmière. — Petit canaillou ! Voilà ce que c’est que de dépenser des fortunes en cicatrisant !
Saynète 7. Un chirurgien, un malade.
Un malade sur une table d’opération, un chirurgien penché sur lui, tirant pour lui retirer un organe du ventre.
Le malade. — Aah ! Aah ! (Hurlements de douleur.)
Le chirurgien. — Je vous l’avais dit, monsieur : pour une ablation de la rate, vous auriez dû prendre le supplément anesthésie… (Le chirurgien retire du ventre du malade un gros organe qu’il brandit. Hurlements redoublés du malade.) Je vous recouds la plaie ou vous vous contentez de la prestation Sécu standard ?
Le malade, tendant un billet, hagard. — Recousez, recousez !
Le ministre de la Santé, voix off. — Chères concitoyennes, chers concitoyens… Vous savez à quel point, en tant que ministre de la Santé, je suis comme vous attaché à notre système de Sécurité sociale solidaire permettant un accès aux soins égal pour tous… C’est cet attachement à une médecine de qualité pour tous qui m’amène aujourd’hui à prendre de nouvelles mesures destinées à sauver le système… À compter du 1er janvier 2041, seront considérés comme éléments de confort et ne seront donc plus remboursés par la Sécurité sociale… (L’intensité de la voix off baisse au fil de la dernière phrase, jusqu’au silence.)
Bonjour, les petits amis !
Un blessé
Une visiteuse (ou un visiteur) d’hôpital
D’abord le blessé seul sur scène, allongé dans un lit et couvert de bandages. Optionnel : il pourrait avoir un tuyau dans le nez et une jambe suspendue à une poulie.
Entre, façon entrée de clown, la visiteuse d’hôpital, affublée d’un nez rouge.
La visiteuse. — Bonjour, les petits amis ! Alors, on a envie de rigoler aujourd’hui ?
Le blessé. — Pas beaucoup…
La visiteuse, enlevant son nez rouge. — En fait, je ne suis pas clown. Je suis Mme Sapin, visiteuse d’hôpital. J’ai fait une entrée façon entrée de clown histoire de vous faire rire et de vous remonter le moral…
Le blessé. — Oui, ben c’est raté…
La visiteuse. — Le moral, c’est le plus important quand on est à l’hôpital. C’est pour ça que mon principe à moi, c’est : faire rire le malade de ses malheurs. Car une maladie dont on rit, c’est une maladie dont déjà on gai-rit. Gai-rit G-A-I tiret R-I-T, vous saisissez ?
Le blessé. — Oui, mais ça me fait pas rire…
La visiteuse, reprenant une gestuelle de clown, par exemple écartant les coudes et agitant la tête de droite à gauche et de gauche à droite. — Qu’est-ce qu’on me dit, petit veinard ? Vous allez entrer dans le Livre Guinness des records avec vos cinquante-sept fractures en un seul accident ? Ah ! il vous a pas raté, le trente-huit tonnes qui vous a éparpillé façon puzzle ! Il paraît que les ambulanciers ont cru avoir trouvé le chaînon manquant entre l’homme et le hachis parmentier ! Je plaisante, bien sûr, histoire de vous détendre. Y a de la joie, la vie est belle !
Le blessé. — Ça dépend pour qui…
La visiteuse. — En plus, vous savez combien il fait dehors aujourd’hui ? Moins quinze degrés. Et un verglas à se rompre les os à chaque pas. Et vous, petit veinard, vous êtes là bien au chaud, peinard, allongé sur le dos, les doigts de pied en éventail. Avec de jolies infirmières pour vous nourrir à la petite cuillère et une désopilante visiteuse bénévole pour vous faire rire…
Le blessé. — Me faire rire, c’est vite dit…
La visiteuse. — Alors voulez-vous bien me quitter cet air grognon ! Y a de la joie, la vie est belle ! (Déroulant légèrement une des bandelettes du blessé.) Vous avez vu ? Pour le prochain carnaval, vous avez même déjà les serpentins ! Il ne vous manque plus que les confettis… Petit veinard ! (Elle tord le nez du blessé.)
