Contexte historique et création

Écrite entre 1599 et 1602, Hamlet fait partie du répertoire du théâtre élisabéthain et marque l'apogée de l'art dramatique de William Shakespeare. La première représentation de cette tragédie a lieu vers 1601 à Londres, très probablement au célèbre Globe Theatre.

L'œuvre naît dans un contexte politique troublé. Le règne d'Élisabeth Ière touche à sa fin et la question de la succession royale hante les esprits. Les thèmes de l'héritage légitime, du pouvoir usurpé et de la corruption au sommet de l'État résonnent avec l'atmosphère de l'époque. Shakespeare puise son inspiration dans plusieurs sources anciennes : les récits légendaires de Saxo Grammaticus, les Histoires tragiques de Belleforest, et probablement une pièce antérieure perdue, attribuée à Thomas Kyd.

Hamlet est la plus longue pièce de Shakespeare et l'une des plus célèbres du répertoire mondial. Elle s'impose rapidement comme un chef-d'œuvre absolu, explorant avec une profondeur inégalée la psychologie humaine et les dilemmes moraux universels.

L'intrigue et les personnages

L'action se déroule au château d'Elseneur, au Danemark. Le roi du Danemark vient de mourir dans des circonstances mystérieuses. Son frère Claudius monte sur le trône et épouse Gertrude, veuve du défunt roi et mère du prince Hamlet, moins de deux mois après le décès. Ce mariage précipité révolte le jeune prince, qui voit dans cette union quelque chose d'incestueux et d'immoral.

Le fantôme du roi assassiné apparaît aux gardes du château, puis à Hamlet lui-même. Le spectre révèle au prince une vérité terrible : Claudius l'a empoisonné en lui versant du poison dans l'oreille pendant son sommeil. Le fantôme charge solennellement son fils de le venger.

Mais Hamlet doute. S'agit-il vraiment du fantôme de son père ou d'un esprit malin cherchant à le perdre ? Pour en avoir le cœur net, le prince décide de feindre la folie afin d'observer la cour sans éveiller les soupçons. Il repousse violemment Ophélie, la jeune femme qu'il aime, fille du conseiller Polonius.

Hamlet conçoit alors un stratagème ingénieux : il fait jouer par des comédiens ambulants une pièce reproduisant le meurtre de son père. C'est la célèbre scène de "La Souricière", mise en abyme vertigineuse où le théâtre devient piège pour révéler la vérité. La réaction de Claudius confirme sa culpabilité aux yeux du prince.

Les personnages d'Hamlet forment une galerie complexe de figures humaines aux prises avec la trahison, la folie et la mort. Claudius incarne le pouvoir corrompu, Gertrude la faiblesse face à la passion, Ophélie l'innocence sacrifiée, Polonius le courtisan manipulateur, et Laërte l'honneur vengeur. Seul Horatio, ami fidèle d'Hamlet, reste loyal jusqu'au bout.

Le drame atteint son paroxysme lors d'un duel truqué entre Hamlet et Laërte, organisé par Claudius pour assassiner le prince. L'épée empoisonnée blesse les deux combattants, Gertrude boit par erreur le poison destiné à son fils, et Hamlet trouve enfin la force de tuer Claudius avant de mourir à son tour. Fortinbras, prince de Norvège, arrive pour recueillir ce royaume ensanglanté.

Les thèmes universels

Hamlet explore des questionnements philosophiques d'une profondeur vertigineuse qui dépassent largement le simple récit de vengeance.

La vengeance et l'action constituent le moteur dramatique de la pièce. Contrairement aux héros de tragédie classique qui agissent rapidement, Hamlet temporise, réfléchit, doute. Cette hésitation fait de lui un personnage moderne, rongé par l'introspection et incapable de passer à l'acte sans certitude absolue. Faut-il venger son père au risque de devenir soi-même un meurtrier ? Le prince est paralysé par ce dilemme moral.

La folie, réelle ou feinte, traverse toute l'œuvre. Hamlet simule la démence pour mieux observer, mais cette frontière entre raison et déraison devient de plus en plus floue. Ophélie, elle, sombre véritablement dans la folie après la mort de son père Polonius, tué accidentellement par Hamlet. Shakespeare interroge ainsi les limites de la conscience humaine confrontée au chaos.

La mort et l'au-delà obsèdent le prince danois. L'apparition du fantôme prouve que quelque chose existe après la vie terrestre, mais quoi ? Cette incertitude angoissante empêche Hamlet de se donner la mort pour échapper à ses tourments. La célèbre scène du cimetière, où le prince médite face au crâne de Yorick, ancien bouffon de la cour, cristallise cette méditation sur la vanité de l'existence humaine face à l'inéluctable.

