Extrait du prologueJEAN-LOUIS (BARRAULT).Mon cher Jean,nous voici à la fin août. Dehors, mes acacias, qui tiennent, semblent pendus à la splendeur du monde.Madeleine, robe légère aux petites impressions de fleurs, inspecte ses carrés dans le silence d'outre la vitre. Je la vois qui marche, comme un film sans la bande, seulement la rumeur des bobines qui tournent.Quels mois nous avons vécus.Je t'écris pour dired'abord ceci: j'ai été bafoué, des deux parts,les jeunes m'ont piétiné, ignoré,dans un dédain qui m'a jeté au sol, comme une bête délaissée, inutile,et le ministre m'a tourné le dos. Jean, tu ne peux pasimaginer.Le ministre, notre ami,qui avait marché à nos côtés, lui, l'Aviateur,l'écrivain, l'Aventurier des zones troubles, l'Éclaireur dans les forêts opaques et le Tropique, le Flamboyant,l'imprévu,lui, prodige des tribunes, prophète sombre au Panthéon sous la pluie,l'Orateur, qui fit voler sur le Parlement la grande aile de la liberté des Arts,Malraux, Jean!,Malrauxm'a tourné le dos comme une soubrette, pas dans la grandeur du dédain, le dédain n'était pas de lui, mais dans la fuite, l'esquive, la frousse -J'arrivais dans la cour, rue de Valois. Je venais lui porter une lettre, puisqu'il ne répondait rien à mes appels,et ne m'opposait qu'un silence Jean, silence, aphasie opaque où son Directeur, Raison, ne savait rien lire, ni comprendre,je venais porter une lettre pour lui dire,Malraux! parlons-nous face à face,une fois au moins, dis ce que tu veux me dire,expliquons-nous, sommes-nous des hommes?, des humains avec une face et une langue, parlons-nous, Malraux!,tu n'as pas honte du verbe, tu sais tout dire,dans tes exordes chamaniques, fuligineux, que même le Généralvoit tomber comme des fusées sur la France et l'avenir des choses,j'allais déposer ma lettre sur son bureau, ou au moins devant, dans la main gantée d'un huissier portant cordon et bottines.J'avance dans la cour. Je le vois sortir par la grand-porte.Il descend les marches, ramassé dans sa veste, comme en hiver. M'aperçoit.(...)