Acte I
Scène 1
Suzette, Fabien
Bruit de clés. Suzette arrive dans la maison. Mal fagotée, elle porte un ciré ou ce qui y ressemble…
Suzette, en chantonnant, enlève langoureusement un à un les boutons de son ciré. – « Déshabillez-moi, oui mais tout de suite, oui mais très très vite ! Sachez me désirer, m’embrasser, me retourner… (Au public.) Et vous : déshabillez-vous ! » (Elle ouvre le placard, y range son ciré, en sort une blouse, l’enfile et se regarde dans le miroir fixé sur le mur. Apparemment peu satisfaite de sa nouvelle tenue, elle retourne vers le placard, en sort une autre blouse qu’elle met à la place de la première. Elle se regarde à nouveau dans le miroir et semble cette fois-ci satisfaite du résultat. Elle sort du placard un balai et une pelle. Elle se sert du balai comme micro et commence à pousser la chansonnette sur l’air de Mademoiselle chante le blues.) « Mademoiselle change de blouse ! Elle a une grosse pelle dans les doigts et elle nettoie… Mademoiselle change de blouse ! » (Elle donne un rapide coup de balai et met la poussière sous le tapis.) Tu es poussière et tu retourneras à la poussière ! (Elle s’assoit sur le canapé, pose les pieds sur la table basse et commence à feuilleter un magazine féminin, qu’elle a trouvé dans le porte-revues.) Passons aux choses sérieuses… Voyons voir… (Lisant.)
« Je n’ai pas fait l’amour depuis un mois : est-ce grave ? » Non mais de quoi elle se plaint celle-là ? J’vous jure ! (Lisant à nouveau.) « Mon mari me trompe avec notre femme de ménage. » Ouais, ben faudra me donner l’adresse ! (Se relevant.) Allez, Suzette ! Se cultiver, c’est bien, mais faute d’un mari, y a le boulot qui te tend les bras ! (Elle range le balai et la pelle puis sort un aspirateur du placard, qu’elle essaie de brancher, en vain : il ne fonctionne pas, malgré plusieurs tentatives. Elle branche une lampe sur la même prise de courant : constat d’échec identique. Elle souffle.) Ça, c’est pas de veine ! Pour une fois que j’aspirais à bosser ! On fait vraiment rien pour favoriser le travail, dans ce pays !
Elle ouvre la porte qui conduit à la cave et en descend les marches.
Suzette, off, sur l’air de Je n’aurai pas le temps. – « Même en chantant, je n’ai pas de courant, pas de courant ! »
Fabien, très élégant, descend l’escalier qui conduit aux chambres. Il constate la présence de l’aspirateur et jette un œil rapide en cuisine.
Fabien. – Où est-elle passée ? D’habitude, on la voit et on l’entend de loin !
Fabien gagne le parc.
Retour de Suzette. Elle cherche un annuaire, qu’elle finit par trouver, et le consulte.
Suzette. – Faut vraiment tout faire dans cette baraque ! Heureusement que je sais doser mes efforts… Question de survie. Alors… (Tournant les pages de l’annuaire.) Élagage… (Elle se passe la main sur les jambes et sous une aisselle.) Non, c’est bon : le débroussaillage peut attendre, c’est pas encore la forêt vierge… Ah ! voilà : électriciens… (Elle compose un numéro.) Allô ! Bonjour, madame… Non, monsieur ? Ah ! vous êtes sûr de vous ? J’aurais pourtant cru… Enfin, ça vous regarde… Ce serait pour une prise qui dysfonctionne… Vous n’avez pas le temps ? Ben faut le prendre, mon vieux !… Allô ! Allô !… Il a raccroché, le mufle ! C’est pas parce qu’on est imbécile qu’il faut être impoli, non mais quel crétin ! Moi, je dis toujours : si t’es bête ou moche, sois au moins poli ! Ça compense pas, mais ça peut aider ! (Ayant repris l’annuaire.) Au suivant !… Allô !… Ouais, c’est pour une prise qui déconne… Non, non, ça n’a pas disjoncté. Je viens de vérifier sur le tableau électrique… Mon adresse ? Ben vous êtes un rapide, vous, dites donc !… C’est au 53, rue Lamartine… Lamartine, en un mot… Oui, comme le peintre. C’est quand même beau la culture quand elle est partagée !… Vous n’êtes pas loin ? Ce serait super, comme dit mon garagiste… Dans combien de temps ?… Parfait, je serai à vous ! Façon de parler, naturellement. (Elle raccroche.) Ben voilà une bonne chose de faite, ou une chose faite par la bonne, au choix. C’est comme les hommes : faut persévérer… Remarquez, moi, ça fait bientôt quarante ans que je persévère ! (À un homme du public.) Dites, vous ne seriez pas libre d’ici une heure et demie ? (Elle va ranger l’aspirateur dans le placard et en sort un plumeau. Elle chantonne sur l’air de J’aurais voulu être un artiste.) « J’aurais voulu brancher l’aspirateur, pour pouvoir nettoyer le tapis ! J’aurais voulu être en sueur, pour une fois dans ma vie ! »
Scène 2
Suzette, Constance
Constance descend à son tour l’escalier qui conduit aux chambres ; amusée, elle écoute chantonner Suzette, qui ne l’a pas vue.
