Acte I
Scène 1 : Louis, Maryse, Clémentine.
Quand le rideau s’ouvre, on entend le bruit des cigales un soir d’été.
Louis. — Ça va aller, Maryse ? Tu ne seras pas épuisée ? C’est vrai, ce n’est pas comme si c’était ta mère qui venait dîner à la maison…
Maryse, lisant Paris Match, assise sur une chaise. — Tu sais, Louis, comme de toute façon quand maman arrivera rien ne lui conviendra, autant ne pas s’épuiser à la tâche !
Louis, posant le sac de charbon de bois. — Oh ! Et puis ça va bien ! Tu as raison, ça fait trente ans que rien ne lui va, il n’y a donc aucune raison que ça change aujourd’hui, quels que soient les efforts que je pourrais fournir !
Maryse. — Mais oui ! Maman n’a jamais pu t’enquiller, tu le sais bien, mon chéri…
Louis. — C’est le moins que l’on puisse dire ! Tu te souviens de la première fois que j’ai rencontré tes parents ? Nous avions dîné chez eux, il y avait un silence monacal à table lorsque ta mère, qui me fixait depuis au moins une demi-heure, l’a soudainement rompu pour me demander si j’avais déjà envisagé de me refaire faire le nez…
Maryse. — Il est vrai qu’il y a plus agréable à entendre. Mais tu ressasses encore cette vieille histoire qui date de trente ans ? Passe à autre chose, mon chéri !
Louis. — Tu as parfaitement raison, je vais passer à autre chose… (Il se saisit d’un magazine et s’installe à son tour sur une chaise.) Je préparerai le barbecue quand elle sera là. Il ne sert à rien de se presser. Pour l’accueil que mes grillades vont recevoir, de toute façon…
Maryse. — Mais bien sûr, Louis ! Profite plutôt du calme de cette soirée d’été… Tu as déjà échappé aux remarques de ma mère sur ta conduite en envoyant ton frère la chercher à ta place, alors profite !
Louis. — Tu as raison, je vais savourer le calme de notre jardin et respirer l’air de l’océan avant l’arrivée de la méduse.
Maryse. — Et arrête d’appeler maman « la méduse ». Si elle s’en rend compte, tu vas encore t’attirer des ennuis…
Louis. — Excuse-moi, Maryse, mais j’ai beau me dire que je suis chez moi, dans mon jardin, et que se trouve ouverte la saison des barbecues, j’appréhende tout de même toujours un peu les dîners en compagnie de mon ahuri de frère jumeau, de ma charmante fille cadette et de… la méduse.
Maryse. — Mais détends-toi, oublie ton petit train-train de journaliste sportif au journal local ! Moi, je me sens déjà bien loin de mon quotidien, rivée à mon bureau de secrétaire… Ce sont les vacances !
Clémentine, entrant brusquement à jardin. — Ouais, c’est ça, c’est les vacances ! Et comme d’hab, je m’ennuie grave ! Y a jamais grand-chose à faire ici… Bon, elle arrive quand, mémé Momone, qu’on ait un peu d’animation ?
Maryse, ironiquement. — Mais bonsoir à toi aussi, ma petite fille chérie, et merci d’avoir enfin daigné sortir de ta chambre ! Tu as la chance de vivre à moins de 500 mètres de l’océan Atlantique et tu te plains ? Si tu t’ennuies tant à la maison, rien ne t’empêche de sortir de ta chambre et d’aller à la plage.
Clémentine. — Ouais, c’est ça, on lui dira… Alors, elle est bientôt là, mémé Momone ?
Louis, ironiquement. — Mais oui, ma petite Clémentine chérie ! Elle ne devrait plus tarder. (Une pause, se parlant à lui-même.) Et le moins que l’on puisse dire, c’est que mémé Momone ne sera pas perdue…
Clémentine va pour s’asseoir et manque de renverser l’urne funéraire qui se trouve au bord de la table de jardin.
Clémentine. — Oh ! et cette urne ! On va finir par renverser pépé, à force de le poser n’importe où !
Maryse. — Tu sais bien que conserver son urne parmi nous c’est ma façon à moi de continuer à partager de bons moments avec lui…
Clémentine. — Si au moins ça faisait plaisir à mémé…
Maryse. — Mais ça lui fait plaisir ! Simplement elle le dit avec ses mots à elle…
Scène 2 : les mêmes, Simone, Philippe.
