Une nuit d’été en rase campagne.
Un monticule surplombe une voie ferrée que l’on devine en contrebas.
Une vieille caravane, une remorque, l’arrière d’un camion. Une table, trois tabourets.
Trois assiettes vides sont posées sur la table.
Eddie est assis sur le monticule, face à la voie ferrée. Jackie est à table.
Jackie
Qu’est-ce qu’il fait Nono ? Il a pas l’heure ou quoi ? T’as vu l’heure qu’il est ? C’est quand même pas une heure à traîner. J’ai faim, moi. Qu’est-ce qu’il est encore allé traîner ? À cette heure franchement ! Quelle heure il est ? Eddie, quelle heure il est ?
Eddie ! Eddie !
Eddie
Quoi ?
Jackie
Quelle heure il est ?
On entend un train au loin. Le bruit se rapproche. Le train passe. Eddie regarde attentivement. Le bruit s’éloigne. Silence.
Jackie
Alors ?
Eddie
Neuf.
Jackie
Neuf quoi ? C’est pas une heure, neuf !
Eddie
Je dis pas l’heure. Je dis neuf. Neuf wagons.
Il prend un carnet dans sa poche.
Jackie
Alors ?
Eddie
Neuf.
Jackie
Oh, pas les wagons, l’heure !
Eddie, regardant sa montre.
Vingt et une heure cinquante-deux. (Il note dans son carnet.) Vingt et une heure cinquante-deux. Neuf wagons. Marchandises.
Un temps.
Jackie
T’as pas faim ?
Eddie
Faut oser.
Jackie
Hein ?
Eddie
Faut oser, neuf.
Jackie
T’as pas faim Eddie ?
Eddie
C’est fort.
Jackie
Combien il y en avait à celui d’avant ?
Eddie
Douze.
Jackie
C’est bien aussi douze, hein ? T’as pas faim ? Qu’est-ce qu’il fout Nono ? J’ai faim, moi à la fin !
Eddie
C’est mieux que pas mal douze.
Jackie
Oui. C’est bien.
Eddie
Faut oser douze.
Jackie
Allez, à table, merde !
Eddie
Mais là, neuf, c’est moins fort.
Jackie
À table !
Jackie va dans la remorque. Eddie vient s’asseoir à table.
Jackie, off.
Allez, à table !
Eddie, pour lui-même.
J’y suis.
Jackie, apportant la casserole fumante.
C’est des raviolis. (Elle le sert.) Et l’autre jour ? Tu te souviens l’autre jour ? C’était combien ? Hein ? C’était combien ? Eddie !
Eddie
Quoi ?
Jackie
C’était combien le jour du record ? C’était pas vingt-deux ? Hein ? Je crois bien que c’était vingt-deux. Eddie !
Eddie
Quoi ?
Jackie
C’était pas vingt-deux ?
Eddie, mangeant.
Affirmatif.
Jackie
Vingt-deux. C’est ça. Vingt-deux.
Eddie, toujours en mangeant.
Excellent !
Jackie
Tant mieux.
Eddie
Très fort.
Jackie
J’y ai rien mis.
Eddie
Hein ?
Jackie
J’y ai rien mis, ils sont natures.
Eddie
Quoi ?
Jackie
Tu me dis que c’est très fort et moi je te dis que j’y ai rien mis.
Eddie
Rien mis dans quoi ?
Jackie
Dans mes raviolis.
Eddie, commençant à s’énerver.
Mais je te parle pas des raviolis bordel !
Jackie
Eh oh, calme-toi, hein !
Eddie
Les wagons ! Les vingt-deux wagons !
Jackie
Eh ben quoi les wagons ?
Eddie, gueulant.
Je te dis que c’est très fort vingt-deux wagons !
Jackie
Eddie ! Stop ! Contrôle ! (Eddie respire un grand coup. Il se calme.) Voilà. Vingt-deux wagons, c’est très fort et puis c’est tout. (Un temps.) Qu’est-ce qu’il fout ? Hein ? Eddie ! Eddie !
Eddie
Quoi ?
Jackie
Où il est Nono ?
Eddie
Au bistrot.
Jackie
Eh ben… Si il est au bistrot… Il est pas près de rentrer. Quatorze kilomètres à pied en sortant du bistrot…
Eddie
Ça fait plus long.