Constance, toussotant. – Hum, hum…
Suzette. – Madame Grangeon ! Vous étiez là ?
Constance, amusée. – Je profitais du… récital.
Suzette. – C’était offert par la maison.
Constance. – C’est gentil.
Suzette. – Ça vous a plu ?
Constance. – Vous voulez mon avis ?
Suzette, déçue, mais sans plus. – Non, ça ira.
Constance. – Désolée, mais pour la musique comme pour les hommes, la variété n’a jamais été mon truc.
Suzette, arborant le plumeau, chantonnant à nouveau. – « Mon truc en plumes, plumes de… »
Constance. – Au risque de vous décevoir, je préfère de loin l’opéra.
Suzette. – Moi, l’opéra, c’est de loin, même de très loin… Et, entre nous, je serais plus apéro qu’opéra.
Constance, amusée. – C’est étonnant.
Suzette. – Comme dit ma cousine Françoise : un petit apéro, ça vaut bien un grand opéra. Et l’avantage, c’est qu’on peut s’en taper plusieurs dans la même journée… Je vous en ai déjà parlé, de ma cousine Françoise ?
Constance. – Je n’en ai pas souvenance.
Suzette. – Oh ! elle a pas inventé la poudre… Comme son époux Gérard, d’ailleurs !
Constance, un sourire aux lèvres. – Ce n’est donc pas un couple explosif.
Suzette. – On s’est comprises.
Constance. – La semaine dernière, figurez-vous qu’avec Fabien, nous avons assisté à un concert d’une qualité exceptionnelle, je ne vous dis que cela !
Suzette. – Ça me suffira.
Constance, sur sa lancée. – Nous avons eu droit à une berceuse de Fauré. Vous connaissez ?
Suzette. – Ma foi… Moi, l’autre jour, c’est le foret de la perceuse de mon voisin auquel j’ai eu droit.
Constance. – Le clou du spectacle a été le ballet sur une symphonie en sol.
Suzette. – C’est sûr que le balai, c’est fait pour les sols. Sauf quand le manche est usé et qu’il perd ses poils… Un peu comme Gérard, d’après ce qu’en dit ma cousine.
Constance. – En tout cas, je constate que vous n’avez pas perdu votre esprit d’à-propos.
Suzette. – Ça, c’est comme mes kilos en trop : pour les perdre, c’est pas gagné.
Constance. – Nous causons, là…
Suzette. – Surtout vous.
Constance. – … et je ne voudrais pas vous mettre en retard pour votre travail.
Suzette. – Oh ! ça ne me chagrinerait pas plus que ça !
Constance. – Sans doute, mais ce serait bien malvenu aujourd’hui.
Suzette. – C’est vrai qu’avec le brigadier et tout et tout…
Constance, corrigeant. – Le bâtonnier ! Le bâtonnier !
Suzette, prenant un air snob. – C’est cela, oui.
Constance. – Bâtonnier et, qui plus est, avocat à la cour d’appel.
Suzette, soupirant. – Pour lui c’est la cour d’appel, alors que pour moi c’est la pelle dans la cour !… Et quand il se tient à la barre, moi, je me tiens au bar… Ou c’est le bar qui me tient… On n’est pas du même monde, ma bonne dame !
Constance. – Maître Dubreuil est aussi un homme connu pour son sérieux. Fabien m’a dit qu’il lui arrivait de passer des nuits dans son cabinet.
Suzette. – Moi, la semaine dernière, j’ai passé une nuit sur les cabinets à cause d’une choucroute pas fraîche.
Constance, amusée. – Quelle complémentarité, dites donc ! Maître Dubreuil fait dans le gars strict et vous dans le gastrique !