Simone, entrant par la porte du fond. — Ouf ! J’ai bien cru que je n’arriverais jamais ! (Apercevant l’urne funéraire de son mari posée sur la table de jardin.) Mais ce n’est pas vrai que tu as ressorti cette urne, Maryse, elle va encore me couper l’appétit ! (À Louis, en désignant l’urne.) Enfin, mon petit Louis, si vous manquez de braise pour votre barbecue, vous pourrez toujours vous servir !
Maryse, choquée. — Maman ! (Elles s’embrassent tout de même.)
Clémentine. — T’as raison, ça a vraiment l’air de lui faire plaisir ! (Elle se précipite dans les bras de sa grand-mère.) Mémé Momone !
Simone, heureuse de la voir. — Ma petite chérie ! (Se tournant vers Louis et le saluant froidement à distance.) Louis…
Louis, tout aussi froidement. — Simone…
Simone, à Louis. — Je suppose que vous avez prévu un barbecue, comme d’habitude ? (À Maryse.) Et toi, dis-moi, d’où sors-tu cette robe ? Tu as fait une descente dans une bourse aux vêtements ou bien tu l’as dégotée dans un vide-grenier ? Ah non ! Laisse-moi deviner : tu l’as trouvée sur le crassier… (Elle rit avec sa petite-fille.)
Maryse. — Je te remercie, maman… Décidément, c’est toujours aussi agréable de t’inviter à dîner.
Simone. — Oh ! mais c’est pour toi, ma chérie !
Maryse, à Louis. — Qu’est-ce que je te disais ! Inutile de se mettre martel en tête, rien ne lui ira…
Louis. — Avez-vous fait bon voyage, au moins, Simone ?
Simone. — Bon voyage, bon voyage… Vous parlez d’un voyage ! J’habite à six kilomètres !
Maryse. — Ce que Louis te demande, maman, c’est si son frère a été d’une compagnie agréable pendant qu’il te conduisait. Tiens, d’ailleurs, où est-il, Philippe ?
Simone. — Il rentre la voiture dans votre garage. Enfin s’il arrive à la faire passer dans l’encadrement de la porte sans l’accrocher ni d’un côté ni de l’autre… Et s’il a pensé à ouvrir le portail ce sera déjà beau ! Non mais ce garçon est un véritable danger au volant !
Louis. — Simone, mon frère a tout de même eu la gentillesse de venir vous chercher même si, je vous le concède, il n’est peut-être pas vraiment en route pour le Nobel…
Simone. — « Pas vraiment en route pour le Nobel », c’est un euphémisme. Mais vous savez, Louis, les Français ont en moyenne 1,8 enfant. Le cas de votre jumeau s’explique donc scientifiquement. Vous, vous êtes le 1 et votre frère le 0,8 !
Louis, à lui-même. — Mieux vaut voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide… (À Simone.) Je vous remercie, Simone, de me considérer comme le 1, ce n’est déjà pas si mal pour un début de soirée… Bon, je vais à la cuisine. Je vais prendre l’air… à l’intérieur ! (Il sort à cour.)
Simone. — Dis-moi, ma chérie, Louis semble de bien mauvaise humeur…
Maryse. — Il faut dire que tu démarres fort ! Il sait très bien à quoi s’en tenir avec son frère Philippe, mais tu attaques tout de même sa famille.
Simone. — Si on ne peut plus rien dire !
Clémentine. — T’inquiète pas, ma petite mémé ! Ils n’ont aucun humour, ici !
Le téléphone sonne.
Maryse. — Louis, téléphone ! (Le téléphone sonne encore.) Téléphone !
Louis, voix off. — J’y vais, j’y vais ! Deux secondes, j’avais les doigts dans les saucisses et les ventrèches… Je m’en occupe, je réponds !
Maryse, à Simone. — Bon, à part ça, comment vas-tu ?
Simone. — Alors là, tout va bien, ma chérie ! J’ai fait la rencontre… (Se ravisant, elle saisit l’urne de son mari posée sur la table et la place dessous.) J’ai fait la rencontre d’un sympathique monsieur qui vient d’emménager à deux pas de chez moi.
Maryse, choquée. — Mais maman !…
Simone. — Oh ! inutile de prendre des airs de vierge constipée, ma petite Maryse ! Ce n’est pas pour la bagatelle mais tout simplement pour son argent.
Maryse. — Mais c’est encore pire !
Simone. — Comment ça, encore pire ? Au contraire, je ne trahis pas ton père mais je me fais régulièrement inviter au restaurant et offrir quelques bijoux.