Jackie
Non. Quatorze kilomètres. Pile quatorze. On a compté l’autre jour.
Eddie
Ça fait plus long.
Jackie
Comment ça, ça fait plus long ?
Eddie
À cause de la ligne. Quand tu tiens pas la ligne droite, ça rallonge.
Jackie
C’est vrai, ça, j’aurais pas pensé.
Eddie
Faut multiplier par deux.
Jackie
Par deux ?
Eddie
Minimum.
Jackie
J’aurais pas pensé.
On entend un train au loin. Eddie regarde sa montre. Il se lève et va en haut du monticule. Le train s’éloigne.
Jackie
Alors ?
Eddie
Rien.
Jackie
Quoi rien ? C’est pas rien qu’est passé. Je suis pas Jeanne d’Arc, j’ai bien entendu un train. Dis-moi combien.
Eddie
Rien.
Jackie
Allez, tant pis, dis-le moi. Même si c’était rien.
Eddie. Combien ?
Eddie
Quatre.
Jackie
Ah ben merde alors. (Eddie note sur son carnet.) Tu le notes ? T’es sûr que ça vaut la peine ? C’est pas
valable quatre. Pourquoi tu notes celui-là ?
Eddie
Parce que.
Jackie
Ça sert à rien.
Eddie, haussant le ton.
Je préfère !
Jackie
Bon bon, ça va. Tu le notes et puis voilà. (Un temps.) Enfin, bon, quatre wagons, c’est vraiment rien du tout.
Eddie, gueulant.
C’est pas rien ! Je note !
Jackie
Eddie ! Stop ! Contrôle !
Eddie
Parce qu’il y a aucun manuel où elles sont marquées les heures d’ici !
Jackie
D’accord. Calme.
Eddie
Ils s’en foutent, eux, d’ici. C’est pas une gare, c’est rien, c’est nulle part pour eux. Et moi, si je note les heures des passages à l’endroit précis où on est, c’est parce que ces heures-là, elles sont à nous. C’est nos heures ! Alors je note tout ! Tout ! Même quatre
wagons, je m’en fous, je les note !
Jackie
D’accord. C’est bien. Mais c’est pas la peine de s’énerver pour ça mon Eddie. Mange maintenant.
Eddie mange et regarde aussitôt sa montre. Il se lève et va au monticule.
Jackie
Où tu vas ?
Eddie
Regarder.
Jackie
Regarder quoi ? Y a rien qui passe. T’as entendu quelque chose ? (Un temps.) Attends au moins qu’il passe quelque chose pour regarder. Eddie, viens manger.
Eddie
J’attends le train de nuit.
Jackie
Le train de nuit ? Déjà ? Quelle heure il est ? C’est quand même pas déjà l’heure du train de nuit. Hein ? Eddie ! Quelle heure il est ?
Eddie
L’heure du train de nuit.
Jackie
Eh ben moi j’entends rien. (Un temps.) T’es sûr que c’est la bonne heure ?
Eddie
Sûr.
Jackie
Alors il va passer. Je vois pas pourquoi il passerait pas aujourd’hui. Il passe tous les jours. Tu t’inquiètes pour rien.
Eddie
Je m’inquiète pas.
On entend un train au loin.
Jackie
Tiens. C’est pas ça ? Hein ? Qu’est-ce que j’entends là ?
Le bruit se rapproche.
Jackie
Tu vois, c’était pas la peine de s’inquiéter.
Eddie
Je m’inquiète pas.
On entend le train ralentir.
Jackie
J’avais raison, je savais bien qu’il passerait. Tu t’inquiètes vraiment pour rien.
Eddie
Je m’inquiète pas bordel !
Long crissement de frein.
Jackie
Qu’est-ce qu’il fait ? Il s’arrête ?
Le train s’arrête. Silence.
Jackie
Il s’est arrêté ! (Elle va le rejoindre.) Ça alors ! Ben merde ! Pile à notre endroit ! J’en reviens pas. Il s’est arrêté pile à notre endroit. (Un temps.) Pourquoi il s’est arrêté là ? C’est bizarre quand même.
Eddie
Tais-toi.
Un temps.
Jackie
On le voit bien quand il est arrêté. Hein ?
