Les Forains

Depuis combien de temps sont-ils plantés entre cette voie ferrée et cette décharge ?
En attendant une hypothétique pièce de rechange, le manège de Nono rouille tranquillement dans son camion, les nougats et réglisses de Jackie moisissent dans la confiserie, Eddie compte les wagons des trains qui passent.
Cette nuit-là, un train s’arrête. Hélène et Olivier en descendent. Le train repart et les laisse sur le ballast.
Hélène, en plein « développement personnel », a quitté son mari qui dormait la bouche ouverte. Olivier n’a pas eu le temps de remonter, laissant dans le train sa femme affolée. Loin de tout, en pleine nuit noire, ils sont contraints de se faire héberger par « les forains ».

“Stéphan Wojtowicz est lauréat du Molière de l’auteur francophone vivant en 2006.”




Les Forains

Une nuit d’été en rase campagne.

Un monticule surplombe une voie ferrée que l’on devine en contrebas.

Une vieille caravane, une remorque, l’arrière d’un camion. Une table, trois tabourets.

Trois assiettes vides sont posées sur la table.

Eddie est assis sur le monticule, face à la voie ferrée. Jackie est à table.

Jackie

Qu’est-ce qu’il fait Nono ? Il a pas l’heure ou quoi ? T’as vu l’heure qu’il est ? C’est quand même pas une heure à traîner. J’ai faim, moi. Qu’est-ce qu’il est encore allé traîner ? À cette heure franchement ! Quelle heure il est ? Eddie, quelle heure il est ?
Eddie ! Eddie !

Eddie

Quoi ?

Jackie

Quelle heure il est ?

On entend un train au loin. Le bruit se rapproche. Le train passe. Eddie regarde attentivement. Le bruit s’éloigne. Silence.

Jackie

Alors ?

Eddie

Neuf.

Jackie

Neuf quoi ? C’est pas une heure, neuf !

Eddie

Je dis pas l’heure. Je dis neuf. Neuf wagons.

Il prend un carnet dans sa poche.

Jackie

Alors ?

Eddie

Neuf.

Jackie

Oh, pas les wagons, l’heure !

Eddie, regardant sa montre.

Vingt et une heure cinquante-deux. (Il note dans son carnet.) Vingt et une heure cinquante-deux. Neuf wagons. Marchandises.

Un temps.

Jackie

T’as pas faim ?

Eddie

Faut oser.

Jackie

Hein ?

Eddie

Faut oser, neuf.

Jackie

T’as pas faim Eddie ?

Eddie

C’est fort.

Jackie

Combien il y en avait à celui d’avant ?

Eddie

Douze.

Jackie

C’est bien aussi douze, hein ? T’as pas faim ? Qu’est-ce qu’il fout Nono ? J’ai faim, moi à la fin !

Eddie

C’est mieux que pas mal douze.

Jackie

Oui. C’est bien.

Eddie

Faut oser douze.

Jackie

Allez, à table, merde !

Eddie

Mais là, neuf, c’est moins fort.

Jackie

À table !

Jackie va dans la remorque. Eddie vient s’asseoir à table.

Jackie, off.

Allez, à table !

Eddie, pour lui-même.

J’y suis.

Jackie, apportant la casserole fumante.

C’est des raviolis. (Elle le sert.) Et l’autre jour ? Tu te souviens l’autre jour ? C’était combien ? Hein ? C’était combien ? Eddie !

Eddie

Quoi ?

Jackie

C’était combien le jour du record ? C’était pas vingt-deux ? Hein ? Je crois bien que c’était vingt-deux. Eddie !

Eddie

Quoi ?

Jackie

C’était pas vingt-deux ?

Eddie, mangeant.

Affirmatif.

Jackie

Vingt-deux. C’est ça. Vingt-deux.

Eddie, toujours en mangeant.

Excellent !

Jackie

Tant mieux.

Eddie

Très fort.

Jackie

J’y ai rien mis.

Eddie

Hein ?

Jackie

J’y ai rien mis, ils sont natures.

Eddie

Quoi ?

Jackie

Tu me dis que c’est très fort et moi je te dis que j’y ai rien mis.

Eddie

Rien mis dans quoi ?

Jackie

Dans mes raviolis.

Eddie, commençant à s’énerver.

Mais je te parle pas des raviolis bordel !

Jackie

Eh oh, calme-toi, hein !