Suzette, haussant les épaules. – On fait avec ce qu’on a.
Constance. – Vous le savez : Fabien accorde une grande importance à cette visite… Trop, d’ailleurs, à mon goût. Mais bon, vous connaissez les hommes…
Suzette, fataliste. – Ben non, pas trop, hélas !
Constance. – Les hommes et leurs ambitions… Fabien s’est mis en tête d’être le prochain bâtonnier.
Suzette. – Être caniche à la place du caniche, quoi !
Constance. – Voilà, vous avez tout compris.
Suzette, rigolant. – Tout tout compris… « Tout tout » : j’dis ça par rapport au caniche !
Constance. – Oui, oui…
Suzette, pouffant. – « Ouah ! ouah ! » plutôt.
Constance. – Et vous pensez vous en sortir ?
Suzette, rigolant à nouveau. – Je vais me donner un mal de chien !
Constance, rigolant à son tour. – Décidément, vous avez trouvé une niche !
Suzette. – Si vous vous y mettez vous aussi…
Constance, directive mais sans excès. – Vous, vous devriez plutôt vous mettre au travail.
Suzette. – Quand j’y pense… Heureusement que je vais être secondée !
Constance. – Ah oui ! C’est vrai… Par une personne de qualité, n’est-ce pas ?
Suzette. – J’espère bien ! En fait, je ne la connais pas personnellement, je sais juste qu’elle s’appelle Julie. Elle m’a été recommandée par Gérard, le mari de ma cousine.
Constance. – C’est tout dire !
Suzette. – Elle devrait bientôt se pointer. Je vous parle de la serveuse, pas de ma cousine.
Constance. – Merci de la précision.
Suzette. – Pour ma cousine, ce serait compliqué : elle est en cure, en ce moment.
Constance. – Tiens donc !
Suzette. – Pour ses jambes ! Figurez-vous qu’elle a des problèmes de circulation. Pour l’épouse d’un gendarme, avouez que c’est le comble !
Constance. – J’en conviens.
Suzette. – Pour revenir à notre affaire, ma cousine m’a assuré que la fille qui doit venir avait l’habitude de faire des extras en tant que serveuse et qu’elle était très sérieuse, ce qui ne sera pas pour vous déplaire.
Constance. – C’est vrai.
Suzette. – Et très mignonne aussi, à ce qu’il paraît, ce qui ne sera pas pour déplaire à votre mari.
Constance. – Hum…
Suzette. – Quand on parle du loup, on en voit la queue…
Scène 3
Les mêmes, Fabien
Retour de Fabien.
Fabien. – Ah !… Bonjour, Suzette.
Suzette. – Bonjour.
Fabien. – Fidèle au poste, à ce que je vois.
Suzette, chantonnant. – « Fidèle, je suis restée fidèle ! »
Fabien, faux. – Toujours votre sens inné de la mélodie…
Suzette. – Enfin une oreille complaisante !
Constance. – Compatissante, plutôt.
Fabien, à Suzette. – Je vous cherchais vainement : une vraie anguille !
Suzette. – D’habitude, je fais plutôt dans le thon.
Constance. – Hum… Suzette et moi faisions le point sur l’organisation de la soirée.
Fabien. – J’allais justement vous en parler.
Suzette. – Les grands esprits finissent toujours par se rencontrer !
Fabien. – Mais ils prennent vite des chemins différents.
Suzette. – Pour votre réception avec le braconnier…
Constance, rectifiant à nouveau. – Le bâtonnier ! Le bâtonnier !
Suzette. – Oui, avec lui aussi. Décidément, on va finir par être nombreux à votre petite sauterie ! Bon, avec l’un ou l’autre, faut pas vous mettre le Marcel par la tête.
Constance, rectifiant. – Vous voulez dire se mettre martel en tête ?
Fabien. – Martel, avec un « t ».
Suzette. – Moi, j’sais pas vous, mais le thé, je le digère mal… Et puis, Marcel, j’aime bien comme prénom… Jeune, j’en ai connu un… Un vrai séducteur, le gazier ! Les seules choses qu’il ait pas draguées, c’est les fonds marins… et moi. Bon, pour revenir à notre soirée, enfin à la vôtre plutôt, je répète qu’il faut pas se prendre le chou.
Constance, à Fabien. – Tu entends ?
Suzette. – Ça me fait penser qu’en revanche, faudra pas que j’oublie de prendre les choux. C’est le dessert que j’ai choisi. Je dois aller le chercher à la pâtisserie du coin.