Eddie
Tais-toi.
Jackie
Pourquoi tais-toi ?
Eddie
Ça me déconcentre. (Un temps.) C’est à cause du feu rouge.
Jackie
Ah ben ça alors ! Eddie, il est rouge.
Eddie
C’est ce que je dis.
Jackie
Je l’avais jamais vu rouge celui-là. Eddie.
Eddie
Quoi ?
Jackie
C’est la première fois qu’il y a un train qui s’arrête.
Eddie
C’est normal.
Jackie
Tu trouves ça normal, toi ?
Eddie
Oui, c’est normal. Quand c’est rouge on s’arrête.
Jackie
Ben oui je sais bien.
Eddie
Quand c’est vert on passe et quand c’est rouge on s’arrête.
Jackie
Eh oui, c’est tout. Et là, là…
Eddie
Il est rouge.
Jackie
Voilà. C’est pas compliqué.
Silence. Eddie contemple.
Jackie
Il bouge pas l’animal, hein.
Eddie
Et dedans ça bouge pas non plus.
Jackie
Tu crois qu’ils dorment déjà ? À cette heure ? Il est encore bonne heure. Hein ? Eh Eddie.
Eddie
Quoi ?
Jackie
Quelle heure il est ?
Eddie
Mais bordel ! Tu vas pas me demander l’heure toutes les cinq minutes ! Merde !
Jackie
Eh oh, ça va, hein, je te demande l’heure et puis c’est tout. Pas la peine de te monter tout seul ! Respire. (Eddie respire.) Quelle heure ?
Eddie
Vingt-deux heures deux.
Jackie
Voilà. C’est pas compliqué. Vingt-deux heures deux et puis c’est tout.
Un temps. Ils regardent.
Jackie
Eh, Eddie. Eddie !
Eddie
Quoi ?
Jackie
Ils bronchent pas les clients, hein.
Eddie
Oui.
Jackie
Tu sais à quoi je pense ?
Eddie
Non.
Jackie
Ils veulent pas descendre de manège.
Eddie
Peut-être.
Jackie
Le tour est pas terminé.
Eddie
Peut-être.
Jackie
Ils en veulent pour leur argent.
Eddie
Sûr.
Jackie
Et puis pourquoi ils descendraient. Hein ? Qu’est-ce que tu veux qu’ils descendent ici ? Ici, c’est nulle part pour eux.
Eddie
Affirmatif.
Jackie, mettant ses mains en porte-voix.
Attention les petits ! Attention les grands ! Attention les grands et les petits, on reste à sa place !
Eddie
Tais-toi, merde !
Jackie
Quoi ! Je rigole ! (Elle recommence.) Attention les enfants ! Ça va repartir dès que ça sera vert !
Eddie
Tais-toi.
Jackie, regardant en contrebas.
Qu’est-ce qu’il fait celui-là ? Pourquoi il descend ?
Eddie
Tais-toi.
Jackie
C’est le contrôleur ?
Eddie
Non, c’est pas le contrôleur.
Jackie
Pourquoi il est descendu sur la voie le type ?
Eddie
C’est une fille.
Jackie
C’est bizarre qu’il descende comme ça.
Eddie
C’est une fille.
Jackie
Tu crois pas que c’est le contrôleur ?
Eddie
Non c’est une fille.
Jackie
Oh ben merde alors, il se met à courir.
Eddie
C’est une fille.
Jackie
Il vient vers nous Eddie.
Eddie
C’est une fille je te dis !
Hélène apparaît, essoufflée.
Hélène
Excusez-moi, il y a une route par là ?
Aboiements d’un chien.
Eddie, gueulant à Jackie.
C’est quoi ça ? Hein ? C’est quoi ?
Jackie
C’est une fille.
Eddie
Alors ! Je te dis que c’est une fille !
Jackie
Oui ben je vois bien.
Eddie
Merde alors !
Jackie
Ça va ! Contrôle !
Hélène
Je suis désolée de vous déranger. Vous pourriez me dire s’il y a une route ?
Aboiements du chien.
Eddie
Couchée !
Hélène
Pardon ?
Eddie
Couchée bordel !
Hélène
Quoi ?
Les aboiements cessent.
Jackie, à Hélène.
