8 heures du matin
Saleté de festival !
C’est le matin.
Le soleil est déjà là, le ciel est bleu, il fait bon.
La place est traversée de gens qui vont à leur travail.
Le garçon de café met en place sa terrasse.
Alain. — Putain, il fait beau ! Regarde-moi ce soleil ! C’est du vingt-sept, vingt-huit degrés à midi ! Fachedecon ! On va encore faire le plein ! Et qui-qui va avoir mal aux gambettes ce soir, c’est bibi ! Saleté de festival !… Si au moins on avait du mistral ! Coincé entre les deux rues, avec la montée vers la Citadelle et pas un arbre devant, on a la terrasse la plus ventée de la place. Ah, ils restent pas longtemps, les festivaliers ! Et moi je suis peinard. Mais le mistral, il est encore couché, à l’ombre du Ventoux, il écoute les cigales en se faisant du lard. Et moi je dois transpirer à servir monsieur, à désaltérer madame, sans oublier le Coca de la marmaille, à supporter ces théâtreux et leurs verres d’eau, qu’ils disent même pas merci ! Ça leur écorcherait la gueule de dire autre chose que du Molière ? « Un verre d’eau » qu’ils disent, avec leur petite voix pointue de Parisien, « un verre d’eau » et c’est tout, pas s’il te plaît, pas bonjour, pas mon cul ! Et si tu leur refuses, ils te traitent de facho tout fort devant la clientèle et ils viennent te faire la parade juste devant que ça te ramène encore plus de monde et que t’arrives pas à contenter parce que tu peux même pas circuler entre les tables. Ah, saleté de festival !
Un habitué passe entre les tables et entre dans le café.
L’habitué. — Ça va, Alain ?
Alain, sur le même ton énervé. — Mais oui, ça va ! Il faut bien !… Il est con, lui ! Pourquoi ça n’irait pas ? (Il trouve un tract.) Tiens, leur connerie de tract ! D’où il vient celui-là ? Il a poussé pendant la nuit ou quoi ? Ils en distribuent même la nuit ! Des flyers, ils disent maintenant. Des flyers ! Comme si c’était mieux en anglais. Ça reste des conneries de papelards que les gens regardent même pas et laissent traîner sur la table. Et qui c’est qui les ramasse par paquets de cent ? C’est bibi !… Quand je pense qu’avant je travaillais dans l’imprimerie et que je les fabriquais ! (Il s’arrête, pensif.) Ah, l’imprimerie ! J’aimais bien. L’odeur de l’encre ! La texture du papier ! Le mélange des couleurs ! Jamais deux fois la même chose ! C’était gai. J’aimais bien ! Même les faire-part de décès. Je faisais du social. Les gens t’arrivent tout chamboulés, avec le cœur qui déborde de partout et les yeux qui ruissellent pire qu’à Fontaine-de-Vaucluse, tu y vas sur la pointe des pieds, tu conseilles, tu suggères, ils t’écoutent avec des yeux ronds, comme si tu leur racontais une histoire merveilleuse, ils te remercient, repartent un peu moins tristes… Là, ça sent le pastis, tu rends la monnaie et t’as même pas un sourire !
La porte du café s’ouvre, le patron apparaît.
Le patron. — Alain, tu te magnes ! Y a des clients qui attendent à l’intérieur.
Alain. — Et en plus y a l’autre ! (Un touriste s’assoit à la table qu’il vient d’essuyer.) Ah non, ça y est ! Ça commence ! (Le client lève le doigt pour commander, s’arrête, reste en suspens car Alain lui tourne le dos et part vers le café.) Saleté de festival !
La terrasse commence à se remplir de consommateurs et de touristes.
On voit également les voyageurs du premier TGV de Paris.
9 heures
L’arrivée du train
Ils tirent leurs valises, ils arrivent du premier train qui vient de Paris, ils remontent l’avenue en direction de leur hôtel. Ce sont les festivaliers du week-end.
Au milieu de la place se tient Cloclo, le clochard. Il tendra sa casquette aux voyageurs qui le croiseront mais personne ne lui donnera de pièce.