Eddie

Les wagons ! Les vingt-deux wagons !

Jackie

Eh ben quoi les wagons ?

Eddie, gueulant.

Je te dis que c’est très fort vingt-deux wagons !

Jackie

Eddie ! Stop ! Contrôle ! (Eddie respire un grand coup. Il se calme.) Voilà. Vingt-deux wagons, c’est très fort et puis c’est tout. (Un temps.) Qu’est-ce qu’il fout ? Hein ? Eddie ! Eddie !

Eddie

Quoi ?

Jackie

Où il est Nono ?

Eddie

Au bistrot.

Jackie

Eh ben… Si il est au bistrot… Il est pas près de rentrer. Quatorze kilomètres à pied en sortant du bistrot…

Eddie

Ça fait plus long.

Jackie

Non. Quatorze kilomètres. Pile quatorze. On a compté l’autre jour.

Eddie

Ça fait plus long.

Jackie

Comment ça, ça fait plus long ?

Eddie

À cause de la ligne. Quand tu tiens pas la ligne droite, ça rallonge.

Jackie

C’est vrai, ça, j’aurais pas pensé.

Eddie

Faut multiplier par deux.

Jackie

Par deux ?

Eddie

Minimum.

Jackie

J’aurais pas pensé.

On entend un train au loin. Eddie regarde sa montre. Il se lève et va en haut du monticule. Le train s’éloigne.

Jackie

Alors ?

Eddie

Rien.

Jackie

Quoi rien ? C’est pas rien qu’est passé. Je suis pas Jeanne d’Arc, j’ai bien entendu un train. Dis-moi combien.

Eddie

Rien.

Jackie

Allez, tant pis, dis-le moi. Même si c’était rien.
Eddie. Combien ?

Eddie

Quatre.

Jackie

Ah ben merde alors. (Eddie note sur son carnet.) Tu le notes ? T’es sûr que ça vaut la peine ? C’est pas
valable quatre. Pourquoi tu notes celui-là ?

Eddie

Parce que.

Jackie

Ça sert à rien.

Eddie, haussant le ton.

Je préfère !

Jackie

Bon bon, ça va. Tu le notes et puis voilà. (Un temps.) Enfin, bon, quatre wagons, c’est vraiment rien du tout.

Eddie, gueulant.

C’est pas rien ! Je note !

Jackie

Eddie ! Stop ! Contrôle !

Eddie

Parce qu’il y a aucun manuel où elles sont marquées les heures d’ici !

Jackie

D’accord. Calme.

Eddie

Ils s’en foutent, eux, d’ici. C’est pas une gare, c’est rien, c’est nulle part pour eux. Et moi, si je note les heures des passages à l’endroit précis où on est, c’est parce que ces heures-là, elles sont à nous. C’est nos heures ! Alors je note tout ! Tout ! Même quatre
wagons, je m’en fous, je les note !

Jackie

D’accord. C’est bien. Mais c’est pas la peine de s’énerver pour ça mon Eddie. Mange maintenant.

Eddie mange et regarde aussitôt sa montre. Il se lève et va au monticule.

Jackie

Où tu vas ?

Eddie

Regarder.

Jackie

Regarder quoi ? Y a rien qui passe. T’as entendu quelque chose ? (Un temps.) Attends au moins qu’il passe quelque chose pour regarder. Eddie, viens manger.

Eddie

J’attends le train de nuit.

Jackie

Le train de nuit ? Déjà ? Quelle heure il est ? C’est quand même pas déjà l’heure du train de nuit. Hein ? Eddie ! Quelle heure il est ?

Eddie

L’heure du train de nuit.

Jackie

Eh ben moi j’entends rien. (Un temps.) T’es sûr que c’est la bonne heure ?

Eddie

Sûr.

Jackie

Alors il va passer. Je vois pas pourquoi il passerait pas aujourd’hui. Il passe tous les jours. Tu t’inquiètes pour rien.

Eddie

Je m’inquiète pas.

On entend un train au loin.

Jackie

Tiens. C’est pas ça ? Hein ? Qu’est-ce que j’entends là ?

Le bruit se rapproche.

Jackie

Tu vois, c’était pas la peine de s’inquiéter.

Eddie

Je m’inquiète pas.

On entend le train ralentir.

Jackie

J’avais raison, je savais bien qu’il passerait. Tu t’inquiètes vraiment pour rien.