Il parle à la chienne.
Hélène, souriant à Jackie.
Ah d’accord.
Jackie
La route, c’est derrière après le chemin.
Hélène
Elle va en ville ?
Jackie
À gauche après le chemin.
Hélène
Merci.
Jackie
Y a pas de mal.
Hélène sort. Aboiements du chien.
Jackie
Qu’est-ce qu’elle fabrique celle-là ? Elle aime pas les manèges ?
Eddie
Je m’en fous.
Jackie
En tout cas, c’est une fille.
Eddie
C’est ce que je dis.
Hélène revient.
Hélène
Il est à vous le chien ?
Eddie
La chienne.
Hélène
Ah pardon.
Eddie
C’est une fille.
Jackie
Oui ben ça va, on le saura.
Eddie
La chienne, c’est une fille !
Hélène
Elle est à vous ?
Jackie
Elle vous fera rien.
Hélène
C’est loin d’ici la ville ?
Aboiements de la chienne.
Eddie
Ta gueule !
Hélène
Hein ?
Eddie
Dragonne !
Hélène
Pardon ?
Les aboiements cessent.
Jackie
Il parle à la chienne. Dragonne.
Hélène
Ah d’accord. C’est loin la ville ?
Jackie
Quatorze kilomètres.
Hélène
Tant que ça ?
Jackie
Deux heures.
Eddie
Minimum.
Hélène
Ah oui quand même. (Un temps.) Ça vous ennuierait de m’emmener ?
Jackie
Où ça ?
Hélène
En ville.
Jackie
Comment tu veux qu’on t’emmène ?
Hélène
Avec votre camion, là.
Eddie
Non.
Hélène
Pourquoi ?
Jackie
Il est en panne.
Hélène
Vous êtes sûre ?
Jackie
Sûre et certaine.
Hélène
Ça serait vraiment sympa de m’emmener.
Jackie
Pas possible.
Hélène
Vraiment ?
Jackie
Il est en panne.
Hélène
S’il vous plaît.
Jackie
Il est en panne.
Hélène
Si vous voulez pas m’emmener, vous pouvez me le dire franchement.
Eddie
Il est en panne ! T’es sourde ?
Jackie
Nono il est parti chercher la pièce en ville. Nono c’est mon beau-frère et lui, c’est Eddie, c’est mon mari.
Eddie
Ça la regarde pas.
Jackie
Et moi, c’est Jackie.
Eddie
Ça la regarde pas.
Hélène, à Eddie.
Je suis désolée pour votre camion.
Eddie, toujours le regard vers le train arrêté.
Il bouge pas d’un poil.
Hélène
C’est normal s’il est en panne.
Eddie
Pas le camion ! Le train !
Hélène
Ah d’accord.
Jackie
Pourquoi t’es descendue ?
Hélène
Vous ne pouvez pas m’emmener, alors ?
Eddie
Réponds. Pourquoi t’es descendue ?
Hélène
Ça serait un peu long à vous expliquer. Deux heures vous dites ?
Jackie
Facile deux heures, oui.
Eddie
Minimum.
Hélène
Je vais faire du stop.
Jackie
Alors là, bonne chance. Tu trouveras pas de voiture ici. En plus qu’il fait nuit.
Hélène
Oui, il fait nuit.
Jackie
Oui. Nuit noire.
Hélène
Oui.
Jackie
Oui.
Hélène
Vous auriez une lampe de poche ?
Eddie
Non.
Jackie, à Eddie.
Ben si, on en a une.
Eddie
C’est ce que je dis. On n’en a pas puisqu’on n’en a qu’une.
Hélène
Qu’est-ce que je vais faire ? Peut-être que je pourrais rester ici pour cette nuit ?
Jackie
Eddie !
Eddie
Quoi ?
Jackie
T’as entendu ?
Eddie
Quoi ?
Jackie
Elle veut coucher ici.
Eddie
Négatif.
Jackie, à Hélène.
On n’a pas la place.
Hélène
Ah.
Jackie
À moins que… Eddie !
Eddie
Quoi ?
Jackie
Elle pourrait coucher avec Nono.
Jackie et Eddie éclatent de rire.
Hélène
Non merci, je vais y aller.
Jackie, continuant à rire.
Ou bien avec moi.