Lui. — Vous venez pour le week-end ?
Elle. — Oui.
Lui. — Vous venez pour le festival ?
Elle. — Oui.
Lui. — Vous avez pris vos billets pour la cour d’honneur ?
Elle. — Oui.
Lui. — Vous avez réservé à quel hôtel ?
Elle. — Et le numéro de ma chambre, tu le veux aussi ?… C’est pas vrai !
Un autre couple suit.
Elle. — Vous venez pour le week-end ?
Lui. — Oui.
Elle. — Vous venez pour le festival ?
Lui. — Oui.
Elle. — Vous avez pris vos billets pour la cour d’honneur ?
Lui. — Oui.
Elle. — Je vous reconnais, vous êtes le directeur du Châtelet. Vous avez réservé à quel hôtel ?
Lui. — Je vais au camping !
Elle. — Quel numéro, la chambre ?
Un autre couple suit. L’homme tire deux valises.
Lui. — Vous venez pour le week-end ?
Elle. — Oui, peut-être, je sais pas.
Lui. — Vous venez pour le festival ?
Elle. — Le festival ? De quoi ?
Lui. — Vous avez pris vos billets pour la cour d’honneur ?
Elle. — C’est quoi, ça, la tour d’honneur ?
Lui. — La cour ! Pas la tour.
Elle. — Et faut prendre des billets pour aller dans la cour ?
Lui. — Vous avez réservé à quel hôtel ?
Elle. — Mais j’en sais rien. Je viens pour l’enterrement de ma mère.
Lui. — Oh, pardon !
Elle. — C’est rien. On se voyait plus depuis dix ans. Merci pour ma valise. (Elle en récupère une.)
Un autre couple.
Lui. — Je viens pour le week-end. Et vous ?
Elle. — Moi aussi. Je vais au festival. Et vous ?
Lui. — Pareil. Vous avez des places pour la cour d’honneur ?
Elle. — Oui, bien sûr. Si vous voulez, je vous invite.
Lui. — C’est gentil. Merci. Vous êtes descendue au… ?
Elle. — Oui, oui, oui, pareil. C’est le meilleur.
Lui. — Je vous invite à prendre un verre, ce soir, après le spectacle ? Chambre 205. Et vous ?
Elle. — Moi 807.
Lui. — 807 ? Vous êtes sûre ? Vous êtes bien à La Mirande ?
Elle. — Non, au Médiéval.
Lui, dédaigneux. — Ah, le Médiéval ! Eh bien, bonne nuit !
Un autre couple.
Lui. — Excusez-moi, vous avez l’heure, s’il vous plaît ?
Elle. — Hé ! ho ! Tu veux pas que je te donne le numéro de ma chambre aussi ?… C’est pas vrai !
9 h 30
La rupture
Ils marchent de ce pas nonchalant qu’ont les gens qui s’ennuient.
Elle. — Bon, qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu fais la gueule ?
Lui. — Ne sois pas grossière.
Elle. — Je ne suis pas grossière, je te demande pourquoi tu fais la gueule.
Lui. — Tu es grossière. Tu ne peux pas dire : la tête ? « Pourquoi tu fais la tête », ça a la même signification.
Elle. — Absolument pas. Faire la tête c’est mignon, c’est un enfant qui fait la tête.
Lui. — Non, il boude.
Elle. — Arrête de faire ton prof ! Toi, tu ne boudes pas, tu ne fais pas la tête, tu fais la gueule !
Lui. — Pour faire la gueule, il faut avoir une gueule. Moi j’ai une bouche. Donc je ne fais pas la gueule.
Elle. — Eh bien, tu fais la bouche, là, c’est mieux.
Lui. — C’est moins grossier mais ça ne se dit pas, faire la bouche.
Elle. — Si, ça se dit ! Toi tu fais la bouche, ta petite bouche en cul-de-poule, toute petite, toute ridicule, toute coincée, constipée, pas aimable, qui va nous chier une pendule. Voilà, c’est clair ? Alors je peux savoir pourquoi tu vas nous chier une pendule ?