Eddie

Je m’inquiète pas bordel !

Long crissement de frein.

Jackie

Qu’est-ce qu’il fait ? Il s’arrête ?

Le train s’arrête. Silence.

Jackie

Il s’est arrêté ! (Elle va le rejoindre.) Ça alors ! Ben merde ! Pile à notre endroit ! J’en reviens pas. Il s’est arrêté pile à notre endroit. (Un temps.) Pourquoi il s’est arrêté là ? C’est bizarre quand même.

Eddie

Tais-toi.

Un temps.

Jackie

On le voit bien quand il est arrêté. Hein ?

Eddie

Tais-toi.

Jackie

Pourquoi tais-toi ?

Eddie

Ça me déconcentre. (Un temps.) C’est à cause du feu rouge.

Jackie

Ah ben ça alors ! Eddie, il est rouge.

Eddie

C’est ce que je dis.

Jackie

Je l’avais jamais vu rouge celui-là. Eddie.

Eddie

Quoi ?

Jackie

C’est la première fois qu’il y a un train qui s’arrête.

Eddie

C’est normal.

Jackie

Tu trouves ça normal, toi ?

Eddie

Oui, c’est normal. Quand c’est rouge on s’arrête.

Jackie

Ben oui je sais bien.

Eddie

Quand c’est vert on passe et quand c’est rouge on s’arrête.

Jackie

Eh oui, c’est tout. Et là, là…

Eddie

Il est rouge.

Jackie

Voilà. C’est pas compliqué.

Silence. Eddie contemple.

Jackie

Il bouge pas l’animal, hein.

Eddie

Et dedans ça bouge pas non plus.

Jackie

Tu crois qu’ils dorment déjà ? À cette heure ? Il est encore bonne heure. Hein ? Eh Eddie.

Eddie

Quoi ?

Jackie

Quelle heure il est ?

Eddie

Mais bordel ! Tu vas pas me demander l’heure toutes les cinq minutes ! Merde !

Jackie

Eh oh, ça va, hein, je te demande l’heure et puis c’est tout. Pas la peine de te monter tout seul ! Respire. (Eddie respire.) Quelle heure ?

Eddie

Vingt-deux heures deux.

Jackie

Voilà. C’est pas compliqué. Vingt-deux heures deux et puis c’est tout.

Un temps. Ils regardent.

Jackie

Eh, Eddie. Eddie !

Eddie

Quoi ?

Jackie

Ils bronchent pas les clients, hein.

Eddie

Oui.

Jackie

Tu sais à quoi je pense ?

Eddie

Non.

Jackie

Ils veulent pas descendre de manège.

Eddie

Peut-être.

Jackie

Le tour est pas terminé.

Eddie

Peut-être.

Jackie

Ils en veulent pour leur argent.

Eddie

Sûr.

Jackie

Et puis pourquoi ils descendraient. Hein ? Qu’est-ce que tu veux qu’ils descendent ici ? Ici, c’est nulle part pour eux.

Eddie

Affirmatif.

Jackie, mettant ses mains en porte-voix.

Attention les petits ! Attention les grands ! Attention les grands et les petits, on reste à sa place !

Eddie

Tais-toi, merde !

Jackie

Quoi ! Je rigole ! (Elle recommence.) Attention les enfants ! Ça va repartir dès que ça sera vert !

Eddie

Tais-toi.

Jackie, regardant en contrebas.

Qu’est-ce qu’il fait celui-là ? Pourquoi il descend ?

Eddie

Tais-toi.

Jackie

C’est le contrôleur ?

Eddie

Non, c’est pas le contrôleur.

Jackie

Pourquoi il est descendu sur la voie le type ?

Eddie

C’est une fille.

Jackie

C’est bizarre qu’il descende comme ça.

Eddie

C’est une fille.

Jackie

Tu crois pas que c’est le contrôleur ?

Eddie

Non c’est une fille.

Jackie

Oh ben merde alors, il se met à courir.

Eddie

C’est une fille.

Jackie

Il vient vers nous Eddie.

Eddie

C’est une fille je te dis !

Hélène apparaît, essoufflée.

Hélène

Excusez-moi, il y a une route par là ?

Aboiements d’un chien.

Eddie, gueulant à Jackie.

C’est quoi ça ? Hein ? C’est quoi ?