Eddie
Négatif.
Jackie, riant.
Mais si ! Elle a qu’à coucher avec moi !
Hélène
Non non, ça va aller.
Jackie, riant toujours.
Allez hop ! Avec moi !
Hélène
Non, vraiment, merci.
Jackie, s’arrêtant brusquement de rire.
Quoi !
Hélène
Hein ?
Jackie
Je rigole.
Hélène
Oui oui, c’est marrant.
Jackie
Je rigole, d’accord !
Hélène
D’accord.
Jackie
Pour qui tu me prends ?
Hélène
Excusez-moi.
Jackie
Tu m’as bien regardée ?
Hélène
Oui oui, pardon.
Jackie
Alors ! On n’a plus le droit de rigoler !
Eddie, regardant toujours le train arrêté.
Y en a un autre qu’est descendu.
Hélène
Quoi ?
Eddie
Y a un type qu’est descendu.
Hélène, prise de panique.
C’est mon mari !
Eddie
Ah ben c’est pas trop tôt. Y a le feu qui vient de
repasser vert.
Hélène
Il est remonté ?
Eddie
Non.
Hélène
C’est mon mari !
Eddie
Ça y est, le train qui se barre.
Hélène
Il est remonté ?
Eddie
Non.
Hélène
Il est resté sur la voie ?
Eddie
Affirmatif.
Hélène
C’est mon mari.
Eddie
Et voilà. Il est tout seul le con.
Hélène
Cachez-moi, s’il vous plaît.
Jackie
Te cacher ? Pour quoi faire ?
Hélène
C’est mon mari ! Il faut pas qu’il me trouve.
Eddie
Il regarde vers nous le con.
Hélène, à Jackie.
S’il vous plaît.
Eddie
Il monte.
Hélène
Éteignez !
Eddie
Trop tard.
Jackie, à Hélène.
Allez, viens dans la caravane.
Hélène et Jackie entrent dans la caravane. Olivier apparaît.
Olivier, affolé.
Bonsoir monsieur. Excusez-moi mais il faut que je téléphone. Vous pouvez me dire où il y a un téléphone ?
Eddie
Nulle part.
Olivier
Je suis descendu du train.
Eddie
J’ai vu.
Olivier
Et il est reparti sans moi.
Eddie
J’ai vu.
Olivier
Vous avez peut-être un portable.
Eddie
Non.
Olivier
Je suis descendu du train et il est reparti sans moi.
Eddie
J’ai vu.
Olivier
Il est reparti.
Eddie
J’ai vu.
Olivier, au bord des larmes.
Pourquoi je suis descendu ?
Aboiements de la chienne.
Eddie
Couchée !
Olivier
Pardon ?
Les aboiements cessent.
Olivier
Ah, c’est au chien que vous…?
Eddie
La chienne.
Olivier
Le train partait. Je faisais des signes à ma femme.
Eddie
Ta femme ?
Olivier
Oui.
Eddie
Tu faisais des signes à ta femme ?
Olivier
Oui.
Eddie
Elle est dans le train ta femme ?
Olivier
Oui.
Eddie
Tu me prends pour un con ?
Olivier
Ah non, c’est la pure vérité monsieur. Je lui faisais des signes pour qu’elle tire le signal d’alarme, et elle, elle me regardait, avec ses gros yeux tout ronds en
levant les bras au ciel. Je lui faisais le signe pour qu’elle tire mais elle ne comprenait rien. Elle me
regardait et moi je m’affolais et le train prenait de la vitesse.
Eddie
C’est ta femme, t’en es sûr ?
Olivier
Oui. C’était elle, avec ses yeux. Elle me regardait
totalement paniquée avec ses yeux. Quel âne, non mais quel âne ! Je suis descendu du train et il est
reparti sans moi.
Aboiements de la chienne.
Eddie
C’est bon !
Olivier
Il est reparti sans moi.
Aboiements de la chienne.
Eddie
Ça va, ça va.
Olivier
Qu’est-ce qui m’a pris de descendre, moi ! Qu’est-ce qui m’a pris !
Aboiements de la chienne.
Eddie, hurlant en défaisant sa ceinture.
Tu veux la ceinture, hein ? C’est ça que tu veux ?
Olivier
Hein ?