Constance. – Pour le menu, vous savez que vous avez carte blanche.
Fabien, embrayant. – Et surtout ma carte bleue.
Suzette, à Fabien. – Pour l’entrée, j’ai pensé à vous.
Fabien. – Délicate attention.
Suzette. – Oui, j’ai prévu des avocats.
Constance. – C’est effectivement de circonstance.
Suzette. – Mais attention : j’ai demandé à ce qu’on me livre des avocats haut de gamme.
Fabien. – Ça me va.
Suzette. – Frais, avec la peau dure mais le cœur tendre.
Fabien. – C’est tout moi.
Suzette. – Et bien riches en graisse.
Fabien. – Ah ?
Suzette. – Le primeur doit les livrer ici sous peu.
Constance, qui s’est assise sur le canapé. – Et pour le plat principal ?
Suzette, la regardant. – Une pintade farcie sur canapé.
Fabien. – C’est… original.
Suzette. – Le charcutier me l’a préparée.
Fabien. – Et vous allez pouvoir tout gérer ?
Suzette. – Faudra bien ! De votre côté, j’espère que vous allez pouvoir tout digérer.
Constance. – Une serveuse doit venir épauler Suzette. (À Suzette.) Une certaine Julie, c’est bien ça ?
Suzette. – Oui, enfin, à ce que j’en sais.
Constance, à Fabien. – C’est une bonne idée, non ?
Suzette. – Une bonne idée, mais pas une idée de la bonne ; elle vient de mon cousin. Faut rendre à Gérard ce qui est à Gérard.
Fabien. – Parfaitement, sinon où allons-nous ?
Suzette. – Vous, j’sais pas, mais moi, dans la cuisine. J’ai du pain sur la tranche !
Suzette gagne la cuisine.
Scène 4
Constance, Fabien puis Suzette
Constance. – Tu es rassuré ?
Fabien, fataliste. – On va dire ça.
Constance. – Suzette va faire de son mieux.
Fabien. – Le mieux est l’ennemi du bien.
Constance. – Je reconnais qu’elle ne flirte pas toujours avec la finesse.
Fabien. – On ne choisit pas toujours avec qui on sort.
Constance. – Et que son langage peut dérouter.
Fabien. – Les Dubreuil risquent d’y perdre leur latin.
Constance, sur sa lancée. – Et aussi que la cuisine n’est pas son fort.
Fabien. – Si c’est du clé en main, ça devrait passer.
Constance. – Heureusement, elle va être épaulée.
Fabien. – Espérons que cette… Julie fera l’affaire.
Constance. – Suzette ne la connaît pas, mais on la lui a recommandée pour son sérieux.
Fabien. – Croisons les doigts pour qu’il n’y ait pas d’impair.
Constance. – L’imper, très peu pour moi. Je pensais plutôt mettre ma robe de soirée. Qu’est-ce que tu en penses ?
Fabien. – Qu’elle a coûté très cher.
Constance, un peu vexée. – Merci de le rappeler. Mais tu ne crois pas que c’est une bonne idée de la porter ce soir pour nos invités ?
Fabien. – Pourquoi pas ?
Constance. – On dit de Mme Dubreuil qu’elle est très élégante.
Fabien. – Faut bien que l’emballage sauve le contenu.
Constance. – Charmant pour elle.
Fabien. – Mais tellement réaliste ! Quand tu verras l’engin, tu comprendras. En tous les cas, je compte vraiment sur son mari pour m’appuyer pour sa succession ; il a une grande influence au sein de l’ordre des avocats.
Constance. – Tu penses sérieusement qu’un simple dîner peut l’influencer ?
Fabien. – Les petits riens font les grands touts.
Constance. – Si tu le crois. Nous verrons bien. En attendant leur venue, je vais au parc cueillir quelques roses. Ça égayera la maison.
Fabien. – Bonne idée !
Constance. – Tu m’accompagnes ?
Fabien. – Deux ou trois petites choses à régler et je te rejoins.
Constance gagne la terrasse et Fabien grimpe l’escalier.
Suzette sort de la cuisine.
Suzette, chantonnant, sur l’air de La Cavalerie. – « Moi, je dois filer à la pâtisserie… La la la la la la… La pâtisserie… »
Suzette sort de la maison.
Scène 5
Fabien, Lola
Retour de Fabien. Il a son portable à l’oreille.