Jackie

C’est une fille.

Eddie

Alors ! Je te dis que c’est une fille !

Jackie

Oui ben je vois bien.

Eddie

Merde alors !

Jackie

Ça va ! Contrôle !

Hélène

Je suis désolée de vous déranger. Vous pourriez me dire s’il y a une route ?

Aboiements du chien.

Eddie

Couchée !

Hélène

Pardon ?

Eddie

Couchée bordel !

Hélène

Quoi ?

Les aboiements cessent.

Jackie, à Hélène.

Il parle à la chienne.

Hélène, souriant à Jackie.

Ah d’accord.

Jackie

La route, c’est derrière après le chemin.

Hélène

Elle va en ville ?

Jackie

À gauche après le chemin.

Hélène

Merci.

Jackie

Y a pas de mal.

Hélène sort. Aboiements du chien.

Jackie

Qu’est-ce qu’elle fabrique celle-là ? Elle aime pas les manèges ?

Eddie

Je m’en fous.

Jackie

En tout cas, c’est une fille.

Eddie

C’est ce que je dis.

Hélène revient.

Hélène

Il est à vous le chien ?

Eddie

La chienne.

Hélène

Ah pardon.

Eddie

C’est une fille.

Jackie

Oui ben ça va, on le saura.

Eddie

La chienne, c’est une fille !

Hélène

Elle est à vous ?

Jackie

Elle vous fera rien.

Hélène

C’est loin d’ici la ville ?

Aboiements de la chienne.

Eddie

Ta gueule !

Hélène

Hein ?

Eddie

Dragonne !

Hélène

Pardon ?

Les aboiements cessent.

Jackie

Il parle à la chienne. Dragonne.

Hélène

Ah d’accord. C’est loin la ville ?

Jackie

Quatorze kilomètres.

Hélène

Tant que ça ?

Jackie

Deux heures.

Eddie

Minimum.

Hélène

Ah oui quand même. (Un temps.) Ça vous ennuierait de m’emmener ?

Jackie

Où ça ?

Hélène

En ville.

Jackie

Comment tu veux qu’on t’emmène ?

Hélène

Avec votre camion, là.

Eddie

Non.

Hélène

Pourquoi ?

Jackie

Il est en panne.

Hélène

Vous êtes sûre ?

Jackie

Sûre et certaine.

Hélène

Ça serait vraiment sympa de m’emmener.

Jackie

Pas possible.

Hélène

Vraiment ?

Jackie

Il est en panne.

Hélène

S’il vous plaît.

Jackie

Il est en panne.

Hélène

Si vous voulez pas m’emmener, vous pouvez me le dire franchement.

Eddie

Il est en panne ! T’es sourde ?

Jackie

Nono il est parti chercher la pièce en ville. Nono c’est mon beau-frère et lui, c’est Eddie, c’est mon mari.

Eddie

Ça la regarde pas.

Jackie

Et moi, c’est Jackie.

Eddie

Ça la regarde pas.

Hélène, à Eddie.

Je suis désolée pour votre camion.

Eddie, toujours le regard vers le train arrêté.

Il bouge pas d’un poil.

Hélène

C’est normal s’il est en panne.

Eddie

Pas le camion ! Le train !

Hélène

Ah d’accord.

Jackie

Pourquoi t’es descendue ?

Hélène

Vous ne pouvez pas m’emmener, alors ?

Eddie

Réponds. Pourquoi t’es descendue ?

Hélène

Ça serait un peu long à vous expliquer. Deux heures vous dites ?

Jackie

Facile deux heures, oui.

Eddie

Minimum.

Hélène

Je vais faire du stop.

Jackie

Alors là, bonne chance. Tu trouveras pas de voiture ici. En plus qu’il fait nuit.

Hélène

Oui, il fait nuit.

Jackie

Oui. Nuit noire.

Hélène

Oui.

Jackie

Oui.

Hélène

Vous auriez une lampe de poche ?

Eddie

Non.

Jackie, à Eddie.

Ben si, on en a une.

Eddie

C’est ce que je dis. On n’en a pas puisqu’on n’en a qu’une.

Hélène

Qu’est-ce que je vais faire ? Peut-être que je pourrais rester ici pour cette nuit ?

Jackie

Eddie !

Eddie

Quoi ?

Jackie

T’as entendu ?

Eddie

Quoi ?