Le blessé. — La paix. Fichez-moi la paix…
La visiteuse, faisant des guilis à travers les bandages du blessé. — Guili guili ! Allez, on fait une risette ! Oh ! le vilain blessé qui ne veut pas faire une risette à Mme Sapin ! Mme Sapin, quand on la voit, ça sent le sapin ! Je plaisante, bien sûr !
Le blessé. — Mais vous allez bientôt me foutre la paix !
La visiteuse. — Bon, c’est pas tout ça, on rigole, on rigole, mais l’heure tourne, il est temps que j’aille remonter le moral du blessé de la chambre à côté. Lui, vous allez rire, il a été moissonné-battu par une moissonneuse-batteuse. Kinder Surprise, je le surnomme. Parce que les médecins n’ont aucune idée de ce qu’ils vont trouver au démoulage… Allez, je vous laisse dans votre petit cocon…
Le blessé. — C’est pas trop tôt…
La visiteuse, remettant son nez rouge et se dirigeant vers les coulisses, bras en V. — Bonjour, les petits amis ! Alors, on a envie de rigoler aujourd’hui ?
Un docteur formidable
Un homme (ou une femme)
Le personnage, genre un peu simplet, parle directement au public.
Le docteur Gérard, il est formidable. Quelle chance j’ai eue qu’il vienne s’installer près de chez moi !… C’est un médecin homéopathe. Il soigne à l’homéopathie… Docteur Gérard, il s’appelle. Et il est formidable…
Je vois, moi… J’avais de l’eczéma depuis des années. Mon médecin précédent me donnait des pommades, des crèmes, des lotions, rien n’y faisait. Toute la journée, je me grattais, je me grattais, je me grattais… Mes copains m’avaient surnommé « Française des jeux ». « T’es même mieux qu’un jeu de grattage, ils me disaient, toi on peut gratter des deux côtés. » Les gens sont méchants… Eh bien, je suis allé voir le docteur Gérard. Il m’a posé cent cinquante questions ; et il a tout de suite trouvé ce que j’avais. « Votre eczéma, qu’il m’a dit, ça vient de vos sinus. Vous avez les sinus fragiles… »
Parce que c’est ça, les homéopathes. Il m’a expliqué, le docteur Gérard. Ils ont une vision globale des choses. Le corps, ça forme un tout. Souvent, vous avez mal à un endroit mais ça vient d’un autre endroit qu’est fragile mais que vous le sentez même pas…
Le docteur Gérard, il m’a donc donné des petites granules roses à avaler. Une toutes les heures dans la journée et une toutes les deux heures la nuit. L’effet a été miraculeux. Le lendemain, j’avais une éruption d’eczéma… L’éruption du Vésuve !… Et la narine droite qui coulait, coulait, coulait… Les chutes du Niagara !…
Parce que c’est ça, l’homéopathie. Il m’a expliqué, le docteur Gérard… Les homéopathes, ils vous soignent le terrain que vous avez fragile et ça commence par s’aggraver. Plus ça s’aggrave, plus c’est que vous guérissez…
Qu’est-ce que j’étais heureux d’être enfin guéri ! Le moral était au beau fixe. Le seul problème : j’avais la narine droite qui coulait tellement, j’étais obligé de la boucher avec l’index de la main droite. (Il se bouche un court moment la narine droite avec l’index de la main droite.) Et est-ce que c’est à force de garder l’index dans la narine droite ? Au bout de vingt-quatre heures, j’ai été pris d’une douleur au coude, en plus de mon eczéma qui me grattait et de ma narine droite qui coulait, coulait, coulait. La loi des séries…
Je suis retourné voir le docteur Gérard. Il m’a posé deux cent cinquante questions. Et il a tout de suite trouvé ce que j’avais. Il est formidable, le docteur Gérard. « Votre douleur au coude, qu’il m’a dit, ça vient de vos tympans. Vous avez les tympans fragiles… »
Il m’a donné des granules vertes à avaler… pour mes tympans… en plus des granules roses pour mes sinus. Une tous les demi-heures dans la journée et une toutes les heures la nuit. L’effet a été miraculeux. Le lendemain, j’avais l’oreille gauche qui coulait, coulait, coulait… Les chutes du Zambèze !…