Eddie
Ta gueule !
Les aboiements cessent.
Olivier
Ah, c’est au chien que vous… ?
Eddie
La chienne.
Olivier
Oui, pardon, la chienne. Jamais je n’aurais dû descendre, jamais. J’ai voulu aller voir, je suis descendu et…
Eddie
Ça va, on a compris.
Olivier
Sans rien, comme ça. J’ai strictement rien sur moi. Et me voilà, là… là… comme… comme…
Eddie
Comme un con.
Olivier
Avec ma femme qui est restée à bord.
Eddie
Pourquoi t’es descendu ?
Olivier
Bêtement. Pour voir.
Eddie
Voir quoi ?
Olivier
Je ne sais pas.
Eddie
Y a rien à voir ici.
Olivier
Ce qui se passait sur la voie, pourquoi on était arrêté.
Eddie
Y avait qu’à attendre le vert.
Olivier
Je n’ai pas du tout réfléchi aux conséquences.
Eddie
Non.
Olivier
Il faudrait… je ne sais pas… Il faudrait… Vous pourriez m’emmener en ville ?
Eddie
Non.
Olivier
S’il vous plaît.
Eddie
Non.
Olivier
Et le camion, là ?
Eddie
Non.
Olivier
Mais je peux payer.
Eddie
Non.
Olivier
Si. Si, je vous assure que si.
Eddie
Avec quoi ?
Olivier
Avec de l’argent évidemment.
Eddie, la main tendue.
Vas-y. Donne.
Olivier
C’est-à-dire que je suis descendu comme ça, sans veste, mais j’ai les moyens, sans problème.
Eddie, la main toujours tendue.
Donne.
Olivier
Disons que là, actuellement, je n’ai rien sur moi, en revanche dans ma sacoche…
Eddie
Elle est où ta sacoche ?
Olivier
Dans le train.
Eddie
Fallait pas descendre.
Olivier
Quel âne ! Quel âne !
Eddie
Faut jamais descendre. D’accord !
Olivier
Et si je vous poste un chèque ?
Eddie
Non.
Olivier
Un mandat.
Eddie
Non.
Olivier
Ou bien vous me laissez un RIB.
Eddie
Un quoi ?
Olivier
Un RIB. Un relevé d’identité bancaire. Vous en avez un à la fin de votre chéquier.
Eddie
Ah ouais ?
Olivier
Vous me laissez un RIB et je vous fais un virement.
Eddie
N’importe quoi.
Olivier
Je vous en supplie, monsieur, il faut que je retrouve mon épouse, elle va s’inquiéter, elle ne va pas savoir quoi faire. Sans moi, elle est perdue, elle ne sait
absolument pas se débrouiller.
Eddie
Mais si.
Olivier
On voit bien que vous ne la connaissez pas. Elle est tellement innocente, elle ne sait pas du tout quoi faire dans une situation pareille. Elle est tellement… tellement…
Eddie
Gourde ?
Olivier
Pardon ?
Eddie
C’est une gourde, ta femme ?
Olivier
Non. Non, je ne pense pas. Non, pas gourde. Empruntée, peut-être. Il y a une petite différence entre gourde et empruntée. Empruntée, si vous voulez, c’est… moins… moins… Non, gourde, c’est trop… trop… Il faut que je la rattrape. Emmenez-moi dans votre camion, s’il vous plaît.
Eddie
Pour rattraper le train ?
Olivier
Voilà. C’est ça. On fonce à la prochaine gare.
Eddie
On fonce ?
Olivier
Oui.
Eddie
On fonce avec mon camion ?
Olivier
Allez. C’est parti !
Olivier va vers le camion.
Eddie
Qu’est-ce que tu fais ?
Olivier, off.
Je monte dans le camion.
Eddie
Reviens ici.
Olivier, off.
Mais non ! Y a pas une seconde à perdre !
Eddie
Descends de là !
Olivier, off.
Non non, il faut y aller ! Mettez en route !
Eddie
Nom de Dieu, tu vas descendre de là, oui !
Eddie sort et ramène Olivier par le col.
Eddie
Tu touches pas à ce camion d’accord !
Olivier
Mais enfin, c’est ridicule.
Eddie, hurlant.
Il est en panne mon camion !