Jackie

Elle veut coucher ici.

Eddie

Négatif.

Jackie, à Hélène.

On n’a pas la place.

Hélène

Ah.

Jackie

À moins que… Eddie !

Eddie

Quoi ?

Jackie

Elle pourrait coucher avec Nono.

Jackie et Eddie éclatent de rire.

Hélène

Non merci, je vais y aller.

Jackie, continuant à rire.

Ou bien avec moi.

Eddie

Négatif.

Jackie, riant.

Mais si ! Elle a qu’à coucher avec moi !

Hélène

Non non, ça va aller.

Jackie, riant toujours.

Allez hop ! Avec moi !

Hélène

Non, vraiment, merci.

Jackie, s’arrêtant brusquement de rire.

Quoi !

Hélène

Hein ?

Jackie

Je rigole.

Hélène

Oui oui, c’est marrant.

Jackie

Je rigole, d’accord !

Hélène

D’accord.

Jackie

Pour qui tu me prends ?

Hélène

Excusez-moi.

Jackie

Tu m’as bien regardée ?

Hélène

Oui oui, pardon.

Jackie

Alors ! On n’a plus le droit de rigoler !

Eddie, regardant toujours le train arrêté.

Y en a un autre qu’est descendu.

Hélène

Quoi ?

Eddie

Y a un type qu’est descendu.

Hélène, prise de panique.

C’est mon mari !

Eddie

Ah ben c’est pas trop tôt. Y a le feu qui vient de
repasser vert.

Hélène

Il est remonté ?

Eddie

Non.

Hélène

C’est mon mari !

Eddie

Ça y est, le train qui se barre.

Hélène

Il est remonté ?

Eddie

Non.

Hélène

Il est resté sur la voie ?

Eddie

Affirmatif.

Hélène

C’est mon mari.

Eddie

Et voilà. Il est tout seul le con.

Hélène

Cachez-moi, s’il vous plaît.

Jackie

Te cacher ? Pour quoi faire ?

Hélène

C’est mon mari ! Il faut pas qu’il me trouve.

Eddie

Il regarde vers nous le con.

Hélène, à Jackie.

S’il vous plaît.

Eddie

Il monte.

Hélène

Éteignez !

Eddie

Trop tard.

Jackie, à Hélène.

Allez, viens dans la caravane.

Hélène et Jackie entrent dans la caravane. Olivier apparaît.

Olivier, affolé.

Bonsoir monsieur. Excusez-moi mais il faut que je téléphone. Vous pouvez me dire où il y a un téléphone ?

Eddie

Nulle part.

Olivier

Je suis descendu du train.

Eddie

J’ai vu.

Olivier

Et il est reparti sans moi.

Eddie

J’ai vu.

Olivier

Vous avez peut-être un portable.

Eddie

Non.

Olivier

Je suis descendu du train et il est reparti sans moi.

Eddie

J’ai vu.

Olivier

Il est reparti.

Eddie

J’ai vu.

Olivier, au bord des larmes.

Pourquoi je suis descendu ?

Aboiements de la chienne.

Eddie

Couchée !

Olivier

Pardon ?

Les aboiements cessent.

Olivier

Ah, c’est au chien que vous…?

Eddie

La chienne.

Olivier

Le train partait. Je faisais des signes à ma femme.

Eddie

Ta femme ?

Olivier

Oui.

Eddie

Tu faisais des signes à ta femme ?

Olivier

Oui.

Eddie

Elle est dans le train ta femme ?

Olivier

Oui.

Eddie

Tu me prends pour un con ?

Olivier

Ah non, c’est la pure vérité monsieur. Je lui faisais des signes pour qu’elle tire le signal d’alarme, et elle, elle me regardait, avec ses gros yeux tout ronds en
levant les bras au ciel. Je lui faisais le signe pour qu’elle tire mais elle ne comprenait rien. Elle me
regardait et moi je m’affolais et le train prenait de la vitesse.

Eddie

C’est ta femme, t’en es sûr ?

Olivier

Oui. C’était elle, avec ses yeux. Elle me regardait
totalement paniquée avec ses yeux. Quel âne, non mais quel âne ! Je suis descendu du train et il est
reparti sans moi.

Aboiements de la chienne.

Eddie

C’est bon !

Olivier

Il est reparti sans moi.

Aboiements de la chienne.

Eddie

Ça va, ça va.