Qu’est-ce que j’étais heureux d’être guéri ! Le moral était au beau fixe. Le seul problème : j’avais l’oreille gauche qui coulait tellement, j’étais obligé de la boucher avec l’index de la main gauche. (Il se bouche un court moment la narine droite avec l’index de la main droite et l’oreille gauche avec l’index de la main gauche.) Et est-ce que c’est à force de garder l’index de la main droite dans la narine droite et l’index de la main gauche dans la narine gauche ? Au bout de vingt-quatre heures, j’ai été pris d’une douleur au plexus solaire… en plus de mon eczéma qui me grattait et de ma narine droite et de mon oreille gauche qui coulaient, coulaient, coulaient. Quand la maladie elle est dans le bonhomme, hein…
Je suis retourné voir le docteur Gérard. Et là, vous allez voir comme il est formidable, j’ai rien eu besoin de lui expliquer. À peine il m’a vu, il m’a dit : « Vous, vous avez une douleur au plexus solaire. » Là-dessus, il m’a juste posé trois cents questions, et il a tout de suite trouvé ce que j’avais. « Votre douleur au plexus solaire, qu’il m’a dit, ça vient de vos intestins. Vous avez les intestins fragiles… »
Il m’a donné des granules violettes à avaler… pour mes intestins… en plus des granules roses pour mes sinus et des granules vertes pour mes tympans. Une tous les quarts d’heure dans la journée et une toutes les demi-heures la nuit. J’ai commencé à les prendre hier soir et… (Il s’arrête, faisant comprendre qu’il est pris de coliques.) Excusez-moi, il faut que je vous laisse. Encore une fois, le docteur Gérard a tapé dans le mille. Il s’est pas trompé, j’ai bien les intestins fragiles. Ses gélules violettes ont déjà un effet miraculeux… (Il sort en courant, l’index de la main droite dans la narine droite et l’index de la main gauche dans l’oreille gauche.) Il est formidable, le docteur Gérard !
L’accouchement de sketch
Un auteur de sketch
Une infirmière (ou un infirmier)
Un chirurgien (ou une chirurgienne)
Une comédienne (ou un comédien)
L’action est censée se dérouler dans une salle d’accouchement de sketches. Seul élément de décor indispensable : un élément figurant une table d’accouchement.
L’auteur arrive, soutenu par une infirmière.
L’infirmière. — Par ici, monsieur…
L’auteur. — Ah ! que je souffre ! Ah ! que ça fait mal !
L’infirmière. — C’est votre premier accouchement ?
L’auteur. — Non, c’est au moins le vingtième sketch dont j’accouche. Mais c’est la première fois que c’est aussi douloureux. Je sens que le sketch est là… (Il met le doigt sur son front.) mais il ne veut pas sortir. Aah ! Aah ! (Gémissements de douleur.)
L’infirmière. — Un peu de patience, monsieur, le médecin va arriver. En attendant, allongez-vous là. (Elle le fait allonger sur ce qui figure la table d’accouchement, la tête renversée en arrière.) La tête renversée en arrière… Comme ça… Voilà…
L’auteur. — Aah ! Aah ! (Gémissements de douleur.)
Arrive le médecin.
Le médecin, à l’infirmière. — Alors, ça en est où ?
L’infirmière. — Toujours pareil, docteur. Le sketch ne veut pas sortir…
Le médecin, à l’auteur. — Et quand avez-vous eu les premières contractions ?
L’auteur. — Il y a deux jours…
Le médecin. — Ah oui, effectivement, là il y a un problème. Faites voir un peu… (Il regarde l’arrière de la tête de l’auteur comme il regarderait le ventre d’une femme en train d’accoucher.) Vous m’en direz tant ! Il se présente par la fin ! Pas étonnant qu’il ait du mal à sortir !
L’auteur. — Aah ! Aah ! (Gémissements de douleur.) Faites vite ! Je souffre le martyre…
Le médecin, à l’infirmière. — Injectez-lui vingt centilitres de café bien fort.