Lui. — Je ne discute pas avec toi si tu gueules comme ça dans la rue. Tout le monde te regarde.
Elle. — Je ne gueule pas ! Pour gueuler il faut une gueule et moi j’ai une bouche. Et toc ! Alors je bouche, si tu veux, je bouche un peu fort mais je ne gueule pas.
Lui. — T’es complètement stupide, ma pauvre fille.
Elle. — Qu’est-ce qu’il y a ? Mais dis-le ! J’ai encore dit une connerie ? J’ai eu tort de t’emmener voir Pinter, c’est ça ? Je me suis bien tapé L’Enfoirade hier soir. Oh, très drôle, très fin, humour ! Je ris, hi, hi, hi !
Lui. — C’est sûr qu’avec Pinter on rit moins.
Elle. — Et alors ? On va pas passer dix jours à ne voir que des carabistouilles et des trouducuteries !
Lui. — De toute façon, Pinter n’y est pour rien.
Elle. — T’as raison. Tu fais la gueule dès que t’es réveillé. En fait c’est moi qui te rends triste.
Lui. — Pas toi. Nous.
Elle. — Compris.
Lui. — Désolé de te le dire comme ça. Déjà, avant de partir, j’avais le pressentiment que ça se passerait mal.
Un « tracteur » intervient.
Le tracteur. — Bonjour, je peux vous donner mon flyer ? On joue dans une demi-heure, à cent mètres d’ici, c’est facile à trouver, y a un plan au verso, venez, vous regretterez pas, c’est un spectacle drôle.
Elle. — Alors donnez à monsieur, c’est lui le spécialiste du rigolo. Moi je suis spécialiste drame.
Le tracteur. — Bon… ben… je vous en donne deux. À tout de suite, peut-être.
Lui. — Merci.
Elle, lisant. — Mon beauf en Calvitie… Hé, Machin, ce sera sans moi ! Et reprends ta merde, ça me salit les doigts.
Le tracteur fait un geste de la main en s’éloignant rapidement.
Lui. — Tu te crois maligne ?
Elle. — Faut faire son éducation. Il joue une merde en croyant que c’est du Molière.
Lui. — Il a 20 ans.
Elle. — Et alors ? Raison de plus pour lui ouvrir les yeux. Il dormait ou quoi pendant que son prof lui expliquait Voltaire ?
Lui. — Bon, ça va, ça va. Si tu veux te faire détester par tout le monde au nom de la culture, libre à toi. Moi je suis moins intransigeant.
Elle. — Je ne suis pas intransigeante, je dis que Mon beauf en Calvitie est une merde, c’est tout.
Lui. — Tu n’en sais rien, tu juges sans savoir. Si ça se trouve, c’est très bien.
Elle. — Avec un titre pareil ? Regarde-moi en face, tu ne parles pas sérieusement ? Regarde-moi et répète ça que j’en croie mes yeux.
Lui. — Tu me fatigues.
Elle. — Toi aussi.
Lui. — Si tu veux, on est tous les deux fatigués.
Ils s’assoient sur une margelle de fontaine, des cageots ou sur autre chose de pas fait pour le repos mais pas à une terrasse.
Ils ne se regardent pas. Parlent du bout des lèvres. Au bord des larmes.
Elle. — On arrête ?
Lui. — Je crois que ce serait mieux.
Elle. — Avant les baffes.
Lui. — Avant les injures.
Elle. — Avant de se détester.
Lui. — Avant de tout gâcher.
Elle. — D’accord.
Lui. — Comment on fait ?
Elle. — Je sais pas.
Lui. — Mon billet de retour est pour après-demain.
Elle. — Le mien est open, je rentre quand je veux.
Lui. — Tu veux rentrer avant moi ? Comme ça tu peux passer à l’appart récupérer tes affaires.
Elle. — Et pourquoi c’est pas toi qui les foutrais dans un carton et qui me les balancerais dans la cour, près des poubelles ?
Lui. — Pourquoi tu dis ça ?
Elle. — Je sais pas. Pour être méchante.
Lui. — Je ne suis pas méchant.