Clémentine. — Et il est bel homme ?
Simone. — Sans plus… Mais l’essentiel c’est d’avoir les avantages sans les inconvénients. D’autant que ton père, côté cadeaux… À part une rose quand nous nous disputions, rien d’autre ! Une fois, il m’avait d’ailleurs tellement agacée en débarquant avec sa rose à la main, que je lui avais envoyé mon gros réveil bleu à la tête. Et puis j’ai terriblement regretté… (Marquant une pause.) C’est vrai, je l’aimais bien ce réveil…
Maryse, scandalisée. — Maman ! (Elle se baisse sous la table et ramasse l’urne.) Viens là, papa ! N’écoute pas ! (Elle serre l’urne dans ses bras avant de la déposer à nouveau sur la table mais plus loin.)
Clémentine. — Mémé, t’es géniale ! Heureusement que tu es arrivée, au moins on s’amuse !
Philippe Depierre entre.
Simone. — Tiens, voilà le Nobel !
Philippe. — Nobel ?… Eh ben non, Simone ! C’est moi, Philippe. Philippe Depierre, le frère jumeau de Louis ! (À Maryse.) Elle ne perdrait pas un peu la tête, ta maman ?… (À Simone.) Je ne suis pas de la famille de Chantal Nobel, Simone ! Mais moi aussi j’aimais bien Châteauvallon. Oh ! Pauvre mémé Momone…
Simone. — Châteauvallon… Il ne s’imagine tout de même pas que je perds la boule ?
Maryse. — Il faut dire qu’à force d’essayer de le faire tourner en bourrique… Tu sais qu’il est quand même un peu démuni…
Simone. — Démuni ? Non, ma chérie, il est con.
Philippe. — En tout cas, Simone, on s’est bien amusés tous les deux en voiture !
Simone. — Mais bien sûr qu’on s’est amusés, Philippe ! (Se tournant vers Maryse.) Quand je te le disais…
Maryse. — Il a encore fait son jeu de passer au rouge et de s’arrêter au vert, c’est ça ?
Simone. — Devine…
Philippe. — Bon, ben je vais aller porter vos bagages dans votre chambre, Simone.
Clémentine. — Tes bagages ? Tu dors ici, mémé ?
Simone. — Mais bien sûr, ma petite chérie ! Je tiens à profiter de toi le plus longtemps possible ! Je ne rentrerai donc que demain matin. Et puis tu ne crois quand même pas que je vais prendre le risque de dormir seule après avoir ingurgité les grillades carbonisées de ton père ?
Maryse. — Nous n’avions pas franchement prévu, mais tu es toujours la bienvenue, ma chère maman. Philippe n’a qu’à déposer tes affaires sur le lit de la mezzanine.
Philippe sort par la porte du fond avec les bagages de Simone.
Scène 3 : Maryse, Clémentine,
Simone, Louis.
Simone, ironique. — J’étais certaine d’être bien accueillie… Bon, tu pourrais peut-être servir l’apéritif ?
Maryse. — Avec plaisir, maman. (Elle entre dans le salon par la porte du fond.)
Simone. — Alors dis-moi, ma chérie, comment vas-tu ?
Clémentine. — Ben je trouve le temps un peu long… On ne sort jamais de la maison, on ne fait pas grand-chose avec papa et maman.
Simone. — Mais il faut provoquer un peu les événements, sortir, t’aérer ! Moi, à ton âge…
Clémentine, l’interrompant. — Je sais, tu profitais de la vie. Mais ici, à part entendre papa parler des derniers matchs de la semaine et voir maman bouquiner ses magazines, il n’y a pas vraiment de quoi profiter de la vie…
Simone. — C’est bien pour ça qu’il faut saisir chaque occasion de s’amuser !
Maryse, entrant avec les apéritifs sur un plateau. — Voici de quoi nous rafraîchir un peu. Alors, maman, qu’as-tu fait de beau cette semaine ?
Simone. — Je suis allée au marché nocturne de Mézos.
Maryse. — Toute seule ?
Simone. — Non, avec les copines : Renée, Danièle et Michelle !
Clémentine. — Et c’était sympa ?
Simone. — Très ! (Une pause.) Mais dis-moi, nous n’avons pas revu Louis depuis le coup de fil de tout à l’heure… C’est bien long… Tu ne trouves pas ça bizarre ? Qui était-ce, au téléphone ?