La corruption du pouvoir gangrène le royaume du Danemark. Dès la première scène, on apprend qu'"il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark". Le meurtre fratricide de Claudius n'est que le symptôme d'une pourriture générale : espionnage, trahison, manipulation règnent à la cour. Shakespeare dresse le portrait d'un monde où les apparences masquent une réalité hideuse.

Le théâtre et l'illusion occupent une place méta-théâtrale fascinante. La pièce dans la pièce, "La Souricière", révèle que l'art dramatique possède le pouvoir de dévoiler la vérité cachée. Cette mise en abyme réflexive fait d'Hamlet une méditation sur la nature même du théâtre et son rapport au réel.

"Être ou ne pas être" : le monologue le plus célèbre du théâtre

À l'acte III, scène 1, Hamlet prononce le monologue le plus emblématique de toute la littérature théâtrale : "Être ou ne pas être, telle est la question." Ces quelques mots résument à eux seuls la quête existentielle du personnage et, au-delà, de l'humanité tout entière.

"Être ou ne pas être" signifie littéralement "Vivre ou mourir". Hamlet médite sur l'opportunité du suicide face aux souffrances de l'existence humaine. Faut-il endurer les coups de la fortune outrageante ou mettre fin à ses jours pour échapper à la douleur ? Le prince pèse le pour et le contre avec une lucidité glaçante.

Mourir, c'est dormir, explique Hamlet. Et dans ce sommeil, peut-être rêver. Mais voilà le problème : quels cauchemars peuvent nous assaillir dans ce sommeil de la mort ? Cette crainte de l'inconnu après le trépas paralyse la volonté. Personne n'est jamais revenu de cette "région inexplorée" pour témoigner de ce qui nous y attend.

Le prince conclut que la conscience fait de nous tous des lâches. La peur de ce qui suit la mort nous pousse à supporter les injustices, les humiliations et les souffrances plutôt que de nous jeter vers l'inconnu. Cette réflexion métaphysique transforme un simple dilemme personnel en questionnement universel sur la condition humaine.

Le monologue fonctionne aussi comme un faux soliloque. Claudius et Polonius se cachent pour épier Hamlet. Le prince sait-il qu'il est observé ? Simule-t-il sa détresse pour mieux manipuler son entourage ? Cette ambiguïté ajoute une dimension supplémentaire à la complexité du personnage.

La phrase "Être ou ne pas être" est devenue une référence culturelle universelle, citée dans d'innombrables films, chansons et œuvres d'art. Elle incarne parfaitement le génie shakespearien : condenser en quelques mots l'essence même de l'expérience humaine.

Postérité et représentations

Depuis plus de quatre siècles, Hamlet fascine et inspire les artistes du monde entier. La pièce a fait l'objet d'analyses critiques extrêmement nombreuses et variées : thématiques, stylistiques, historiques, psychologiques. Aucune autre œuvre théâtrale n'a suscité autant de commentaires et d'interprétations.

Les artistes romantiques du XIXe siècle ont particulièrement célébré Hamlet, contribuant à en faire une œuvre mondialement célèbre. Les peintres comme Eugène Delacroix ont immortalisé des scènes iconiques, notamment Hamlet contemplant le crâne de Yorick ou la mort tragique d'Ophélie, magnifiquement représentée par John Everett Millais.

Les mises en scène marquantes jalonnent l'histoire du théâtre. En 1911, Edward Gordon Craig révolutionne l'approche scénique au Théâtre d'art de Moscou. En 1988, Patrice Chéreau crée un événement mémorable dans la Cour d'honneur du Palais des Papes à Avignon. En 2009, David Tennant interprète un Hamlet salué par la critique britannique comme le meilleur de sa génération.

Le cinéma s'est emparé de l'œuvre dès 1909, avec une trentaine d'adaptations depuis. Laurence Olivier remporte l'Oscar du meilleur film en 1948 avec sa version fidèle et épurée. Kenneth Branagh propose en 1996 une adaptation intégrale de quatre heures. Mel Gibson offre en 1990 une lecture plus libre et accessible. Récemment, des versions modernisées ont même transformé Hamlet en femme.

L'opéra n'est pas en reste : Ambroise Thomas compose en 1868 un Hamlet lyrique qui connaît un grand succès. Plus récemment, Brett Dean crée en 2017 un nouvel opéra contemporain présenté au Festival de Glyndebourne puis au Metropolitan Opera de New York.

L'influence de Hamlet dépasse le seul domaine artistique : le film d'animation Le Roi Lion reprend la structure narrative de la pièce, avec Scar tuant son frère Mufasa comme Claudius assassine son frère le roi. Cette universalité des thèmes shakespeariens prouve leur éternelle modernité.

Aujourd'hui, Hamlet reste l'une des pièces les plus jouées au monde. Chaque génération y trouve matière à réflexion, chaque époque y projette ses propres questionnements. Le prince danois, avec ses doutes et sa conscience tourmentée, demeure un miroir fascinant de notre humanité.