Elle. — Voilà bien ce que je te reproche. Tu me prives d’un peu de violence, ça me soulagerait.
Lui. — J’ai autant de peine que toi.
Elle. — Je m’en doute, mais je ne vais pas commencer à respecter ta sensibilité. Faut bien que je me montre la plus forte.
Lui. — Je crois qu’un peu de recul nous fera du bien.
Elle. — Mauvais, le recul, pour les myopes.
Lui. — T’es peut-être myope mais t’as de jolis yeux.
Elle. — Arrête ! C’est une phrase de rencontre, ça, pas de rupture.
Lui. — Peut-être pas définitive.
Elle. — Quoi, la rupture ? Alors je laisse mes cartons chez toi.
Lui. — Non, si on se sépare, je ne veux pas voir tes affaires. Emporte tout. Et n’oublie pas tes peluches, tes parfums, tes écharpes, tes collants, tes doudous, tes godasses, tout ce que tu laisses toujours traîner.
Elle. — T’inquiète ! Je passerai du Mr. Propre dans l’appart pour effacer toute trace de moi.
Un temps.
Lui. — Je te rendrai le García Márquez quand je l’aurai fini.
Elle. — Non, j’en veux pas, garde-le, j’en rachèterai un autre.
Lui. — Non, c’est bête, j’en ai plus que pour deux jours, je peux…
Elle. — Garde-le, je te dis ! J’en veux pas !
Lui. — D’accord. (Un temps. Elle passe rapidement sa main sur ses yeux.) Tu pleures ?
Elle. — Ta gueule ! T’as compris ? Ta gueule !
Lui. — D’accord. (Un long temps.) Il est quelle heure ?
Elle éclate de rire et termine en larmes, la tête entre les mains.
Arrive une troupe de comédiens qui entoure le couple.
Ils sont grimés, costumés, certains peuvent jouer d’un instrument, d’autres lancer des confettis, faire des grimaces.
C’est une parade de commedia dell’arte.
Arlequin parle à la fois au couple et à la cantonade.
Arlequin. — L’amour ! L’amour c’est gai, l’amour c’est triste ! Colombine aime Pierrot, Pierrot aime Colombine, mais le vieux Pantalone veille sur sa fille et sur son argent. Et Capitan fait tout ce qu’il peut pour séduire Colombine et écarter le pauvre Pierrot. Alors que va-t-il se passer, jolie madame ? (Tout en faisant sa gestuelle de pantomime, Arlequin relève la tête de la femme et constate qu’elle pleure. Alors il se tourne vers l’homme et repose sa question.) Que se passe-t-il, cher spectateur, quand Pierrot constate que Colombine cède aux avances du Capitan ?
Lui. — Pierrot fout le camp. (Il se lève pour partir.)
Elle, criant. — Non !!! Salaud !
Elle se jette sur lui et le frappe à toute volée.
La mascarade est pétrifiée.
Il saisit les mains de la femme et l’entrave.
Lui. — C’est bien ce qu’on a décidé, non ?
Elle. — Toi, tu as décidé.
Lui. — Moi ? Menteuse !
Elle. — Si tu me traites de menteuse devant tout le monde, je te fais un procès pour injure publique.
Lui. — Essaie.
Elle. — Lâche-moi.
Lui. — Non, tu vas me griffer.
Elle. — Lâche-moi ! (Elle hurle.) Aïe, aïe, il me fait mal ! Au secours ! Cet homme me violente ! Aidez-moi ! Mais aidez-moi, bande de lâches ! Vous voyez bien qu’il me moleste ! Au secourrrrrs !
Lui. — Tais-toi ! Moi aussi je peux crier. Aaaaaaah, je souffre, j’ai mal ! Je suis infirme, j’ai une maladie de cœur et cette femme me torture, me fait souffrir, veut me tuer !!! Vite, empêchez-la de nuire ! Appelez la police ! Attachez-la !
Elle et Lui, hurlent. — Aaaaaaaah !!! Au secours !
Soudain ils s’arrêtent, se regardent, éclatent de rire et tombent dans les bras l’un de l’autre.