Fabien. – Nous vous attendons avec impatience. Mais ne vous inquiétez surtout pas si vous avez un peu de retard… Non ?… Vous serez là à l’heure précise… Comme vous dites : la ponctualité n’a pas de prix ! (Il range son portable.) Pauvre ringard !
On sonne. Fabien va ouvrir. Une jeune femme est devant la porte.
Lola, aguicheuse. – Bonjour, toi !
Abasourdi, Fabien tente de refermer la porte mais Lola est déjà entrée.
Fabien. – C’est pas possible !
Lola. – Si, si ! Tout à fait possible !
Fabien. – Lola !
Lola. – En chair et en os ! (Mettant en avant sa poitrine.) En chair, surtout.
Fabien. – Mais… Mais qu’est-ce que tu fais là ?
Lola. – Je viens te voir, comme prévu.
Fabien. – Comment ça, comme prévu ?
Lola. – Ben on est vendredi, non ? (Se jetant sur lui.) Et vendredi, on s’éclate au lit !
Fabien. – Tu as de ces formules !
Lola. – Dis donc, celle-là, c’est toi qui me l’as sortie ! (Allusive.) Remarque, tu peux me sortir autre chose si tu veux !
Fabien. – Une autre fois.
Lola. – Ma venue ne te fait pas plaisir ?
Fabien. – C’est pas ça mais…
Lola, toujours aguicheuse. – Je sais : le plaisir viendra après.
Fabien. – Tu n’as donc pas eu mes messages ?
Lola. – Quels messages ?
Fabien, sec. – Ceux que je t’ai laissés sur ton portable.
Lola. – Ben non ! C’est que j’ai eu des problèmes avec ma messagerie.
Fabien. – C’est une catastrophe !
Lola, avec légèreté. – Oh ! pas tant que ça ! J’ai dû simplement faire une fausse manip et hop ! tous les messages envolés ! C’est bête, hein ?
Fabien. – Plutôt.
Lola. – Mais tout est rentré dans l’ordre.
Fabien. – J’en suis ravi pour toi.
Lola. – Et tu me disais quoi dans tes messages ?
Fabien. – Que je ne voulais pas que tu viennes ce vendredi.
Lola. – Ça, c’est pas très gentil. Je me suis décarcassée corps et âme pour me libérer… Bon, mon corps, c’est pas un souci, il est toujours d’accord…
Fabien, paniqué. – Tu ne peux pas rester là !
Lola. – Tu as raison !
Fabien, soufflant. – Ouf !
Lola. – Oui, ici, c’est pas terrible. (Directe.) On va tout de suite dans la chambre ?
Fabien. – Tu n’y penses pas !
Lola. – Oh si ! Depuis ce matin !
Fabien jette un œil inquiet en direction du parc. Pendant ce temps, Lola a enlevé prestement sa robe et l’a cachée derrière le bar.
Fabien, découvrant Lola en sous-vêtements. – Mais qu’est-ce que tu fais ?
Lola. – Je prends de l’avance ! Comme on dit : ce qui est fait n’est plus à faire.
Fabien. – T’es complètement folle !
Lola, se jetant à nouveau sur lui. – De toi, oui !
Fabien. – Oh là là !
Lola. – Ben qu’est-ce qui se passe, mon Fafa ?
Fabien. – Je n’aime pas que tu m’appelles comme ça !
Lola. – Ben quoi ? Toi tu me dis bien « Lol » !
Fabien, sec. – Là, ça se justifie.
Lola, naïve. – Ah bon ?
Fabien. – Je te répète que je n’aime pas les diminutifs.
Lola. – T’es bien grognon aujourd’hui ! Moi, ce sont mes tifs qui ont diminué. (Se passant la main dans les cheveux.) Tu as vu ma nouvelle coupe ?
Fabien, pas sur la même longueur d’ondes. – C’est un désastre !
Lola. – Ah ? Moi, je trouvais que c’était plutôt réussi… Il y avait un joli dégradé.
Fabien. – C’est l’ambiance qui risque très vite de se dégrader si tu ne t’en vas pas au plus tôt.
Lola. – Comment ça ?
Fabien. – Tu n’as donc toujours pas compris que ce vendredi, ce n’était pas possible ?
Lola. – Ah ? Fafa est raplapla ? Mais je vais redresser tout ça, moi !
Fabien. – C’est la situation qu’il va falloir redresser. Puisque tu n’as pas l’air de comprendre et, pour être clair, je ne suis pas seul à la maison.
Lola. – Ah ?
Fabien. – Mon épouse est là.
