Qui a tué Charles Perrault ?

Charles Perrault a été tué ! Qui est son assassin ? Le détective privé Paul X est chargé de l’enquête. Il convoque tous les personnages des contes de Perrault afin de savoir qui peut être le ou la coupable. Pendant ses interrogatoires, Paul X ira de surprise en surprise sur les relations qu’entretenaient les personnages avec leur auteur. Il découvrira que chacun d’entre eux avait des récriminations vis-à-vis de Charles Perrault et de bonnes raisons de vouloir l’assassiner.

“Qui a tué Charles Perrault ?” C’est ce que vous apprendrez dans cette pièce pleine de suspense et d’humour.




Qui a tué Charles Perrault ?

Scène 1

Bureau de Paul X.

Paul X, refermant un grand livre
de contes.

Et voilà, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Encore un conte qui finit bien ! J’ai retrouvé ce bouquin en faisant un peu de rangement dans mon bureau. Comme je n’ai pas d’affaire en vue en ce moment, je range et je bouquine un peu. (S’adressant au public.) Ah ! excusez-moi, je ne me suis pas présenté ! Paul X, détective privé, spécialiste en filatures, en recherche de personnes disparues, et j’enquête éventuellement sur des meurtres. Pourquoi Paul X ? Pour la discrétion et le secret sur toutes les affaires traitées. Mais pour le moment je suis détective privé… de recherche. (Changeant de ton en regardant le livre.) Ah ! les contes de Perrault… Ça me rappelle ma jeunesse. (Il bâille.) Mais, au bout d’un moment, ça endort… surtout La Belle au bois dormant. (Il bâille de nouveau.) Tiens, je vais faire moi aussi un petit roupillon, c’est l’heure de ma sieste. Et peut-être qu’une princesse charmante viendra me réveiller…

Il s’endort. On entend des ronflements. Puis changement de lumière comme dans un rêve et petite musique.

Scène 2

Grimm, off.

Monsieur Paul X ?

Paul X, sursautant et se réveillant.

Hein ? Oui, c’est moi. Entrez, c’est ouvert. (Entrée de Grimm.) C’est à quel sujet ?

Grimm

J’ai vu votre plaque de détective privé. Je viens vous trouver car… un de mes amis a été assassiné.

Paul X

Diable !

Grimm

Il était conteur.

Paul X

Vous voulez dire comptable ?

Grimm

Non, conteur. Il écrivait des contes, si vous préférez. Il s’appelait Charles Perrault.

Paul X, stupéfait.

Ah bon ? Charles Perrault est mort ! Ça alors ! Je lisais encore ses œuvres il n’y a pas si longtemps. Quelle drôle de coïncidence !

Grimm

C’est un crime affreux. Il était méconnaissable, un vrai carnage. La police a conclu à un crime crapuleux, car son coffre-fort avait été fracturé et vidé. Mais, moi, je suis sûr qu’il avait des ennemis personnels qui l’ont tué sauvagement.

Paul X

Vous avez des soupçons ?

Grimm

Attention, je ne veux pas que l’on m’accuse de calomnie. Mais depuis un certain temps, il était en conflit ouvert avec les personnages de ses contes.

Paul X

En conflit avec ses personnages ? Mais ils ont pourtant l’air tous bien sympathiques, à part les méchants bien entendu : le loup, l’ogre, Barbe bleue…

Grimm

Vous auriez peut-être des surprises, monsieur X. Voudriez-vous vous charger de l’enquête pour savoir qui est le meurtrier de mon ami Charles Perrault ?

Paul X, hésitant.

Eh bien…

Grimm

Si c’est une question d’argent, votre prix sera le mien.

Paul X

Ah oui ? Alors, disons deux… deux mille… non, deux mille cinq cents.

Grimm

D’accord. (Il cherche de l’argent dans son portefeuille.)

Paul X, en aparté.

Ce n’est pas possible ! C’est la première fois que l’on me paye cash avant une enquête. Je vis un conte de fées.

Grimm, lui tendant une bourse
avec des pièces.

Tenez.

Paul X

Qu’est-ce que c’est ?

Grimm

Des pièces de monnaie.

Paul X, rayonnant.

En… or ?

Grimm

Euh… non.

Paul X, moins content.

En argent ?

Grimm

Non… en cuivre.

Paul X, déçu.

Je ne pourrai jamais les revendre. Peut-être au poids. Mais vous n’avez pas d’euros ?

Grimm

Non, je n’ai que la monnaie de mon époque.

Paul X, au public.