Alors la mascarade les applaudit.
Et pendant que le couple s’embrasse, les comédiens s’éloignent en distribuant leurs tracts et en faisant leur annonce.
Arlequin. — Ce soir, à 21 heures, au théâtre de la Manivelle, L’Amour d’un gentilhomme de Luigi Fantani, par la Compagnie du Vieux Sequin. Une pièce sur l’amour. Qui se termine bien. (Ils sont presque sortis mais Arlequin revient en courant donner un tract au couple.) Très bien votre animation, on y a cru. Vous jouez où ?
Elle. — Un peu partout.
Lui. — Mais ce soir on fait relâche.
Elle, avec un regard complice et amoureux à son partenaire. — Ce soir on va répéter une nouvelle pièce qu’on a un peu de mal à maîtriser.
Lui. — Elle surtout.
Elle. — Salaud !
Ils s’embrassent.
Arlequin rejoint sa bande.
Cloclo s’approche des amoureux. Elle lui fait la bise pendant que son compagnon lui donne un billet.
10 heures
Les recommandations
Un autre couple.
Elle. — T’as les billets ?
Lui. — Oui, oui. Dans ma poche gauche.
Elle. — Bon, on va y aller. Tu dors pas pendant la pièce, hein ?
Lui. — Pourquoi ?
Elle. — Parce que tu ronfles quand tu dors.
Lui. — Et alors ?
Elle. — Et alors, ça dérange les comédiens.
Lui. — Ah bon ?… D’accord.
Elle. — Et puis tu ne ris pas non plus.
Lui. — Pourquoi ?
Elle. — Parce que, quand tu ris, tu ris trop fort.
Lui. — C’est vrai ?
Elle. — Et puis tu ris dix minutes après tout le monde.
Lui. — Et alors ?
Elle. — Alors ça dérange les comédiens.
Lui. — Bon, d’accord.
Elle. — Et puis tu me parles pas pendant la pièce.
Lui. — Ah bon ?
Elle. — Non. Et puis tu te mouches pas, tu fumes pas, tu téléphones pas, tu tousses pas, tu bouges pas, tu vas pas pisser toutes les cinq minutes !
Lui. — J’ai le droit de rien faire, alors ?
Elle. — Si, tu as le droit d’applaudir.
Lui. — Ah, quand même ! (Il se met à applaudir.)
Elle. — À la fin, seulement !
Lui. — Eh ben, c’est rudement chiant le théâtre !
11 heures
Le hérisson
Alain s’approche de Cloclo qui s’est installé en terrasse. Ils se saluent chaleureusement.
Alain. — Alors Clovis, t’as fait fortune ?
Cloclo. — Un peu. Un p’tit billet. Tu me fais le petit déj’ à l’américaine ?
Alain. — À l’américaine ! Et puis quoi encore ? Tu deviens snob, Cloclo.
Cloclo. — Tu connais pas la meilleure ? Dans mon jardin à moi, au bout de ma cabane en tôle, il y a un hérisson. C’est plutôt gentil, un hérisson, discret, silencieux, inodore, avec une bonne éducation. Jamais il ne s’attaque aux plantes ni aux fleurs. Il niche dans un tas de feuilles au pied de la haie. Parfois je le vois remuer le tas comme moi je remue les draps pour faire mon lit… De l’autre côté de la haie, il y a la rue. Il la traverse souvent pour aller manger les trognons de pommes et les vieux légumes qui forment un dépotoir. Il y va et il en revient. Tous les jours. Je le guette, tous les jours. Et jamais il ne s’est fait écraser par une voiture. Je me demande bien pourquoi… De l’autre côté de la rue, il y a donc un dépotoir. Mais il y a surtout un campement de gitans. Ils sont là depuis six mois. Et mon hérisson est dans son tas de feuilles depuis six mois aussi. Qu’est-ce qu’ils attendent pour le bouffer ? On dit bien que les gitans sont des mangeurs de hérissons, non ?… Je suis allé les trouver. Je me suis adressé au plus âgé. Je lui ai dit : « Vous êtes gitans, oui ou non...