Lola. – Elle est pas chez son dentiste, comme tous les vendredis en fin de journée ?
Fabien. – Combien de fois il faudra te redire que le club de bridge n’a rien à voir avec un cabinet de dentiste ?
Lola. – Je croyais… (Lascive.) Remarque, à trois, ça ne me gênerait pas. Et s’il n’y a pas de gêne, il y a du plaisir, et le plaisir…
Fabien, la coupant. – Oui, oui… On est même quatre, si tu veux.
Lola. – Pas encore essayé, mais je ne demande qu’à !
Fabien. – Figure-toi qu’exceptionnellement, notre femme de ménage est aussi de la partie.
Lola. – De la partouze, alors !
Fabien. – Désolé mais je n’ai pas trop le cœur à rigoler.
Lola. – Le cœur peut-être pas, mais le reste ?
Fabien. – Si tu voyais le morceau, tu ne me ferais pas ce genre de proposition.
Lola. – Qu’est-ce que tu proposes, alors ?
Fabien. – Oh ! c’est tout simple !
Lola. – Ça devrait m’aller.
Fabien. – Tu vas débarrasser le plancher et fissa !
Lola. – C’est du carrelage, nuance ! (Allusive.) Je croyais pourtant que tu préférais la moquette ?
Fabien, les yeux en l’air. – C’est d’une finesse !
Lola. – On fait avec ce qu’on a ! (Se tortillant.) Remarque, moi, j’ai !
Fabien. – S’il te plaît, quitte les lieux au plus vite !
Lola. – Bon, bon… Demandé comme ça, je veux bien faire un effort.
Fabien. – Merci.
Lola, joueuse. – Mais avant, faut que tu retrouves ma robe !
Fabien. – Hein ?
Lola. – Je l’ai cachée ! Allez, cherche bien !
Fabien. – T’es complètement cinglée !
Lola, taquine. – Et attention : si tu ne la trouves pas, j’enlève le reste ! (Fabien cherche désespérément la robe.) Ouh ! Tu es glacé !… Là, tu te réchauffes… Tu brûles… Moi aussi, je brûle ! (Elle se jette à nouveau sur lui.) Viens là, grand fou !
Constance, off. – Chéri !
Fabien, repoussant Lola. – Plus le temps de jouer ! (Fabien ouvre le placard et en sort le ciré de Suzette, qu’il lance à Lola.) Mets ça, vite !
Lola. – C’est quoi cette horreur ?
Fabien. – Je n’ai pas mieux à te donner.
Lola. – Tu me déçois ! Ce n’est pas du tout assorti à mes chaussures !
Fabien force Lola à enfiler le ciré.
Scène 6
Les mêmes, Constance
Retour de Constance.
Constance, à Fabien. – Tu pourrais répondre quand je t’appelle !
Fabien, faux. – Parce que tu m’as appelé ?
Constance. – Je ne vois pas qui d’autre pourrait t’appeler « chéri » !
Lola, bas. – Moi si.
Constance. – Madame…
Lola, rectifiant. – Mademoiselle.
Constance, à Fabien. – Tu ne me présentes pas ?
Fabien. – Euh… si, si… Ma femme, Constance.
Lola. – Enchantée.
Constance. – Si tu pouvais aussi me dire qui est cette personne, ce ne serait pas mal.
Fabien. – Je peux.
Constance. – Tant mieux.
Fabien, un brin confus. – Voilà… Mais tu n’as pas deviné ?
Constance. – Je devrais ?
Fabien. – Eh bien, c’est… c’est la jeune femme qui vient aider notre brave Suzette. (À Lola.) C’est bien ça ? (Il fait des clins d’œil appuyés à Lola.)
Lola. – Je… C’est ça… C’est moi qui viens aider Lucette.
Fabien, rectifiant. – Suzette.
Lola. – Moi et les prénoms, on a toujours fait chambre à part. Vous me direz, tant que c’est les prénoms…
Constance. – C’est donc vous, Julie ?
Fabien. – Parfaitement.
Lola. – Si vous le dites !
Constance. – Suzette avait au moins raison sur un point : vous êtes charmante.
Fabien. – Je confirme. (Se reprenant.) Enfin, elle nous a surtout dit que vous étiez très sérieuse et c’est surtout ça qui compte.
Lola. – Ça dépend pour qui ou pour quoi.
Constance. – Évidemment, vous avez l’habitude de servir.
Lola. – Pardon ?
Constance. – Oui, vous avez déjà servi ?