Olivier

Qu’est-ce qui m’a pris de descendre, moi ! Qu’est-ce qui m’a pris !

Aboiements de la chienne.

Eddie, hurlant en défaisant sa ceinture.

Tu veux la ceinture, hein ? C’est ça que tu veux ?

Olivier

Hein ?

Eddie

Ta gueule !

Les aboiements cessent.

Olivier

Ah, c’est au chien que vous… ?

Eddie

La chienne.

Olivier

Oui, pardon, la chienne. Jamais je n’aurais dû descendre, jamais. J’ai voulu aller voir, je suis descendu et…

Eddie

Ça va, on a compris.

Olivier

Sans rien, comme ça. J’ai strictement rien sur moi. Et me voilà, là… là… comme… comme…

Eddie

Comme un con.

Olivier

Avec ma femme qui est restée à bord.

Eddie

Pourquoi t’es descendu ?

Olivier

Bêtement. Pour voir.

Eddie

Voir quoi ?

Olivier

Je ne sais pas.

Eddie

Y a rien à voir ici.

Olivier

Ce qui se passait sur la voie, pourquoi on était arrêté.

Eddie

Y avait qu’à attendre le vert.

Olivier

Je n’ai pas du tout réfléchi aux conséquences.

Eddie

Non.

Olivier

Il faudrait… je ne sais pas… Il faudrait… Vous pourriez m’emmener en ville ?

Eddie

Non.

Olivier

S’il vous plaît.

Eddie

Non.

Olivier

Et le camion, là ?

Eddie

Non.

Olivier

Mais je peux payer.

Eddie

Non.

Olivier

Si. Si, je vous assure que si.

Eddie

Avec quoi ?

Olivier

Avec de l’argent évidemment.

Eddie, la main tendue.

Vas-y. Donne.

Olivier

C’est-à-dire que je suis descendu comme ça, sans veste, mais j’ai les moyens, sans problème.

Eddie, la main toujours tendue.

Donne.

Olivier

Disons que là, actuellement, je n’ai rien sur moi, en revanche dans ma sacoche…

Eddie

Elle est où ta sacoche ?

Olivier

Dans le train.

Eddie

Fallait pas descendre.

Olivier

Quel âne ! Quel âne !

Eddie

Faut jamais descendre. D’accord !

Olivier

Et si je vous poste un chèque ?

Eddie

Non.

Olivier

Un mandat.

Eddie

Non.

Olivier

Ou bien vous me laissez un RIB.

Eddie

Un quoi ?

Olivier

Un RIB. Un relevé d’identité bancaire. Vous en avez un à la fin de votre chéquier.

Eddie

Ah ouais ?

Olivier

Vous me laissez un RIB et je vous fais un virement.

Eddie

N’importe quoi.

Olivier

Je vous en supplie, monsieur, il faut que je retrouve mon épouse, elle va s’inquiéter, elle ne va pas savoir quoi faire. Sans moi, elle est perdue, elle ne sait
absolument pas se débrouiller.

Eddie

Mais si.

Olivier

On voit bien que vous ne la connaissez pas. Elle est tellement innocente, elle ne sait pas du tout quoi faire dans une situation pareille. Elle est tellement… tellement…

Eddie

Gourde ?

Olivier

Pardon ?

Eddie

C’est une gourde, ta femme ?

Olivier

Non. Non, je ne pense pas. Non, pas gourde. Empruntée, peut-être. Il y a une petite différence entre gourde et empruntée. Empruntée, si vous voulez, c’est… moins… moins… Non, gourde, c’est trop… trop… Il faut que je la rattrape. Emmenez-moi dans votre camion, s’il vous plaît.

Eddie

Pour rattraper le train ?

Olivier

Voilà. C’est ça. On fonce à la prochaine gare.

Eddie

On fonce ?

Olivier

Oui.

Eddie

On fonce avec mon camion ?

Olivier

Allez. C’est parti !

Olivier va vers le camion.

Eddie

Qu’est-ce que tu fais ?

Olivier, off.

Je monte dans le camion.

Eddie

Reviens ici.

Olivier, off.

Mais non ! Y a pas une seconde à perdre !

Eddie

Descends de là !

Olivier, off.

Non non, il faut y aller ! Mettez en route !

Eddie

Nom de Dieu, tu vas descendre de là, oui !

Eddie sort et ramène Olivier par le col.