Bon, ça commence mal. Mais on ne peut pas être exigeant quand on n’a pas de clients. Eh bien, commençons notre enquête, monsieur… (Demandant à Grimm.)

Grimm

Grimm. Jacob Grimm. Venez, je vais vous emmener sur les lieux du crime.

Scène 3

Paul X et Grimm vont jusqu’au bureau de Perrault. Paul X relève des indices.

Paul X

Des traces de bottes dans l’entrée, des cheveux féminins sur les sièges, des poils de chat, de loup, des odeurs de parfum… Il y a plus d’indices qu’il n’en faut. N’importe lequel des personnages de M. Perrault peut être le meurtrier.

Grimm

Il faut dire qu’ils le fréquentaient régulièrement. Ils venaient souvent chez lui pour des plaintes et des récriminations.

Paul X

Ah oui ? Et pourquoi ?

Grimm

Ces personnages ont connu leur heure de gloire et ont eu une certaine notoriété, mais aujourd’hui les enfants préfèrent les aventures des super-héros de mangas à celles des princes et princesses des contes. Ils réclamaient souvent à mon ami Charles de moderniser leurs histoires.

Paul X

Je vois : ils voulaient connaître une nouvelle célébrité auprès du public.

Grimm

En quelque sorte. Je vous ai fait la liste de toutes celles et de tous ceux qui venaient voir Perrault régulièrement.

Paul X

Bien. Je vais commencer mon enquête en convoquant les différents personnages de Charles Perrault que vous avez notés sur votre liste. (Il regarde la liste.) Je vais d’abord commencer par… le Petit Chaperon rouge.

Grimm

Et pourquoi pas plutôt par le loup ? D’après moi, il est beaucoup plus dangereux.

Paul X

Mon expérience m’a appris qu’il ne fallait pas juger les suspects sur leur mine. Croyez-moi, les coupables peuvent aussi avoir des visages d’ange.

Grimm

Après tout, c’est vous le détective. Je souhaite que vous réussissiez. Bonne chance. (Il sort.)

Scène 4

Retour au bureau de Paul X.

Paul X

Le Petit Chaperon rouge. À quoi peut bien ressembler cette petite ?

Le Petit Chaperon rouge, off.

Monsieur X ?

Paul X

Oui, entrez. Tirez la chevillette et la bobinette cherra. (Entrée du Petit Chaperon rouge. C’est une petite vamp. Paul X est surpris.) Euh… bonjour, mademoiselle

Le Petit Chaperon rouge

Madame.

Paul X

Madame ? Ah bon ? Je ne savais pas. Je vous ai fait venir pour ce que vous savez : le crime de M. Perrault.

Le Petit Chaperon rouge

C’est horrible ! Mon mari et moi en sommes encore tout retournés.

Paul X

Votre mari ?

Le Petit Chaperon rouge

Oui, d’ailleurs je me suis permis de l’amener avec moi, car nous partageons tout ensemble. (S’adressant à la coulisse.) Allez, viens, ne sois pas si timide ! Le monsieur ne va pas te manger !

Entrée du loup, tout intimidé.

Le loup

Bon… bonjour, m’sieur.

Paul X

Bonjour, monsieur.

Le Petit Chaperon rouge,
le présentant.

M. Le Loup, mon mari.

Paul X

Oui… évidemment. Bien. Que savez-vous de cette affaire ?

Le Petit Chaperon rouge

Je dois vous dire clairement que nous étions en procès avec M. Perrault. (Au loup.) N’est-ce pas, Loulou ?

Le loup

Oui, oui.

Paul X

Et à quel sujet ?

Le Petit Chaperon rouge

C’est à propos de mon mari. Le père Perrault lui a fait une réputation de mangeur d’hommes…

Le loup

Et de grands-mères…

Le Petit Chaperon rouge

Alors qu’il aide toutes les mamies du quartier à faire leurs courses sans jamais rien leur demander.

Le loup

Que voulez-vous, je fais ça par pure charité ; j’ai un cœur, moi.

Le Petit Chaperon rouge

Mais bien sûr, mon petit Loulou. Le Perrault lui a fait aussi une sale réputation auprès des enfants.

Le loup

Je ne peux plus me promener tranquillement devant une école sans qu’un flic ne cherche à me tabasser.

Le Petit Chaperon rouge

Alors qu’il donne, en cachette, des cours de tricot aux gamines de notre immeuble. J’ai porté plainte contre Perrault et j’ai demandé qu’il paye pour tout cela. C’est trop facile de faire d’un pauvre loup un bouc émissaire. Il a raconté des mensonges sur Gabriel… (Montrant le loup.) alors que c’est un ange. (Elle l’embrasse.) Il a toujours un petit cadeau à me faire. Tenez, hier, il m’a apporté pour le déjeuner une belle côtelette d’agneau.