Maryse. — Je ne sais pas, Louis a pris l’appel dans la cuisine. Je crois qu’il est toujours en ligne.
Louis, entrant par la porte de la cuisine. — C’était Chloé au téléphone.
Maryse. — Chloé, notre fille aînée ?
Louis. — Ben oui ! Tu connais une autre Chloé, toi ?
Maryse. — Il ne lui est rien arrivé, au moins ?
Louis. — Non, c’est pire ! C’est elle qui arrive… Elle vient de me demander si elle pouvait venir dîner accompagnée de son fiancé et de ses futurs beaux-parents !
Maryse. — Et que lui as-tu répondu ?
Louis. — Que voulais-tu que je lui réponde ? « Oui, bien sûr, venez donc dîner ce soir. »
Clémentine. — C’est cool ! On va faire leur connaissance !
Maryse. — Mais nous n’aurons jamais assez à manger pour tout le monde !
Louis. — Si c’était là le seul problème… Vous savez toutes que Chloé a rencontré son fiancé, Marin Blancard, à l’école de commerce où elle étudie ?
Toutes. — Oui.
Louis. — Eh bien, elle a jugé utile de s’accommoder de quelques arrangements avec la réalité pour que sa famille paraisse plus « école de commerce compatible »…
Simone. — C’est-à-dire ?
Louis. — D’après Chloé, les parents de Marin sont assez collet monté. Elle s’est donc inventé la famille idéale à leurs yeux.
Maryse. — Mais je ne comprends rien à ce que tu racontes, Louis ! Chloé aurait menti sur nous, c’est ça ?
Louis. — C’est bien ça ! Et maintenant elle est empêtrée dans ses mensonges et nous demande de jouer le jeu le temps d’une soirée.
Maryse. — Mais qu’a-t-elle inventé, diable !
Louis. — Toi, ma chérie, tu n’es pas secrétaire mais avocate d’affaires. Mon frère Philippe est un médecin réputé. Ça va le changer du RSA ! Quant à moi, je ne suis plus journaliste sportif au journal Sud Ouest mais traducteur-interprète.
Simone. — Et moi ?
Louis. — Eh bien vous, Simone, vous restez la même : une emmerdeuse !
Simone. — Mais c’est que monsieur commencerait à se rebeller !
Maryse. — Maman, je crois que ce n’est pas le moment…
Clémentine. — Et moi ?
Louis. — Toi ? Comme ta grand-mère ! (Un temps.) Non, plus sérieusement, je crois que Chloé n’a pas jugé bon de déformer vos existences…
Simone. — Évidemment, quand il n’y a rien à redire, il n’y a rien à inventer !
Clémentine. — Et toc !
Maryse. — Je n’arrive pas à y croire… Chloé, ma grande Chloé, a honte de nous au point de mentir sur sa famille !
Simone. — Ah ! excuse-moi, ma chérie, elle n’a pas honte de tout le monde puisqu’elle n’a pas menti sur tout le monde !
Maryse. — Oui, bon, au lieu de nous disputer, il va surtout falloir nous organiser. Commençons par décongeler un rôti ! Et pour les inventions de Chloé, après tout, nous pouvons bien jouer le jeu pour elle… Ensuite, en revanche, elle devra s’expliquer, mais nous pouvons jouer la comédie le temps d’une soirée… (Tous ronchonnent et marmonnent dans leur coin.) Allez, juste le temps d’une soirée…
Tous. — D’accord.
Clémentine. — Finalement, ça peut peut-être même être amusant ! Qu’est-ce que t’en dis, mémé Momone ? On saisit l’occasion de s’amuser ?
Simone. — On saisit l’occasion !
Maryse. — Mais ce que je ne comprends pas, c’est que Chloé conduise ici Marin et ses parents si elle a raconté toutes ces histoires sur nous…
Louis. — Comme tu le sais, Chloé passait quelques jours de vacances à Biarritz en compagnie de Marin. Les parents de celui-ci, qui remontaient d’un séjour à Bilbao en direction de Paris, ont décidé de s’arrêter les voir et, comme ils savaient qu’en poursuivant leur chemin ils passeraient près de chez nous, ils se sont invités à la maison. Chloé s’est retrouvée coincée et a dû nous appeler et nous avouer ses mensonges.
Simone. — Ne vous inquiétez pas, on va vous les dérider, nous, les Blancard !