Fabien. – Pour ça, oui ! (Se rattrapant.) Enfin, d’après ce que nous a raconté Suzette.
Lola, allusive. – On peut effectivement dire que j’ai de l’expérience.
Constance. – Si j’ai bien compris, vous faites des extras.
Fabien, chantonnant. – « C’est extra ! C’est extra ! »
Constance, sèche. – Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi ! On a déjà la Castafiore, il me semble que ça suffit largement.
Lola. – C’est vrai qu’on m’a souvent dit que j’étais extra.
Constance. – J’en suis sûre. Bien. Suzette va vous en dire plus sur ce qu’elle attend de vous.
Lola. – Pas trop, j’espère.
Constance, appelant. – Suzette ! Suzette ! (Elle va voir en cuisine.) Ah ! ben ça ! Jamais là quand on a besoin d’elle.
Fabien, un brin contrarié. – Tout le contraire de certaines : toujours là quand on n’a pas besoin d’elles.
Constance. – Où est-elle encore allée ?
Fabien. – Oh ! elle ne doit pas être bien loin ! En attendant de la retrouver, je peux m’occuper de Julie.
Constance. – Ah ?… Comme tu voudras. Quant à moi, je retourne au parc. Rejoins-moi dès que tu en auras terminé avec mademoiselle ; il y a des magnifiques roses que je ne peux pas atteindre. C’était d’ailleurs pour ça que je t’appelais.
Fabien, tragédien. – Les plus belles fleurs sont souvent les plus dures à cueillir.
Constance. – Tu verses dans la poésie maintenant ?
Lola, rigolant. – C’est mieux que de verser dans la boisson.
Constance, sèche. – Nous nous passerons volontiers de vos commentaires.
Constance gagne le parc. Fabien va se servir un verre au bar.
Lola. – Ouh là là ! Pas constante la commode ! (Se reprenant.) Je voulais dire : pas commode la Constance !
Fabien, buvant son verre cul sec. – Rien de tel qu’un verre pour se requinquer.
Lola, allusive. – Moi, je connais autre chose…
Fabien. – Ce n’est vraiment pas le moment !
Lola, se collant à Fabien. – Mais si, c’est toujours le moment !
Fabien. – Non, c’est non.
Lola, boudeuse. – Là, t’es pas drôle.
Fabien. – Peut-être, mais la prudence s’impose.
Lola, tragédienne. – Prudence ou Constance, il faut choisir !
Fabien. – C’est ça qui m’inquiète.
Lola. – Si j’ai bien capté, tu m’as fait passer pour une serveuse nommée Julie, c’est ça ?
Fabien. – Oui.
Lola. – Y a mieux comme boulot, mais le prénom me plaît… Simone ou Paulette, j’aurais tiqué ; il y a des limites, tout de même !
Fabien. – Faut me comprendre : j’étais acculé.
Lola. – Être acculé, c’est pas toujours agréable.
Fabien. – Suzette, notre employée, a besoin aujourd’hui d’une personne pour l’aider, et cette personne, par la force des choses, ce sera toi. Tu m’as bien saisi ?
Lola, langoureuse. – Et toi, qu’est-ce que tu attends pour me saisir ?
Fabien. – Tu ne penses vraiment qu’à ça !
Lola. – J’admets volontiers que le sujet m’intéresse. Mais tu exagères : il n’y a pas que le sexe dans la vie, il y a aussi l’argent. À propos, c’est bien payé ton job ? J’ai vu une petite robe hier qui te plaira sûrement. Au mètre carré, elle doit coûter aussi cher qu’un appartement.
Fabien. – On verra ça plus tard.
Lola. – Ça, c’est une promesse de garçon.
Fabien, corrigeant. – De Gascon.
Lola. – Quoi ?
Fabien. – Je t’expliquerai une autre fois.
Lola. – Dis tout de suite que je suis nouille !
Fabien. – Oh non ! Pas tout de suite !
Lola. – Une nouille qui vous épate et qui vous ravit au lit.
Fabien, amusé. – C’est bien trouvé ! C’est de toi ?
Lola. – Ben non, tu penses bien !
Fabien. – J’essaie surtout de penser à comment m’en sortir.
Lola. – Ça, c’est ton problème. Et les problèmes, c’est pas mon truc ! À l’école, j’étais nulle pour les résoudre.
Fabien. – Étonnant. Bon, tu as déjà joué les bonnes ?