Eddie

Tu touches pas à ce camion d’accord !

Olivier

Mais enfin, c’est ridicule.

Eddie, hurlant.

Il est en panne mon camion !

Jackie, passant la tête par la fenêtre de la caravane.

Eddie ! Contrôle !

Olivier

Il est en panne ?

Eddie

Et alors !

Olivier

Alors ça c’est la tuile.

Eddie

Qu’est-ce qu’ils ont tous après mon camion ! Merde à la fin !

Olivier

Bonsoir madame.

Jackie

Bonsoir.

Olivier

Je suis descendu du train et il est reparti sans moi.

Jackie

Ah ben ça c’est pas de pot.

Olivier

Il faut absolument que je regagne la ville la plus proche.

Jackie

Tu veux aller en ville ?

Olivier

C’est loin ?

Jackie

Penses-tu ! Dix minutes à tout casser.

Olivier

C’est par là ?

Jackie

À droite, tout droit, et à gauche après le chemin.

Olivier

Merci madame. Allez. Je file. Merci monsieur pour votre aide.

Eddie

Quoi mon aide ? Pourquoi il me dit ça ? Tu me cherches ou quoi ?

Olivier

Non non, pas du tout. Bonsoir.

Il sort.

Hélène, off, à Jackie.

C’est pas mon mari.

Jackie, à Hélène.

Hein ?

Hélène, off, à Jackie.

C’est pas mon mari.

Aboiements de la chienne. Olivier revient.

Olivier

Il y a le chien, là, qui…

Eddie

La chienne.

Olivier

Oui, pardon, la chienne.

Jackie

Elle te fera rien.

Eddie

Elle est attachée.

Olivier

Ah d’accord. Bien attachée ? Je veux dire, solidement ?

Eddie

On te dit qu’elle est attachée !

Jackie, à Olivier.

Eh ! Toi !

Olivier

Oui ?

Jackie, à Olivier.

Comment tu t’appelles ?

Olivier

Olivier. Olivier Francard.

Jackie, à Hélène.

Comment il s’appelle ton mari ?

Hélène, off, à Jackie.

Jean-Pierre.

Jackie, à Hélène.

Il s’appelle Olivier celui-là.

Hélène, off.

C’est pas lui.

Jackie, à Olivier.

C’est pas toi.

Olivier

C’est pas moi ?

Jackie

Non c’est pas toi.

Hélène apparaît.

Hélène, à Olivier.

Bonsoir.

Olivier

Bonsoir.

Hélène

Excusez-moi, je me suis trompée.

Olivier

Ah ?

Jackie

Elle t’a pris pour un autre.

Olivier

Ah ?

Jackie

Alors du coup, pour la ville, faut compter deux bonnes heures.

Eddie

Minimum.

Olivier

Mais… Vous m’avez dit dix minutes.

Jackie

Oui, mais c’est pas toi. Bonsoir.

Olivier

Deux heures ? Mince. Et il fait très noir. Très très noir.

Jackie

C’est normal, c’est la nuit.

Olivier, à Eddie.

C’est grave ce qu’il a votre camion ? Je pourrais peut-être vous donner un coup de main.

Jackie, à Olivier.

Il s’y connaît ?

Olivier

Qui ça ?

Jackie

Eh ben toi ! Pas le pape ! Tu t’y connais en camion ?

Olivier

C’est-à-dire, pas vraiment. Mais je suis de bonne volonté.

Eddie

Mercedes.

Olivier

Pardon ?

Eddie

C’est un Mercedes.

Olivier

Ah ?

Jackie

Tu t’y connais en Mercedes ?

Olivier

Euh… Non… Non.

Jackie

Un Mercedes de 63. Hein Eddie ?

Olivier

Ah oui, 63, c’est sûr que ça peut tomber en panne.

Jackie

Pourquoi ?

Olivier

Parce que, 63 ce n’est pas tout jeune.

Jackie

Comment ça ?

Olivier

C’est vieux 63.

Jackie

Non, c’est pas vieux.

Olivier

Si. Quand même. 63.

Jackie

C’est pas vieux 63. Hein Eddie c’est pas vieux ?

Eddie

Non.

Jackie

On l’a acheté en 82. Tu te souviens Eddie ? Quand j’ai su qu’il était de 63, ça m’a fait quelque chose.