L’infirmière. — Vingt centilitres. Bien, docteur…
Le médecin, à l’auteur. — On va vous donner du café, monsieur…
L’auteur. — J’en ai déjà pris cinq tasses depuis ce matin…
Le médecin. — On va essayer encore. Le café, pour les sketches qui ne veulent pas sortir, c’est le plus efficace si on veut se limiter aux méthodes douces…
L’infirmière, tendant une tasse de café à l’auteur. — Buvez, monsieur. (L’auteur boit le café.) Voilà. Et maintenant, remettez-vous en position, la tête bien en arrière…
Le médecin. — Voilà, très bien. Maintenant, poussez…
L’auteur, faisant comme s’il poussait de la tête. — Aah ! Aah ! (Gémissements de douleur.)
Le médecin. — Poussez ! Mais poussez !
L’auteur. — Je ne fais que ça ! (Il continue à faire comme s’il poussait de la tête.)
Le médecin. — On n’y arrivera pas comme ça. Bon, il n’y a plus qu’une solution. (À l’infirmière.) Passez-moi les forceps…
L’infirmière. — Les forceps ? Vous êtes sûr, docteur ?
Le médecin. — Oui. Sinon, comme c’est parti, là, le sketch va rester coincé et finir par mourir asphyxié…
La comédienne apparaît sur un côté de la scène.
La comédienne. — Excusez-moi, il y en a encore pour longtemps ?
Le médecin. — Qu’est-ce que vous venez faire ici, vous ?
La comédienne. — Je viens aux nouvelles. Je suis la comédienne à qui le sketch est destiné…
Le médecin. — Eh bien, vous allez me faire le plaisir de sortir ! Les comédiens n’ont rien à faire dans la salle de travail des auteurs !
La comédienne. — Tout de même…
Le médecin. — Dehors ! On vous appellera quand l’auteur aura accouché !
La comédienne. — Bon, d’accord… Ne vous énervez pas… Je retourne dans la salle d’attente…
Sortie de la comédienne. L’infirmière tend des forceps au médecin.
L’infirmière. — Voilà, docteur…
Le médecin. — Merci. (Il fait comme s’il écartait une partie du crâne avec les forceps.)
L’auteur. — Aah ! Aah ! (Gémissements de douleur.) Vous allez le sauver, docteur ?
Le médecin. — Oui, ne vous inquiétez pas. Voilà, on le tient…
L’infirmière fait comme si elle extirpait avec peine quelque chose de la tête de l’auteur.
L’infirmière. — Par ici, le joli sketch… (Elle sort de dessous la tête de l’auteur trois feuilles de papier agrafées les unes aux autres.)
Le médecin. — Ouf ! Ça n’a pas été sans mal, mais on l’a…
L’auteur. — Ah ! quel soulagement !
On aura préalablement fixé aux trois feuilles de papier une ficelle qui restera d’abord comme coincée sous la tête de l’auteur, comme un cordon ombilical.
Le médecin. — Il ne reste plus qu’à couper le cordon et tout sera fini. (Il prend des ciseaux et coupe la ficelle.) Voilà…
L’infirmière, prenant dans les mains les trois feuilles. — Dites donc, c’est un costaud ! Pas étonnant qu’il ait eu du mal à sortir !
L’auteur. — Il pèse combien ?
L’infirmière. — Trois pages ! Tenez, prenez-le dans vos bras… (Elle donne les feuilles à l’auteur qui les serre contre lui comme il le ferait d’un bébé.)
L’auteur. — Ah ! celui-là, j’ai cru qu’il ne viendrait jamais…
Le médecin, parlant en direction des coulisses. — Vous pouvez venir, madame. L’auteur a accouché…
Réapparition de la comédienne.
La comédienne. — Tout s’est bien passé ?
Le médecin. — Oui. L’accouchement a été difficile, mais le sketch a fini par sortir et il est en parfaite santé…
La comédienne, regardant les feuilles que l’auteur tient contre lui. — Oh ! qu’il est beau ! (À l’auteur.) Je peux le prendre ?
L’auteur. — Bien sûr. Tenez… (Il donne les feuilles à la comédienne.)