Le loup

Je l’ai trouvé qui se désaltérait dans le courant d’une onde pure.

Le Petit Chaperon rouge

Oh ! tu es un vrai poète, mon Loulou ! (Elle embrasse le loup et demande à Paul X.) N’est-ce pas ?

Paul X

Euh… oui, oui…

Le Petit Chaperon rouge

Avant-hier, il m’a apporté un petit chevreau si mignon… mais il était mort, malheureusement.

Le loup

Malheureusement…

Le Petit Chaperon rouge

Nous avons dû le faire rôtir… Comme c’était délicieux !

Le loup

Je l’ai trouvé sur le bord de la route… (S’excitant.) Ah ! si je tenais celui qui a fait ça…

Le Petit Chaperon rouge

Calme-toi, mon Loulou. Calme-toi. Et regardez ce qu’il m’a offert pour mon anniversaire. (Elle montre son collier.) Une rivière de diamants… Une onde pure… (Au loup.) Je t’avais pourtant dit qu’il ne fallait pas.

Le loup

Rien n’est trop beau pour toi, mon Chouchou. (À Paul X en riant gentiment.) Je l’ai trouvé près du cou d’une vieille bique.

Le Petit Chaperon rouge,
à Paul X.

N’est-il pas beaucoup plus joli au cou d’une jeune femme ?

Paul X

Euh… oui, bien sûr… Et que vous a répondu M. Perrault ?

Le loup et le Petit Chaperon rouge se dirigent vers le bureau où est assis Perrault.

Perrault

Mademoiselle, je comprends vos reproches, mais quand j’ai créé le personnage du grand méchant loup, je ne savais pas qu’il y aurait une erreur de casting. (Au loup.) Je veux bien croire que vous soyez un grand gentil loup, mais mon public souhaite que le loup soit féroce. Sinon, comment croire à l’histoire ? Il faut que la tension monte, que le lecteur commence à frémir, qu’il craigne pour la vie du Petit Chaperon rouge jusqu’au dénouement final : la mort. Tiens, montrez-moi comment vous jouez la scène : « Mère-grand, que vous avez de grands bras… »

Le loup et le Petit Chaperon rouge se lèvent.

Le Petit Chaperon rouge

Oh ! c’est notre grande scène d’amour, chéri, c’est celle qu’on préfère ! (À Perrault.) C’est là qu’il m’a fait craquer. (Elle joue passionnément.) Mère-grand, que vous avez de grands bras !

Le loup

C’est pour mieux t’embrasser, mon enfant.

Le Petit Chaperon rouge

Mère-grand, que vous avez de grandes oreilles !

Le loup

C’est pour mieux t’écouter, mon enfant.

Le Petit Chaperon rouge

Mère-grand, que vous avez de grands yeux !

Le loup

C’est pour mieux te voir, mon enfant.

Perrault, s’exclamant.

Mais ce n’est pas du tout ça ! Ce n’est pas Roméo et Juliette que j’ai écrit ! Je ne peux pas accepter votre demande. Le loup restera le loup, un point c’est tout. Il continuera de bouffer les grands-mères et les petites filles. C’est mon dernier mot.

Le Petit Chaperon rouge,
en colère.

Très bien. Sachez que vous entendrez parler de nous. Méfiez-vous, car si je dis à Loulou « attaque ! »… (Le loup commence à gronder et à se montrer agressif.) … vous pourriez avoir de sérieux problèmes.

Le loup

Vous n’êtes pas sympa, m’sieur Perrault. Vous pourriez le regretter.

La lumière baisse du côté de Perrault. Retour au bureau de Paul X.

Paul X

Et puisqu’il n’a pas répondu à votre demande, vous l’avez tué.

Le Petit Chaperon rouge

Mais pas du tout ! Nous sommes incapables d’un tel acte, n’est-ce pas mon Loulou ? Nous l’avons poursuivi… en justice, voilà tout.

Paul X

Bien. Dernière question : que faisiez-vous vendredi de dix-neuf à vingt-deux heures trente, heure présumée du crime ?

Le Petit Chaperon rouge

Nous dînions chez ma mère-grand avec un couple d’amis.

Paul X

Pourrais-je connaître leur nom ?

Le Petit Chaperon rouge

Bien sûr. Il s’agit de M. Poucet et de son épouse, Mme Poucette.

Paul X

Je vous remercie.

Le Petit Chaperon...

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