Lola. – On dit toujours de moi : « Qu’est-ce qu’elle est bonne Lola ! » Ce n’est pas toi qui vas dire le contraire, n’est-ce pas ?
Fabien. – Pour servir, tu n’es pas maladroite ?
Lola, allusive. – Avec mes mains je peux faire plein de choses, tu sais.
Fabien. – Si on te questionne sur tes références, n’hésite pas à les mettre en avant.
Lola, mettant sa poitrine quasiment sous le nez de Fabien. – Comme ça ?
Fabien. – On ne te demande pas non plus d’avoir fait Bocuse ou Troisgros.
Lola. – Un beau cul pas trop gros, tout mon portrait !
Fabien. – Tu devrais donc pouvoir faire fesse… euh… faire face. Je ne te l’ai pas dit, mais j’attends un invité de marque et c’est pour ça qu’on a fait appel à toi. Enfin, à celle que tu es censée être.
Lola. – C’est qui cette guest-star ?
Fabien. – Maître Dubreuil.
Lola, comme déçue. – Ah ? Connais pas. Jamais vu dans Voilà.
Fabien. – Il serait plutôt du genre Modes et Tricots.
Lola. – Je parie qu’il est avocat, comme toi.
Fabien. – Oui, et de première importance : c’est le bâtonnier.
Lola. – À tes souhaits !
Fabien. – En résumé, c’est le représentant des avocats.
Lola. – Et il est riche ?
Fabien. – À ma connaissance, c’est effectivement un homme très fortuné.
Lola. – Plus que toi ?
Fabien. – Bien plus.
Lola. – De plus en plus intéressant.
Fabien, taquin. – Mais il est aussi plutôt âgé.
Lola. – Avec toi, je suis déjà entraînée.
Fabien. – Merci.
Lola. – D’ailleurs, tu as pris des cheveux blancs depuis notre dernière rencontre.
Inquiet, Fabien va se regarder dans le miroir.
Fabien. – Ah bon ?
Lola. – Je reconnais bien volontiers que j’ai un faible pour les avocats, surtout quand ils sont mûrs ; sans être pourris non plus, faut pas exagérer !
Fabien. – Maître Dubreuil est un ténor du barreau.
Lola, allusive. – Moi, j’adore grimper au barreau !
Fabien. – Décidément, tu ne changeras pas.
Lola. – Mais je me suis changée… (Montrant son ciré.) Vraiment pas sexy la tenue, mais bon… Qui sait ? Ça plaira peut-être à ton bâtonnier ?
Fabien. – Désolé pour toi, mais il vient avec sa femme.
Lola. – Ça, c’est un détail. (Réfléchissant.) Je pense d’un coup à quelque chose.
Fabien. – Comme quoi, tout arrive !
Lola. – Je suis censée aider Georgette, c’est ça ?
Fabien, rectifiant. – Suzette.
Lola. – Ça me fait penser à une crêpe.
Fabien. – La différence, c’est qu’une crêpe on aime bien la faire sauter.
Lola. – Eh ben, dis donc, monsieur l’avocat se lâche !
Fabien, se reprenant. – Pardon, ça m’a échappé.
Lola. – Je vois ça. Mais revenons à Suzette. Quand elle me verra, elle ne va rien comprendre.
Fabien. – T’inquiète ! On lui a parlé de toi, mais elle ne t’a jamais vue.
Lola. – Quand elle me verra à l’œuvre, elle risque quand même d’avoir de sérieux doutes.
Fabien. – À toi de tout faire pour les lever… (Inquiet.) Moi, c’est pas ça qui me turlupine.
Lola, allusive. – Voilà un joli mot comme je les aime !
Fabien. – Là où ça va coincer, c’est quand la bonne va se pointer.
Lola. – La bonne quoi ?
Fabien. – La bonne bonne.
Lola, se grattant la tête. – Je connaissais la bonbonne, mais là…
Fabien. – Je voulais dire celle que tu remplaces au pied levé.
Lola. – Personnellement, je préfère lever la jambe.
Fabien. – Naturellement. Alors voilà ce qu’on va faire : Suzette va forcément être très occupée en cuisine et c’est donc toi qui, a priori, devras lui ouvrir.
Lola. – À Suzette ?
Fabien, s’énervant. – Mais non ! À celle que tu remplaces !
Lola. – Ah ! j’y suis !
Fabien, sec. – Tâche d’y rester.
Lola. – Où ça ?
Fabien. – C’est une façon de parler, voyons !
Lola. – Ah ?
Fabien. – Quand elle va se...