La comédienne, parcourant du regard la première feuille. — Il est vraiment magnifique… Alors, vous me le donnez ?
L’auteur. — Vous en prendrez bien soin ?
La comédienne. — Je vous le promets ! (Elle serre les feuilles contre elle.)
L’infirmière, essuyant une larme. — C’est idiot, mais à chaque accouchement c’est la même chose, je ne peux pas retenir mes larmes. C’est tellement beau, une naissance de sketch…
À ce moment, le portable du médecin sonne.
Le médecin. — Allô ? Non ? Ah ! merde !
L’infirmière. — Qu’est-ce qui se passe, docteur ?
Le médecin. — L’écrivain de la chambre 26 vient de faire une fausse couche ! Il a accouché d’une page blanche !
Noir
Recherche médicale
Deux hommes (ou femmes)
La scène est censée se passer dans la rue. D’abord Un, seul, marchant en regardant autour de lui comme s’il cherchait quelque chose. Entre Deux.
Un. — Pardon, monsieur. Je cherche le cabinet du docteur Ledieu…
Deux, s’arrêtant. — Le docteur Ledieu ? Ça ne me dit rien…
Un. — C’est un médecin flou…
Deux. — Un médecin flou ?
Un. — Oui. Vous n’avez pas entendu parler de la médecine floue ?
Deux. — Je dois dire que… non…
Un. — C’est une nouvelle sorte de médecine alternative. Les médecins flous, ce sont des médecins qui soignent les symptômes vagues. Non, parce que les médecins traditionnels sont terribles, ils ne vous soignent que si vous leur décrivez des symptômes précis. Mais dans la vie, tout est vague, tout est flou. C’est quoi, par exemple, l’amour ? Vous pouvez me le dire ?
Deux. — L’amour ? (Hésitant.) Ben… l’amour…
Un. — Vous voyez, vous êtes incapable de me donner une définition précise. L’amour est juste un sentiment vague qui vous pousse pour des raisons floues vers un être aux contours incertains… Et la vie ? Vous pouvez me dire précisément ce que c’est que la vie ?
Deux. — La vie ? (Hésitant.) Ben… la vie…
Un. — Vous voyez, vous ne savez pas non plus. La vie, c’est juste une marche hésitante qui nous mène vers des horizons vagues par un itinéraire aux contours imprécis… Tout est flou, tout est vague dans la vie…
Deux. — C’est pas faux…
Un. — Alors leur théorie, aux médecins flous, c’est que c’est la même chose pour les maladies. La plupart des maladies sont des maladies floues se manifestant par des symptômes vagues apparaissant de façon diffuse. C’est pour ça que je voudrais en consulter un. Parce que, justement, depuis quelque temps, je ressens une espèce de malaise vague à un niveau difficile à préciser…
Deux. — Vous savez que vous commencez à m’intéresser, là ?
Un. — Vous aussi, je parie, vous ressentez une espèce de malaise vague à un niveau difficile à préciser ?
Deux. — Depuis un certain temps, oui. Mais alors très vague… À la limite de l’imperceptible…
Un. — À tous les coups, vous faites une maladie floue…
Deux. — Et ce docteur Ledieu a son cabinet dans le quartier ?
Un. — Oui. Mais le problème avec les médecins flous, c’est qu’ils ne vous donnent jamais d’adresse précise. Tout ce que je sais, c’est que le docteur Ledieu consulte quelque part aux environs de la place du Futur Indéfini, non loin d’un terrain vague…
Deux. — Un terrain vague, dites-vous ? Ça me rappelle confusément quelque chose…
Un. — Dans ce cas, peut-être pouvez-vous m’aider à chercher ce docteur Ledieu ? Quand on l’aura trouvé, vous demanderez un rendez-vous par la même occasion…
Deux. — C’est vrai que maintenant que je sais que je souffre d’une maladie floue, j’aimerais bien avoir une idée au moins approximative de ce que ça peut être…
Un. — Vous verrez, il paraît qu’il est formidable. Si vous allez le voir régulièrement, vous êtes assuré d’une vague amélioration au bout d’un temps indéterminé…
Deux. — C’est décidé, je vais vous aider à le trouver. De toute façon, je...