Louis. — Chloé m’a plutôt demandé d’éviter d’aborder les sujets qui fâchent : on ne parle pas trop société, ni mœurs, ni politique, ni sport.
Maryse. — Ben ça va être commode… Mais on va parler de quoi, alors ?
Louis. — Je ne sais pas, mais il faut absolument appeler Elvira et Marisol, qui devaient passer dans la soirée, pour leur dire de ne pas venir.
Simone. — Elvira et Marisol, vos voisines ?
Maryse. — Et nos amies, surtout !
Louis. — Oui mais étant donné que ces deux-là sont quand même plus proches des Femen que des Petites Sœurs des Pauvres, il vaut peut-être mieux éviter que les Blancard ne les rencontrent…
Clémentine. — Oui, l’association risquerait d’être explosive !
Louis et Maryse. — On les appelle !
Maryse. — Bon, mais avant ça, soyons méthodiques. Dans combien de temps seront-ils là ?
Louis. — Deux heures.
Maryse. — Bon, maman et Clémentine, vous mettez la table. Et on leur en met plein la vue ! Louis, tu expliques très lentement la situation à ton frère, qu’il en comprenne bien tous les détails et surtout qu’il parle le moins possible. Quant à moi, je me charge du repas… (Elle s’apprête à partir vers la cuisine puis fait demi-tour.) et de papa. (Elle se saisit de l’urne.)
Noir
Scène 4 : Maryse, Philippe, Simone,
Louis, Clémentine.
La lumière revient. La table de jardin est recouverte d’une nappe élégante et les couverts sont disposés. On trouve des chandeliers argentés, quelques roses et de la verdure sauvage dans des vases.
Maryse, entrant en scène quelques secondes après le retour de la lumière. — Bien, je vois que maman et Clémentine n’ont pas lésiné ! Voyons, la nappe, les couverts, les chandeliers… Oh ! j’ai pourtant l’impression d’oublier quelque chose… (Réagissant soudainement.) Ah oui ! Bien sûr ! (Elle sort en courant par la porte du fond pour rejoindre le salon et en revient immédiatement avec l’urne dans les bras.) Papa ! (Elle place l’urne au centre de la table et inspecte une dernière fois le tout.) Et ces fleurs, d’où les ont-elles sorties ?… Bon, peu importe, elles font leur petit effet ! Il faudrait en revanche ajuster très légèrement la nappe… (Elle saisit l’urne de son père, la place au sol entre la porte côté cour et la table, le temps d’ajuster la nappe.) Voilà, c’est bien mieux comme ça.
Philippe, arrivant de la cuisine avec une casserole à la main. — Louis m’a dit de préparer les pâtes. C’est fait. Où est-ce que je les mets ? (Il fait un pas en avant, butte dans l’urne qui était au sol et renverse les pâtes par terre.)
Maryse. — Oh non ! Mais ce n’est pas vrai ! On a déjà qu’un rôti décongelé et des pâtes à leur offrir, alors si en plus tu échappes tout, mon pauvre Philippe…
Philippe, désignant l’urne. — Ben c’est ton père, là, aussi !
Maryse. — Bon, il n’y a pas trente-six solutions. Aux grands maux les grands remèdes ! On n’a qu’un sachet de spaghettis, on ne peut pas se permettre de le perdre… On ramasse, on ne dit rien à personne et on les sert quand même.
Maryse replace l’urne de son père sur la table. Tous les deux récupèrent les spaghettis et en remettent un maximum dans la casserole.
Philippe. — Tu crois que personne ne va s’en apercevoir ?
Maryse. — Si on ne dit rien, il n’y a aucune raison. Allez, file remettre tout ça en cuisine ! (Philippe sort à cour.) Bon, premier problème réglé. Maintenant, petite touche finale : il faudrait trouver une musique d’ambiance… Comme ça, si l’atmosphère devient un peu lourde et qu’on ne trouve plus rien à se dire, la musique comblera le vide. (Elle sort par la porte du fond, puis revient avec un lecteur CD et quelques CD.) Voyons voir ce que l’on a… (Elle regarde les CD.) Alors, quelque chose qui puisse coller avec les invités… puisqu’ils sont assez collet monté, paraît-il, les Blancard ! Voire un peu réacs… Celui-ci, peut-être ? Qu’est-ce que c’est ? Il n’y a pas de titre sur la pochette ? (Elle met le CD et allume le lecteur. Résonne alors le refrain de L’Internationale en version instrumentale.) Non, ça, définitivement non. Quelque chose de...