Jackie, passant la tête par la fenêtre de la caravane.
Eddie ! Contrôle !
Olivier
Il est en panne ?
Eddie
Et alors !
Olivier
Alors ça c’est la tuile.
Eddie
Qu’est-ce qu’ils ont tous après mon camion ! Merde à la fin !
Olivier
Bonsoir madame.
Jackie
Bonsoir.
Olivier
Je suis descendu du train et il est reparti sans moi.
Jackie
Ah ben ça c’est pas de pot.
Olivier
Il faut absolument que je regagne la ville la plus proche.
Jackie
Tu veux aller en ville ?
Olivier
C’est loin ?
Jackie
Penses-tu ! Dix minutes à tout casser.
Olivier
C’est par là ?
Jackie
À droite, tout droit, et à gauche après le chemin.
Olivier
Merci madame. Allez. Je file. Merci monsieur pour votre aide.
Eddie
Quoi mon aide ? Pourquoi il me dit ça ? Tu me cherches ou quoi ?
Olivier
Non non, pas du tout. Bonsoir.
Il sort.
Hélène, off, à Jackie.
C’est pas mon mari.
Jackie, à Hélène.
Hein ?
Hélène, off, à Jackie.
C’est pas mon mari.
Aboiements de la chienne. Olivier revient.
Olivier
Il y a le chien, là, qui…
Eddie
La chienne.
Olivier
Oui, pardon, la chienne.
Jackie
Elle te fera rien.
Eddie
Elle est attachée.
Olivier
Ah d’accord. Bien attachée ? Je veux dire, solidement ?
Eddie
On te dit qu’elle est attachée !
Jackie, à Olivier.
Eh ! Toi !
Olivier
Oui ?
Jackie, à Olivier.
Comment tu t’appelles ?
Olivier
Olivier. Olivier Francard.
Jackie, à Hélène.
Comment il s’appelle ton mari ?
Hélène, off, à Jackie.
Jean-Pierre.
Jackie, à Hélène.
Il s’appelle Olivier celui-là.
Hélène, off.
C’est pas lui.
Jackie, à Olivier.
C’est pas toi.
Olivier
C’est pas moi ?
Jackie
Non c’est pas toi.
Hélène apparaît.
Hélène, à Olivier.
Bonsoir.
Olivier
Bonsoir.
Hélène
Excusez-moi, je me suis trompée.
Olivier
Ah ?
Jackie
Elle t’a pris pour un autre.
Olivier
Ah ?
Jackie
Alors du coup, pour la ville, faut compter deux bonnes heures.
Eddie
Minimum.
Olivier
Mais… Vous m’avez dit dix minutes.
Jackie
Oui, mais c’est pas toi. Bonsoir.
Olivier
Deux heures ? Mince. Et il fait très noir. Très très noir.
Jackie
C’est normal, c’est la nuit.
Olivier, à Eddie.
C’est grave ce qu’il a votre camion ? Je pourrais peut-être vous donner un coup de main.
Jackie, à Olivier.
Il s’y connaît ?
Olivier
Qui ça ?
Jackie
Eh ben toi ! Pas le pape ! Tu t’y connais en camion ?
Olivier
C’est-à-dire, pas vraiment. Mais je suis de bonne volonté.
Eddie
Mercedes.
Olivier
Pardon ?
Eddie
C’est un Mercedes.
Olivier
Ah ?
Jackie
Tu t’y connais en Mercedes ?
Olivier
Euh… Non… Non.
Jackie
Un Mercedes de 63. Hein Eddie ?
Olivier
Ah oui, 63, c’est sûr que ça peut tomber en panne.
Jackie
Pourquoi ?
Olivier
Parce que, 63 ce n’est pas tout jeune.
Jackie
Comment ça ?
Olivier
C’est vieux 63.
Jackie
Non, c’est pas vieux.
Olivier
Si. Quand même. 63.
Jackie
C’est pas vieux 63. Hein Eddie c’est pas vieux ?
Eddie
Non.
Jackie
On l’a acheté en 82. Tu te souviens Eddie ? Quand j’ai su qu’il était de 63, ça m’a fait quelque chose.
Olivier
63 ! C’est bon pour le cimetière.
Jackie
C’est l’année de ma naissance.
Olivier
Hein ?