Olivier

63 ! C’est bon pour le cimetière.

Jackie

C’est l’année de ma naissance.

Olivier

Hein ?

Jackie

C’est pas vieux.

Olivier

Ah mais non, c’est pas vieux du tout.

Jackie

Non, c’est pas vieux !

Olivier

Non non, pas du tout. 63, ça vous fait… disons… Ah oui, quand même. Mais non, non non, pas de problème.

Jackie

C’est pas vieux !

Olivier

Non non, pour vous, non. En revanche, pour un camion…

Jackie

Même. C’est pas vieux !

Olivier

Si, je regrette, pour un camion, c’est vieux.

Eddie

On te dit que c’est pas vieux !

Olivier

Non d’accord.

Jackie

Et puis c’est tout.

Olivier

Remarquez, vous me direz qu’une panne, ça peut arriver à n’importe qui. Même un camion neuf. Hein ? De nos jours. Ça ne se prévoit pas à tous les coups. Moi-même, j’ai eu récemment des problèmes avec ma…

Jackie

Bon. Va-t’en maintenant.

Olivier

Oui, vous avez raison. Je bavarde, je bavarde…

Jackie

Et tu vas te mettre en retard.

Olivier

Vous avez raison, tout ce temps qui passe… ça…

Jackie

Ça passe.

Olivier

Voilà. C’est par là ?

Jackie

À gauche après le chemin.

Olivier, après un temps.

Deux heures ?

Jackie

Deux heures.

Eddie

Minimum.

Olivier

Deux heures ! Où il sera mon train dans deux heures ?

Jackie

Est-ce que je sais, moi.

Olivier

Mais dites-moi, vous n’avez pas l’intention de le
réparer ce camion ?

Jackie

Si.

Olivier

Ah, voilà la solution.

Jackie

Oui mais c’est pas Eddie, c’est mon beau-frère qui répare.

Olivier

Ah. Et où il est ?

Jackie

Pas là.

Olivier

D’accord… D’accord. Et le bricoler ? Hein ? Vite fait ? Juste pour faire quelques kilomètres ?

Eddie

Non. C’est lui qui répare.

Olivier

Et… Quand est-ce qu’il sera là ?

Jackie

Va savoir. Il est parti chercher la pièce en ville.

Olivier

Mais il est déjà très tard. Les garages sont fermés.

Eddie

Il sait pas lire l’heure.

Jackie

Si, il sait la lire.

Eddie

Non.

Jackie

Si. L’autre jour, je lui ai demandé l’heure et il m’a dit l’heure.

Eddie

Alors ça, ça me ferait mal.

Jackie

Je te jure. Je lui ai demandé l’heure devant la pharmacie et il m’a dit l’heure impeccable.

Eddie

Ah d’accord. Devant la pharmacie.

Jackie

Oui. Il a vu 10, il a dit 10, et après il a vu 30 et il a dit 10 heures 30.

Eddie

C’est bien ce que je dis, il sait pas la lire.

Jackie

Si il sait la lire.

Eddie

Non.

Jackie

Si. C’était l’heure et puis c’est tout.

Eddie

Non. C’est pas l’heure écrite en vrai.

Jackie

Oh, bon, allez, tu m’embrouilles.

Eddie, gueulant.

Y a des aiguilles devant la pharmacie ? Hein ? Y a des aiguilles ?

Jackie

Eddie ! Stop !

Eddie

L’heure vraie, elle est écrite avec les aiguilles !

Olivier

Pas forcément.

Eddie, à Olivier.

Tais-toi, toi.

Jackie, à Eddie.

Alors, à la pharmacie, c’est écrit pour de faux peut-être ?

Eddie

Affirmatif.

Olivier

Non, je regrette, c’est également pour de vrai.

Eddie, à Olivier.

Tais-toi je t’ai dit.

Jackie

Bon. Si ça te fait plaisir.

Eddie

C’est pas pour me faire plaisir, c’est comme ça.

Olivier

Vous savez, l’heure peut être écrite de plusieurs
manières différentes.

Eddie, à Olivier.

Ta gueule !

Un temps.

Olivier

Deux heures. Qu’est-ce que je vais faire, moi ?

Jackie, à Olivier.

Je te préviens, tu restes pas là, on n’a pas la place. Hein Eddie ?

Eddie

Négatif.

Jackie

Ah si. Avec Nono.

Jackie...

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