Jackie
C’est pas vieux.
Olivier
Ah mais non, c’est pas vieux du tout.
Jackie
Non, c’est pas vieux !
Olivier
Non non, pas du tout. 63, ça vous fait… disons… Ah oui, quand même. Mais non, non non, pas de problème.
Jackie
C’est pas vieux !
Olivier
Non non, pour vous, non. En revanche, pour un camion…
Jackie
Même. C’est pas vieux !
Olivier
Si, je regrette, pour un camion, c’est vieux.
Eddie
On te dit que c’est pas vieux !
Olivier
Non d’accord.
Jackie
Et puis c’est tout.
Olivier
Remarquez, vous me direz qu’une panne, ça peut arriver à n’importe qui. Même un camion neuf. Hein ? De nos jours. Ça ne se prévoit pas à tous les coups. Moi-même, j’ai eu récemment des problèmes avec ma…
Jackie
Bon. Va-t’en maintenant.
Olivier
Oui, vous avez raison. Je bavarde, je bavarde…
Jackie
Et tu vas te mettre en retard.
Olivier
Vous avez raison, tout ce temps qui passe… ça…
Jackie
Ça passe.
Olivier
Voilà. C’est par là ?
Jackie
À gauche après le chemin.
Olivier, après un temps.
Deux heures ?
Jackie
Deux heures.
Eddie
Minimum.
Olivier
Deux heures ! Où il sera mon train dans deux heures ?
Jackie
Est-ce que je sais, moi.
Olivier
Mais dites-moi, vous n’avez pas l’intention de le
réparer ce camion ?
Jackie
Si.
Olivier
Ah, voilà la solution.
Jackie
Oui mais c’est pas Eddie, c’est mon beau-frère qui répare.
Olivier
Ah. Et où il est ?
Jackie
Pas là.
Olivier
D’accord… D’accord. Et le bricoler ? Hein ? Vite fait ? Juste pour faire quelques kilomètres ?
Eddie
Non. C’est lui qui répare.
Olivier
Et… Quand est-ce qu’il sera là ?
Jackie
Va savoir. Il est parti chercher la pièce en ville.
Olivier
Mais il est déjà très tard. Les garages sont fermés.
Eddie
Il sait pas lire l’heure.
Jackie
Si, il sait la lire.
Eddie
Non.
Jackie
Si. L’autre jour, je lui ai demandé l’heure et il m’a dit l’heure.
Eddie
Alors ça, ça me ferait mal.
Jackie
Je te jure. Je lui ai demandé l’heure devant la pharmacie et il m’a dit l’heure impeccable.
Eddie
Ah d’accord. Devant la pharmacie.
Jackie
Oui. Il a vu 10, il a dit 10, et après il a vu 30 et il a dit 10 heures 30.
Eddie
C’est bien ce que je dis, il sait pas la lire.
Jackie
Si il sait la lire.
Eddie
Non.
Jackie
Si. C’était l’heure et puis c’est tout.
Eddie
Non. C’est pas l’heure écrite en vrai.
Jackie
Oh, bon, allez, tu m’embrouilles.
Eddie, gueulant.
Y a des aiguilles devant la pharmacie ? Hein ? Y a des aiguilles ?
Jackie
Eddie ! Stop !
Eddie
L’heure vraie, elle est écrite avec les aiguilles !
Olivier
Pas forcément.
Eddie, à Olivier.
Tais-toi, toi.
Jackie, à Eddie.
Alors, à la pharmacie, c’est écrit pour de faux peut-être ?
Eddie
Affirmatif.
Olivier
Non, je regrette, c’est également pour de vrai.
Eddie, à Olivier.
Tais-toi je t’ai dit.
Jackie
Bon. Si ça te fait plaisir.
Eddie
C’est pas pour me faire plaisir, c’est comme ça.
Olivier
Vous savez, l’heure peut être écrite de plusieurs
manières différentes.
Eddie, à Olivier.
Ta gueule !
Un temps.
Olivier
Deux heures. Qu’est-ce que je vais faire, moi ?
Jackie, à Olivier.
Je te préviens, tu restes pas là, on n’a pas la place. Hein Eddie ?
Eddie
Négatif.
Jackie
Ah si. Avec Nono.
Jackie...